Des analystes estiment que l’acquisition de Motorola Mobility par Google aura des conséquences limitées sur ses activités en sol canadien. Ils formulent quelques hypothèses quant à la suite des choses à plus grande échelle.
L’entreprise américaine Motorola est présente au Canada depuis 1953, où elle a amorcé ses activités par la fabrication de radios et de téléviseurs. Selon une fiche d’information contenue dans le site Web d’Industrie Canada, Motorola Canada emploierait aujourd’hui 700 personnes. Depuis 2011, Motorola a été scindée en deux, soit l’entité Motorola Mobility, qui est consacrée aux produits grand public, et Motorola Solutions, qui dessert le marché des gouvernements et des organismes publics.
Interrogés par Direction informatique, des analystes du marché canadien des télécommunications indiquent que la présence de Motorola Mobility au Canada est surtout consacrée à des activités commerciales.
« Motorola exploite un centre de développement au Québec depuis quelques années, dans le Vieux-Montréal, mais ses travaux seraient surtout réalisés par Motorola Solutions pour des solutions dans le domaine de la sécurité publique, pour des radios mobiles, mais non pour des téléphones mobiles », explique Ian Grant, directeur général de la firme d’analyse Seabord Group.
M. Grant estime que ces activités de Motorola Solutions seront maintenues au Québec, et souligne une collaboration de l’entreprise avec l’École de technologie supérieure pour certains projets. Motorola exploite aussi un important centre à Toronto, mais il ne sait pas comment ses activités ont été restructurées depuis la division de Motorola en deux entités au début de l’année.
« Les activités de Motorola Mobility au Canada ont trait surtout à la vente et au marketing pour les téléphones mobiles », confirme pour sa part Brendon Mensinga, analyste en chef pour le créneau de la mobilité chez IDC Canada.
Jean-Guy Rens, un observateur de longue date de l’industrie canadienne des télécommunications à la firme Sciencetech, ne peut quantifier les impacts auprès de Motorola Canada de l’acquisition de Motorola Mobility par Google. Il souligne que la présence en sol canadien de Motorola n’est pas de la même envergure que celle du concurrent Ericsson.
Quelles sont les intentions de Google?
Toutefois, les analyses soulèvent de nombreuses interrogations et hypothèses quant à ce que Google pourrait faire des actifs obtenus auprès de Motorola Mobility.
En qualifiant l’acquisition de Motorola de « virage à angle droit » pour Google, M. Rens estime que l’éditeur de services Web et de plateformes mobiles va dans le sens contraire de certains fournisseurs du secteur des TIC qui ont voulu prendre leurs distances face à des entreprises qui constituaient leur client principal.
Il donne l’exemple de Nortel, qui s’est éloigné de Bell lors de l’expansion du marché des télécommunications au Canada, et de Symbian qui a affirmé son caractère distinct en rapport au fabricant d’appareils mobiles Nokia. « Lorsque la concurrence s’accentue, les fournisseurs cherchent habituellement à donner l’impression qu’ils sont neutres », indique-t-il.
Alors que Google assure que Motorola Mobility sera exploité de façon autonome, les fabricants d’appareils mobiles qui utilisent Android doivent se demander si Google envisage concrètement une présence dans le marché à titre de fabricant de matériel. Toutefois, Google pourrait surtout convoiter le portfolio de 12 500 brevets actifs et 7 500 demandes de brevets que possède Motorola Mobility, afin d’accroître sa position commerciale autrement que dans le créneau du matériel.
« S’il est vrai que Google veut acheter Motorola Mobility pour les brevets, elle pourrait essaimer la portion liée à la fabrication d’appareils à une entreprise qui s’intéresse vraiment à ce créneau, car Google en sait très peu à propos de la fabrication de produits, indique M. Grant. Tant qu’on n’aura pas de réponses à cet effet, il sera difficile de prédire les impacts de cette transaction sur la vente, mais aussi sur la recherche au Canada. »
« En mettant la main sur un coffre au trésor de brevets, Google pourrait améliorer sa position dans le cas de litiges avec d’autres entreprises comme Apple, Samsung ou Microsoft, indique M. Mensinga. Or, au lieu de s’affronter longuement et de façon onéreuse devant les tribunaux, ces entreprises pourraient finir par s’entendre et s’octroyer des licences. Google serait alors dans une position favorable. »
M. Rens s’interroge sur la réaction éventuelle des autres fabricants d’appareils mobiles qui utilisent le système d’exploitation Android. « En tout cas, l’acquisition pourrait être bonne pour Motorola, qui était en mode rattrapage surtout grâce à Android », souligne-t-il.
Selon M. Mensinga d’IDC Canada, Google aurait assuré que Motorola Mobility devra encore soumettre des offres pour obtenir des contrats de fabrication d’appareils de marque Google, comme le Nexus, au même titre que d’autres fabricants. Néanmoins, il estime que les fabricants d’appareils fondés sur Android doivent envisager l’avenir à long terme de façon différente depuis l’annonce de la transaction.
« Il pourrait être dangereux pour ces fabricants de miser seulement sur Android. Il pourraient vouloir diminuer leur risque en diversifiant leurs plateformes, afin de parer une “verticalisation” de Google à titre de fabricant d’appareil dans quelques années… »
Joyau caché?
Enfin, Google pourrait voir en l’acquisition de Motorola Mobility des opportunités qui outrepasseraient celles du marché des téléphones mobiles, alors que l’entité en voie d’acquisition fabrique des terminaux de télévision.
« Dans le marché des terminaux Google en arrache avec Google TV, mais l’expertise de Motorola Mobility pourrait apporter une bouffée d’air frais et offrir de nouvelles opportunités pour percer le créneau commercial des terminaux. Alors, dans cinq ans on pourrait dire que les terminaux étaient le joyau caché dans cette transaction », prédit M. Mensinga.
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Jean-François Ferland est rédacteur en chef adjoint au magazine Direction informatique.