Au-delà de la compétence de la firme impliquée, PG Elections, les ratés informatiques des dernières élections municipales au Québec ont fourni la preuve que la loi de Murphy existe
Il y a peu de chances que Thomas Gagnon, président et chef de la direction de PG Mensys Systèmes d’Information, garde un bon souvenir du 6 novembre 2005, journée d’élections municipales généralisée pour la première fois à l’ensemble des villes du Québec, ou presque. Une journée qui devait selon toute probabilité se dérouler sans accrocs, du moins d’un point de vue informatique, l’infrastructure de vote électronique fournie par PG Elections, une filiale de PG Mensys, ayant été testée et utilisée à plusieurs reprises depuis 1999.
PG Elections a déployé quelque 1 400 terminaux de votation et urnes électroniques dans 604 sites de votation, dont ceux de Montréal et de Québec, couvrant ainsi une majorité des municipalités en élection lors de cette journée (d’autres municipalités ont également voté de manière électronique, mais avec les systèmes d’un autre fournisseur). Alors que le terminal de votation est un système entièrement électronique, l’urne électronique requiert l’utilisation d’un bulletin de vote sur papier qui est ensuite numérisé et compilé.
La journée n’aura pas été de tout repos. Loin de là : des résultats sont arrivés avec plusieurs heures de retard, des équipements sont tombés en panne, des connexions Internet ont été coupées, des votes ont été comptabilisés deux fois, etc. À tel point qu’on peut parler de « catastrophe informatique ».
Mais que s’est-il vraiment passé ? À qui la faute ? Le fournisseur des terminaux de votation électronique, dont M. Gagnon a préféré taire le nom, serait le premier à blâmer. Environ deux terminaux sur dix sont tombés en panne, chaque bureau de vote en ayant en moyenne dix.
« Sur les 900 terminaux qu’on a déployés, on en a loué 450 d’une compagnie américaine, précise-t-il. Au niveau des tests, tout a bien fonctionné, mais quand on les a déployés sur le terrain, une série de terminaux ont eu des ratés importants : si on votait trop vite, ils tombaient en panne, alors que quand on y allait plus lentement, ça allait. On a eu ce qu’on pourrait appeler des citrons. »
Les urnes électroniques avaient aussi leur lot de problèmes, puisqu’elles étaient fréquemment victimes de bourrages de papier. « C’était la cerise sur le sundae ! s’exclame le pdg. Je pense que le problème se situe au niveau de la sorte de papier utilisé, qui était trop épais. »
Problèmes de réseaux
Le caractère temporaire des connexions Internet serait aussi à imputer, dans la mesure où elles n’ont pas offert la fiabilité espérée, tout comme la fragilité des serveurs, dont cinq sont tombés en panne, paralysant du coup le réseau qu’ils desservaient pendant environ une heure. L’un et l’autre ont entraîné des retards dans la transmission des résultats électoraux aux partis politiques et aux médias qui ont dû recourir à la transmission manuelle des résultats, par téléphone. « Cela a été un irritant majeur », reconnaît M. Gagnon.
Un bogue dans le logiciel de compilation des votes y serait également pour quelque chose. « C’est environ 45 000 bulletins de vote qu’on a dû ressaisir et qui ont causé des problèmes, confie M. Gagnon. En analysant le logiciel, on s’est aperçu que les résultats s’additionnaient au lieu de se remplacer. Les erreurs ont cependant été corrigées lors de la conciliation des résultats. »
PG Elections a aussi, évidemment, une part de responsabilité dans la catastrophe. En fait, la firme a péché par un excès d’optimisme et n’a pas prévu de scénario catastrophique (elle ne disposait que d’une équipe volante de 300 techniciens pour tout le Québec).
« Il y a eu une combinaison de problèmes dont plusieurs avaient été sous-estimés, résume le président. Il faut dire qu’on s’était basé beaucoup sur l’expérience antérieure, alors qu’on avait géré [au total] au-delà de 500 événements électoraux qui représentent 11 millions d’électeurs, alors qu’en fin de semaine on parle d’une centaine d’événements pour 2,8 millions d’électeurs. […] Le genre de problèmes qu’on a eus, on ne l’avait pas prévu et on n’avait pas mis en place les ressources en conséquence, alors ce que cela a occasionné, c’est un surplus d’appels de service qu’on ne pouvait satisfaire rapidement. »
Malgré les nombreux ratés de l’exercice, M. Gagnon assure que la démocratie a été respectée : « Aucune machine n’était reliée avec le monde extérieur. Toutes les machines sont pourvues d’une double mémoire et protégées par des scellés. Par conséquent, elles ne peuvent pas être trafiquées. En plus, la conciliation des résultats a permis de s’assurer qu’aucun vote n’a été comptabilisé deux fois. »
Cela dit, le bilan de l’événement reste à faire. « Il va falloir revoir les causes du problème, le niveau de préparation, la logistique, etc., reconnaît le pdg. Même si on a eu des problèmes avec les machines, on va garder le même fournisseur qui a une excellente réputation, mais on va travailler différemment : on va prendre de meilleures garanties. »
Mais peu importe le résultat de l’exercice, il appert déjà que la catastrophe découle d’un concours de circonstances malheureuses. Et si la faute incombait avant tout à Edward A. Murphy, en l’honneur de qui on a désigné la « loi » du même nom ? « Si la loi de Murphy existe, on en a eu la preuve en fin de semaine », conclut M. Gagnon.