Il y a quelques semaines, un palmarès particulier nommé Indice relatif de bonheur dévoilait les municipalités québécoises où les citoyens se disaient être les plus heureux. Que révélerait un tel palmarès réalisé au sein des entreprises du secteur des TIC?
« Un employé heureux est un employé productif. » Cette phrase fait partie du vocabulaire corporatif depuis des lunes, au même titre que « le travail c’est la santé. » Or, serait-elle en voie d’être bannie dans certaines organisations du secteur des TIC?
Il est parfois à se demander si le niveau de bien-être des employés a tendance à être inversement proportionnel à la dimension de l’entreprise. Plus précisément, il est à se demander si l’importance accordée par l’entreprise au bien-être de ses employés n’a pas tendance à être reléguée en arrière-pensée lorsque croît l’importance d’une entreprise dans son secteur d’activités ou dans l’économie.
Combien d’entreprises sont nées du fruit des efforts de deux ou trois amis, qui ont eu la vision d’un produit ou d’un service qui serait apprécié des utilisateurs des technologies de l’information et des communications? Au gré des développements, des mandats et des contrats, ils ont accueilli quelques personnes pour former une « bande amicale », puis des dizaines de personnes pour former une « grande famille. »
Chaque matin, ces gens se saluaient et se souriaient. Ils partageaient la joie de celui qui avait gagné un tournoi sportif, l’admiration de celle qui avait été reconduire son enfant à sa première journée d’école, ou la peine de celui qui veillait au chevet d’un parent à l’agonie. Un empêchement ou une situation d’urgence étaient compréhensibles, tout comme on acceptait de rester un peu plus tard au bureau pour respecter un échéancier. L’amitié, et la solidarité unissaient les gens, du patron jusqu’au jeune commis.
En fonction du succès remporté auprès de la clientèle, des entreprises ont engagé des dizaines, puis des centaines d’autres employés pour réaliser d’autres mandats et conquérir d’autres marchés. Dans certains cas, le caractère humain et la bonne atmosphère se sont maintenus malgré la grande quantité de ressources humaines et la grande quantité de besogne à accomplir. Mais dans d’autres, le travail a commencé, lentement mais sûrement, à devenir impersonnel…
Ressources… humaines?
Peu à peu, le ton a changé lors des réunions. Les dirigeants souriaient moins et utilisaient un ton plutôt impératif. L’attention était davantage portée vers « le marché », « les performances », « le profit » et « le rendement ». Lorsque l’entreprise est entrée en bourse, « l’intérêt des actionnaires » est devenu une nouvelle source de préoccupation.
Afin d’améliorer « l’efficacité », des divisions ou des départements de l’entreprise ont été vendus ou impartis hors de l’entreprise. Dans d’autres cas, c’est un changement de propriété et l’imposition de règles corporatives mondiales qui modifient le contexte du travail. Les activités sociales sont devenues plus rares, alors que les horaires normaux ont fait place aux heures supplémentaires et aux horaires flexibles ou partiels. Pis encore, des personnes qui s’absentaient pour des raisons familiales faisaient l’objet de sermons, de réprimandes ou de sanctions.
Dans certains cas, le manque de considération envers le caractère humain des employés a pris des proportions inouïes, comme l’abolition de l’emploi d’une personne absente en raison de maladie – avec escorte sur le champ par les gardes de sécurité – ou l’obligation de chercher soi-même un nouveau poste au retour d’un congé de maternité.
Alors, les sourires sont devenus de moins en moins présents sur les visages des employés. Les discussions ont fait place à des salutations machinales, les groupes amicaux sont devenus restreints et les rencontres entre amis ont été évacuées du contexte du travail. Les réunions sont devenues un mal nécessaire. Le stress et la maladie ont grimpé en flèche…
… Et pendant ce temps, sur le site Web de l’entreprise, des photos provenant de banques d’images montrent de faux employés arborant un grand sourire, aux côtés d’énoncés corporatifs vides de sens!
La richesse des gens
Certes, certains diront que ces cas sont isolés, et que bien des entreprises ont réussi à conserver une préoccupation pour le côté humain de ceux et celles qui y travaillent. Mais combien de situations tristes ne sont pas visibles hors des murs d’une organisation, parce que les employés mettent toute leur dignité pour ne pas laisser transparaître le malheur corporatif qu’ils vivent au travail?
Par ailleurs, le grand public n’est pas dupe. Plusieurs personnes connaissent un voisin, un ami ou un parent qui œuvre dans un contexte difficile, dans une entreprise où les gens étaient autrefois fiers d’y travailler. Dans certains cas, ils constatent à titre de client que les employés n’ont plus le sourire franc ou l’étincelle brillante dans les yeux… Mais est-ce que les dirigeants ou les actionnaires s’en soucient, alors que les gains financiers sont leur souci primordial?
Évidemment, certains auront un sourire en coin. Se préoccuper du bonheur des employés est une perte de temps. Cela ne rapporte pas d’argent. En affaires, il n’y a pas d’amis! Toutefois, c’est lorsque les bonnes gens d’une entreprise en ont assez et qu’ils partent, tour à tour, que les personnes qui ne pensent qu’au rendement finissent par ne plus reconnaître d’amis autour d’eux au boulot. Pendant ce temps, les bonnes gens se dirigent vers une autre entreprise où ils pourront, peut-être, trouver une atmosphère plus chaleureuse et plus humaine…
Souhaitons que certains dirigeants changent d’attitude et établissent des considérations favorables au bonheur de leurs employés au travail.
Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.