À la lumière du rapport de l’ACTI, des professionnelles se prononcent sur la situation de la femme dans le secteur des TIC.
France Lavoie
France Lavoie Présidente-directrice générale, Dévicom, Chicoutimi
Plus de 20 ans d’expérience en TIC. Cofondatrice en 1989 d’un groupe-conseil spécialisé en architecture informa-tique, en sécurité et télécommunications. Est également présidente, directrice générale et cofondatrice du fournisseur et hébergeur Internet Cybernaute depuis 1995.
Huguette Guilhaumon
Huguette Guilhaumon Associée, Sciencetech Communications
Compte plus de 25 années d’expérience. A amorcé sa carrière chez Bell Canada. A cofondé en 1992 une firme de recherche et conseil qui oeuvre dans le secteurs des TIC. A établi en mai 2009 le forum « Femmes en technologies » qui compte 75 membres.
Danielle Savoie
Danielle Savoie V-p Technologies, Services aux entreprises, Mouvement Desjardins
Compte plus de 30 ans d’expérience. Études en sciences pures/informatique de gestion. Premier emploi augouvernement du Québec. A été vice-présidente en technologies au Cirque du Soleil.
Les commentaires sur le rapport
F.L. Sur le coup, j’étais frustrée par ce rapport: pour moi [l’enjeu] n’est pas une question de femmes, mais de perception des technologies. Il faut bien publiciser l’industrie des technologies. Le monde ne sait pas ce qu’on fait! […] Les technologies ont besoin de gens qui communiquent et de chargés de projets, alors qu’on ne parle que d’aptitudes techniques.
H.G. Il confirme ce que je pensais. C’est un rapport excessivement bien fait […] qui donne de très bon chiffres et un état de la situation très juste. Mais rien ne m’y a étonné, parce que c’est une copie conforme de ce qu’on voit aux États-Unis et en Europe. C’est ni mieux ni pire au Canada, mais la situation est aussi alarmante qu’ailleurs.
D.S. L’image qu’on fait de la profession est négative et n’est pas représentative de ce qu’elle est réellement. […] La déconfiture des point-com en 2000 et la délocalisation ont fait que leurs parents ont cessé de suggérer les emplois en TIC. Il y a eu une baisse des inscriptions dans les collèges et universités. Les filles sont retournées vers leurs zones de prédilection.
Depuis vos débuts dans l’industrie, la place de la femme en TIC y est-elle meilleure, pire ou équivalente?
F.L. Les filles décrochent des TIC à partir de l’école secondaire parce qu’elles n’y voient que des jeux de guerre qui sont faits par des gars. Il n’y a pas de jeu d’aventure, rien qui garde les filles intéressées envers les technologies. L’étude dit qu’on pourrait avoir des images de mentores. Les institutions d’enseignement devraient aller chercher des entrepreneures, des filles en technologies pour faire des références. Les écoles ne sont pas assez liées avec les entrepreneurs pour aller chercher ce dont nous avons vraiment besoin, et ce, autant pour les garçons que les filles. J’engage les gens pour leur attitude et non leurs aptitudes. Un projet technologique peut être un échec monumental s’il n’est pas géré par les bonnes ressources, que ce soit des filles ou des gars.
H.G. Il y a 25 ans, les femmes étaient beaucoup proactives. Le secteur était nouveau, on était tous dans « une sorte d’avenir » et les femmes étaient très présentes. Ce qui a fait du tort, ce sont les bulles et les krashs du marché qui font très peur aux femmes, surtout celles qui sont en début de carrière. Une industrie qui est aussi fluctuante – quand on voit disparaître Nortel sous ses yeux – ne donne pas confiance. Les femmes, d’après plusieurs études, aiment les environnements assez stables. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les femmes préfèrent se diriger vers le milieu de la santé. Ce sont les coups d’adolescence du milieu des TI des dernières années, son manque de maturité, qui font que les femmes le boude.
