Ces derniers mois, il a beaucoup été question de la pénurie de main-d’oeuvre et des menaces qu’elle fait planer sur la santé de l’industrie, au Québec et ailleurs. Au-delà de ce problème, cependant, comment stimuler chez nous l’essor des TI?
Depuis l’éclatement de la bulle technologique au tournant du siècle, les pessimistes n’ont sans doute jamais été aussi nombreux quant à l’avenir des TI au Québec. À commencer par les étudiants qui, au collège et à l’université, ont largement boudé les programmes d’éducation en informatique au cours des dernières années. Élevées sur un piédestal il y a peu, les carrières technologiques n’ont plus la cote. De 2000 à 2005, les inscriptions ont chuté de 52 % dans l’ensemble des programmes.
Pourtant, l’industrie québécoise des TI a connu une croissance soutenue depuis une décennie. Malgré les difficultés, on y a enregistré un taux de croissance annuel composé (TCAC) de 2,7 % entre 1997 et 2005, selon ce que rapporte Industrie Canada dans son rapport régional sur l’industrie des TIC au Québec.
Portrait de l’industrie
D’après ce ministère, l’industrie québécoise des TIC comprend cinq grands champs d’activités : les télécommunications, la photonique, les nouveaux médias (incluant le jeu vidéo), la fabrication, ainsi que le commerce et les affaires électroniques.
La progression qu’elle a connue depuis près de dix ans s’explique principalement par la hausse combinée des secteurs du logiciel et des services informatiques (11,5 %). Pareillement, ces secteurs ont fortement contribué à la croissance de l’emploi dans l’ensemble de l’industrie; de 1997 à 2005, le TCAC de l’emploi a été de 3,0 %.
Au cours de cette même période, la fabrication a vu ses recettes diminuer de 8,1 %. En 2005, elles ont chuté de 41 % par rapport à l’année précédente et l’emploi au sein de ce secteur, de 11,4 %. Malgré tout, la fabrication demeure un élément essentiel de l’industrie des TI, comptant pour 31 % des recettes en 2005 et 27 % des emplois.
Par ailleurs, les exportations ont diminué de 2,9 % annuellement, leur valeur passant de 7,6 milliards à 6,0 milliards de dollars au cours de la période. La principale cause de ce recul provient des composantes électroniques, dont l’exportation est passée de 4,2 à 2,6 milliards de dollars.
Enfin, le TCAC de la recherche et développement en TI a été de 9,6 % entre 1997 et 2004, ce qui confère au Québec la deuxième place sur l’échiquier canadien, juste derrière la Colombie-Britannique.
Innovation et mondialisation
La perte de vitesse de la fabrication ainsi que la vigueur du logiciel et des services ne représentent pas une surprise aux yeux du vice-président de la Recherche et Développement du CRIM, Jacques Ouellet. Selon lui, il s’agit même d’une situation saine, car, s’il est plus ardu en fabrication, le succès commercial peut venir rapidement dans les deux autres domaines. Contrairement à des industries comme les sciences de la santé et l’aéronautique, l’innovation est très dynamique dans ces secteurs, enchaîne-t-il. Elle provient souvent des entreprises mêmes, y compris des PME, et non pas des universités ou de l’étranger.
Il ne faudrait pas exclure pour autant les domaines où le cycle de mise en marché est plus long, croit-il. C’est le cas de la reconnaissance vocale, du traitement des données non structurées et de la traduction automatique notamment. De tels champs d’études ont fait l’objet d’une recherche importante au Québec. Ils peuvent contribuer à la vigueur de l’industrie des TI dans la mesure où ils sont appliqués à des cibles commerciales choisies, précise-t-il.
Si le Québec est capable de se démarquer en innovation – comme le prouvent les succès remportés en matière de jeu vidéo – il est tout de même soumis à une concurrence très vive a l’échelle mondiale. Selon le Groupe de travail sur les aides fiscales aux régions ressources et à la nouvelle économie mandaté par le gouvernement du Québec, et dont le rapport, intitulé À armes égales, vient de paraître, les gouvernements de nombreux pays n’hésitent pas à prendre des mesures pour protéger leur industrie des TI. On peut en faire le constat en Inde, en Chine, en Irlande… Même les États-Unis n’échappent pas à la tendance.
Aussi appelé “rapport Gagné”, le document souligne que le secteur des TI bénéficie des modes de transmission les plus évolués. Aux quatre coins du globe, les entreprises ont donc une plus grande facilité à se positionner au sein de marchés éloignés. La concurrence s’étend ainsi au monde entier, ce qui ne constitue pas nécessairement une bonne nouvelle pour un territoire de la taille du Québec, qui a de la difficulté à maintenir sa place au sein du Canada même.
