Le programme de Modernisation du versement des prestations (MVP), la plus grande initiative de transformation numérique jamais entreprise par le gouvernement du Canada, a été estimé à 1,75 milliards de dollars lors de son lancement en 2017. Cinq ans plus tard, l’estimation des coûts atteignait 2,2 milliards de dollars, et il est probable qu’elle sera à nouveau révisée, car les retards et les défis persistent, a déploré Andrew Hayes, sous-vérificateur général, lors d’une réunion du Comité permanent des affaires publiques de la Chambre des communes (CPAP) hier.
À mi-chemin des 13 années du programme, nous « fonctionnons toujours sur des systèmes qui ont entre 20 et 60 ans », a-t-il ajouté.
La MVP a pour mission de transformer la façon dont trois programmes clés : l’assurance-emploi, le Régime de pensions du Canada et les prestations de sécurité de la vieillesse sont offerts aux Canadiens. Paul Thompson, sous-ministre au ministère de l’Emploi et du Développement social, a déclaré que les systèmes transformés seront plus sûrs, plus agiles et capables d’offrir une meilleure expérience client.
Jusqu’à présent, Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) a dépensé 817 millions de dollars pour le programme, sur un coût estimé de 2,2 milliards de dollars, qui comprend 669 millions de dollars en contrats avec des consultants externes. Quatre principaux intégrateurs de systèmes, dont Accenture, CGI Information Systems, Deloitte et Fujitsu Consulting, représentent la majorité de ce montant, a déclaré M. Thompson. Et il existe encore d’autres contrats d’un million de dollars avec IBM et Price Waterhouse Cooper (PwC).
« Nous approchons du milliard de dollars. Ce sont des chiffres astronomiques. Ils sont immenses et lourds pour les Canadiens. Et toutes ces dépenses ont conduit aux conclusions brutales du vérificateur général, mettant en garde contre un autre Phénix », a déclaré le représentant du NPD, Blake Desjarlais.
Un rapport récent du Bureau du vérificateur général du Canada (BVG) a en fait montré que les deux tiers des 7 500 applications logicielles du gouvernement étaient en mauvais état. Parmi celles-ci, 562 sont essentielles à la santé, à la sûreté, à la sécurité ou au bien-être économique des Canadiens. Certains systèmes datent du début des années 1960.
La directrice des systèmes d’information du Canada, Catherine Luelo, qui a comparu par visioconférence, a déclaré : « Nous dépensons environ 10 milliards de dollars par an en technologie, mais je ne suis pas sûre qu’il s’agisse de plus d’argent à ce stade. »
Le plus grand défi, selon elle, est le manque de personnel qualifié dans le secteur public pour mener à bien la modernisation.
« La réalité est qu’il y a des défis en matière de recrutement et de rétention. Il s’agit d’un marché concurrentiel pour les professionnels de l’informatique qualifiés, ce qui signifie que le gouvernement doit faire preuve de créativité pour trouver des moyens de retenir et d’attirer ces personnes, mais il doit également examiner attentivement la manière dont il formera et perfectionnera ses employés actuels. »
De plus, dit-elle, « nous ne payons pas suffisamment notre personnel ».
Blake Desjarlais a ajouté : « C’est beaucoup plus facile de travailler pour IBM, c’est beaucoup plus facile de travailler pour McKinsey, c’est beaucoup plus facile de travailler pour ces autres entreprises qui prennent ensuite le gouvernement en otage et disent : « vous nous paierez parce qu’il n’y a personne d’autre pour faire ce travail », parce que vous n’avez pas réussi à payer nos employés correctement ou au moins à un taux compétitif.
Audit après audit, on a constaté une tendance continue à l’externalisation, qui gonfle les coûts tout en diminuant le service public, a déploré M. Desjarlais.
Cependant, Mme Luelo a soutenu que la modernisation serait impossible sans l’aide de tiers. Les difficultés de recrutement, l’intensité de la main-d’œuvre et le volume de travail contribuent tous à la décision de faire appel à des entreprises tierces.
En outre, Mme Luelo a souligné l’absence d’un contrôle central autour du décaissement des fonds lorsqu’il s’agit de moderniser les systèmes informatiques du Canada.
Elle a expliqué que lorsqu’elle était DSI dans le secteur privé, elle avait la capacité de définir la stratégie, puis de contrôler le financement, ce qui signifie qu’il y avait un certain niveau de contrôle lors de l’approbation du travail technologique qui concernait plusieurs divisions des organisations cotées en bourse.
« Ce même niveau de surveillance [au sein du gouvernement] n’existe pas. Nous sommes dans un modèle très vertical pour de nombreuses bonnes raisons. Mais ce sont des problèmes horizontaux et nous n’avons pas, à mon avis, mis en place les bons contrôles financiers horizontaux sur les investissements technologiques. »
Au sein du gouvernement, il existe également un problème de priorisation qui retarde les progrès, car tous les problèmes ne peuvent pas être résolus en même temps, a déclaré Mme Luelo.
« En matière de priorisation, il y a des gagnants et des perdants, et nous ne semblons pas être à l’aise avec l’idée d’arrêter des programmes ou de les retarder pour nous permettre de faire le travail qui doit être effectué sur le programme à risque plus élevé. »
Scott Jones, président de Services partagés Canada, a expliqué que les informations sur la base desquelles les décisions prioritaires sont prises retardent également les progrès.
« Les ministères eux-mêmes sont responsables de la modernisation de leurs applications », a-t-il déclaré. « Ils doivent parfois prendre des décisions difficiles concernant leur financement, car s’ils doivent payer pour la modernisation, ils devront peut-être puiser dans les fonds qu’ils utiliseraient autrement pour des services ou des programmes destinés aux Canadiens. »
Lors de la réunion du comité, Mme Luelo a également parlé de sa démission récente.
« J’observerais qu’au sein de la fonction publique, j’ai l’habitude d’assister à des réunions pour parler de rapidité de livraison, de budgets, de gestion du changement, d’adoption, de “faire”. Et ce que je trouve, c’est que nous passons davantage de temps à parler de “ce que nous pourrions faire” plutôt que de parler réellement de “comment nous le faisons et du résultat”, et mon opinion est que cela doit changer.
Adaptation et traduction française par Renaud Larue-Langlois.