D.S. Je pense qu’il y plus de femmes en technologie qu’à mes débuts. Elles se sont taillées une belle place. Il n’y en a pas des tonnes à la tête des technologies, mais c’est normal, parce qu’il n’y en avait pas des tonnes [en classe] lorsque j’ai gradué. Mais ça va se combler au fil des années. Le problème n’est pas que ce soit mieux ou pire: C’est que les femmes ne s’inscrivent pas dans le domaine. Une fois qu’elle ont débuté leur carrière et qu’elles y font des choses intéressantes, qu’elles modèlent leur carrière selon leurs aspirations, je crois qu’elles demeurent en technologie.
Que faut-il faire pour inciter les femmes à faire carrière dans le secteur des TIC?
F.L. Je trouve que nous sommes choyées, comme femmes en TIC: dans l’Association québécoise des technologies (AQT), tout le monde connaît mon nom parce que je suis parmi les seules femmes PDG. Ce n’est pas que négatif! Oui, c’est dur d’être en affaires et d’être une femme en affaires. Je ne suis pas prête à dire que c’est nécessairement plus dur en technologies. Si on connaît son sujet, si on peut apporter les valeurs ajoutées et si on peut argumenter, une carrière en TI n’est pas plus difficile pour une femme que pour un homme. C’était dur de lancer une entreprise il y a 20 ans et 15 ans, et c’est encore dur aujourd’hui, surtout en région où on ne peut développer une niche spécialisée dès le départ.
H.G.Si on explique aux femmes que les TIC d’aujourd’hui ne sont pas celles de l’époque des cartes perforées et qu’elles y ont vraiment leur place, la balle est vraiment dans leur camp. Je ne crois pas à la discrimination positive, mais plutôt que l’industrie doit faire ses devoirs pour montrer aux femmes qu’elles peuvent y avoir une carrière qui a de l’allure. La première chose à faire est d’offrir du support aux femmes en entreprise pour qu’elles arrivent à des niveaux de vice-présidence et de présidence. Si on avait des modèles, soit deux ou trois entreprises sur dix qui comptent des femmes dans leurs conseils d’administration ou à la haute direction, on commencerait à croire que le secteur est pour nous.
D.S. Il faut interpeller les jeunes filles tôt dans leur processus de choix de carrière, peut-être aussi tôt qu’aux études secondaires. Il faut leur montrer la palette des emplois qui existent. Cela touche la marque négative dont on parle, un aspect qui m’interpelle beaucoup… Il faut expliquer les types d’emploi et probablement faire des campagnes avec des femmes qui serviront de modèles aux jeunes filles. C’est au secondaire ou au cégep que les choix de carrière se font.
Quel est le principal atout que procure la femme au sein de l’industrie des TIC?
F.L.Une femme apporte le côté humain, la communication et la logistique. Une femme qui prend un dossier ne lâche pas l’os, je vous le garantis! Quand elle mord dedans, elle le garde jusqu’à la fin, alors qu’un gars va s’enligner sur la technique et va tenter de contourner les petits os qui finiront toujours par ressauter. La femme, elle, va prendre l’os et va le gérer…
H.G. Parce qu’on n’a plus besoin de les river à piton-ner dans des bases de données et que le métier est devenu plus intuitif et imaginatif, les femmes ont vraiment leur place en TIC. Ce n’est pas qu’elles ont plus d’imagination que que les hommes, mais elles auraient un avantage concurrentiel au niveau de l’intelligence émotionnelle. La plupart des employés embauchés par Google n’ont pas de formation en TI: tout ce qu’on leur demande c’est de penser différemment, « out of the box ». Je crois que les femmes ont cette force, qui est la principale qualité nécessaire aujourd’hui en TI.
D.S. Une femme amène un autre point de vue que les hommes. Elles ont des forces en communication, ce qui sert énomément au niveau des processus, de la gestion de projets, de l’approche client et de la relation avec les clients. On sait maintenant que ce sont des facteurs clés de succès en TIC, parce que la mentalité du secteur a beaucoup évolué. Maintenant les TIC sont au service des lignes d’affaires. Les femmes amènent aussi une vision en approche de problèmes qui embrasse un peu plus large…
Jean-François Ferland est rédacteur en chef adjoint au magazine Direction informatique.
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