Le modèle de gouvernance adopté par les entreprises du Québec serait davantage relié à leur culture organisationnelle qu’à leur taille ou même qu’à leur domaine d’activité.
Qu’est-ce qui fait qu’une organisation va appliquer des processus décisionnels et de gouvernance des technologies de l’information (TI) bien structurés, alors qu’une autre va lui préférer un cadre de gestion plus léger ayant largement recours à l’arbitraire? On pourrait être tenté d’invoquer la dimension de l’entreprise ou son secteur d’activité pour justifier l’ap proche adoptée, mais il n’en est apparemment rien.
C’est du moins ce que prétend Michel Laferté, conseiller en gestion, Services d’affaires mondiaux IBM, qui a une longue expérience en la matière. Non seulement ses fonctions actuelles l’ont amené à fournir des services-conseils en gestion à divers types d’entreprise, mais il a aussi agi antérieurement en qualité de responsable TI en entreprise.
À son avis, il faut davantage regarder du côté de la culture organisationnelle de l’entreprise que de sa dimension. Ainsi, qu’elles soient grandes ou petites, certaines organisations vont opter pour un processus décisionnel très rigoureux, faisant intervenir des comités de gestion, alors que d’autres vont s’en référer au directeur du département TI, voire à son pdg, pour prendre une décision unilatérale.
« Dans certaines entreprises, c’est très formel et très bien encadré, pour ne pas dire enrégimenté, avec des processus très précis, alors qu’à l’autre extrême, c’est plus flou, soutient-il. Ça peut être le président qui décide de changer les PC tous les trois ans ou cinq ans ou d’attendre à l’an prochain; ça peut être aussi simpliste que ça. Alors que dans d’autres cas, il y a des processus et des politiques clairement établis. Ce n’est pas parce qu’elles sont plus grosses, que les processus sont plus formels. J’ai vu des entreprises qui gèrent des centaines de millions de dollars de chiffre d’affaires où c’est le président qui va décider de ne pas investir une cenne cette année dans de nouveaux logiciels, parce qu’on met l’argent ailleurs. C’est l’exemple extrême de la gouvernance TI ramenée à sa plus simple expression. Dans d’autres entreprises, on va voir des mécanismes avec des comités et des structures décisionnelles qui diffèrent selon le type de décisions à prendre. La culture de l’entreprise joue pour beaucoup là-dedans. […] Tout comme la maturité de l’entreprise au niveau de ses processus de gestion : il y a des entreprises qui sont plus matures et plus structurées que d’autres. »
Cela étant dit, plus l’investissement requis pour réaliser un projet est important, plus les entreprises auront tendance à appliquer un cadre décisionnel structuré. La présence de standards technologiques, qu’on peut associer d’une certaine façon à la culture organisationnelle, va dans le même sens. Des standards se référant, par exemple, à l’utilisation de telle ou telle technologie par les employés.
« Les décisions d’infrastructure vont souvent être laissées au responsable de l’informatique et de son équipe avec un droit de regard de la haute direction, alors que les décisions d’investissement dans de nouveaux systèmes d’information, comme un système intégré de gestion, vont faire intervenir des comités multidisciplinaires, résume le conseiller. Dans certaines entreprises, on va même établir des barèmes du genre ‘si c’est une décision de moins de X milliers de dollars, ça n’ira pas à la haute direction’. […] Mais il y a des entreprises où le processus ne change pas, qu’il s’agisse de l’achat de la nouvelle version d’Office ou de SAP, c’est la direction qui décide. On peut être en faveur d’une approche collégiale ou lui préférer une approche dictatoriale. »
Piège de la structure lourde
Bien qu’il soit d’avis qu’un modèle de gouvernance bien structuré est préférable à un modèle fondé sur l’arbitraire, M. Laferté croit néanmoins qu’il ne faille pas pécher par excès dans ce domaine, dans la mesure où un modèle de gestion trop contraignant en incitera plus d’un à le contourner et à prendre des décisions en catimini. Ce qui aura l’effet contraire.
« Le danger avec ça – et c’est le défaut de certains mécanismes de gouvernance – c’est que si c’est trop lourd et trop complexe, ça ne fera pas nécessairement avancer les choses, ça rend les gestionnaires peu coopératifs. Ils blâment le processus qu’ils ne comprennent pas et qui est trop long, et vont essayer de le contourner, explique M. Laferté. On a vu des gens acheter de l’équipement dans leur coin, sans le relier au réseau et sans que personne ne sache rien. Ça dénote que les mécanismes en place ne sont pas bien structurés ni bien élaborés. Ça ne doit pas prendre deux heures à expliquer le processus; ça doit pouvoir être expliqué en 15 minutes, pas plus. »
Quoi qu’il en soit, la présence de standards est hautement recommandée. « Un des facteurs qui fait que les coûts informatiques sont plus élevés ou moins élevés dans une entreprise est la présence ou non de standards, affirme le conseiller. Ça influence directement sur les coûts de maintenance et de dépannage. Ça coûte plus cher de supporter plusieurs types d’appareils que d’en supporter un seul. Il ne devrait pas y avoir de cas d’exception. Les gains générés par les standards sont multiples : il y a des économies d’échelle, une diminution des frais de support, des effets de levier importants, etc. À long terme, l’entreprise y gagne, en termes d’économie et d’efficacité. »
Pour accroître leur contrôle sur les outils installés sur les postes des utilisateurs, certaines organisations vont opter pour des configurations de type client léger. Cela facilite la mise en application des standards à la grandeur de l’organisation et concourt à réduire les frais de gestion.
« Il y a des entreprises qui sont plus avancées à ce niveau, et on verra avec le temps ce que ça va donner, de dire M. Laferté. Cela a des inconvénients aussi : on ne peut rien installer, il n’y a pas de lecteur de CD, ça n’offre pas de flexibilité, etc. Dans certains secteurs, comme en publicité, ça peut nuire à la créativité. Les avis sont partagés, mais une chose est sûre, il faut un minimum de standards et de contrôle. Parce que plus on laisse de marge de manoeuvre à l’usager, plus on entre dans une spirale inflationniste des coûts de maintenance et de dépannage. »