En effet, pendant que le nombre d’emplois en TI augmentait de 9 % au Québec entre 1998 et 2006, il a connu un bond de 60 % en Ontario et de plus de 50 % en Colombie-Britannique. Selon les chiffres publiés par Statistique Canada et cités dans le rapport Gagné, la part québécoise des emplois au sein de l’ensemble canadien a diminué considérablement au cours de cette période, passant de 30,3 % à 22,2 %.
Dans le cadre de la Journée de l’informatique qui s’est tenue à Québec l’automne dernier, le professeur Benoit Montreuil, de l’Université Laval, a mis en garde les entreprises québécoises à ce sujet. Selon lui, elles ont encore à s’acclimater à la concurrence de pays émergents comme le Brésil et la Russie, ayant toujours évolué à l’ombre bienveillante de l’Oncle Sam.
Modification de la formule d’aide fiscale
Pour les auteurs du rapport Gagné, il est essentiel de soutenir le secteur québécois des TI, comme on le fait à l’étranger – d’où le titre du document. L’avenir de l’industrie passe par les crédits d’impôt aux entreprises de la nouvelle économie, estiment-ils. Toutefois, la forme proposée est différente de celle qui a été appliquée à la Cité du multimédia et à la Cité du commerce électronique de Montréal, par exemple. Le rapport recommande l’abolition des sites désignés, prônant plutôt la généralisation de l’aide fiscale à l’ensemble du territoire pour les entreprises ayant un minimum de cinq employés admissibles. Les auteurs souhaitent maintenir jusqu’en 2015 les crédits d’impôt remboursables, calculés en fonction des salaires versés. Par contre, ils suggèrent de changer le taux et le plafond utilisés jusqu’ici.
L’abolition des sites désignés semble justifiée. Certes, on y a créé 10 000 emplois depuis 2000, mais on en a perdu un nombre équivalent ailleurs au Québec. Résultat : la création d’emplois a été nulle dans l’ensemble l’industrie durant cette période.
Par ailleurs, le rapport suggère de limiter l’aide gouvernementale aux secteurs à valeur ajoutée. Ceux-ci comprennent notamment les affaires électroniques, les services-conseils, la mise à niveau d’architectures technologiques, ainsi que la conception et le développement de solutions de commerce électronique. Les transactions électroniques et les centres d’appels sont exclus.
Dose d’optimisme
Le Québec, conclut le rapport Gagné, peut espérer tirer son épingle du jeu grâce à une main-d’œuvre qualifiée. Toutefois, il est nécessaire de continuer à émettre un signal clair relativement à l’importance du secteur et à son soutien par le gouvernement.
Jacques Ouellet partage l’optimisme des auteurs du rapport et, dans l’ensemble, leurs conclusions. Le Québec possède tous les éléments pour se positionner favorablement à l’échelle mondiale, croit-il. La clé réside dans un écosystème bien tissé, au sein duquel tous les acteurs – entreprises, utilisateurs, institutions financières, universités, etc. – agissent de concert, comme on le fait à Silicon Valley. Selon lui, Montréal est particulièrement bien pourvue à cet égard. Une des seules pièces manquantes au puzzle : des joueurs de plus grande taille.
Les TI ne sont pas confinées à la métropole pour autant. Il évoque la région de Québec et les spécialisations qui se sont développées autour de l’optique, de la photonique, de la géomatique et de l’Université Laval. Liste à laquelle on pourrait ajouter le jeu vidéo. En région, il estime que l’informatique doit s’adapter aux compétences régionales – par exemple l’océanographie dans le Bas-Saint-Laurent et les mines en Abitibi – conformément au modèle du programme Accord.
Le Québec doit miser sur l’innovation, pense Benoit Montreuil. Il faut créer une valeur ajoutée et occuper des créneaux particuliers avant que d’autres ne le fassent à notre place. Point de salut sans évolutivité; on doit coller aux besoins du client et savoir les anticiper.
À l’horizon des TI québécoises, quatre enjeux prioritaires se détachent : la main-d’œuvre, le financement (dont l’aide fiscale), l’innovation et la commercialisation. Jacques Ouellet rappelle que, pour chacun d’eux, un comité d’étude a été formé par le conseil d’administration de TechnoMontréal, dont il fait partie. À ses yeux, ces initiatives s’inscrivent pleinement dans le renforcement de la collaboration au sein de l’écosystème technologique, qu’il appelle de ses vœux.
L’évolution de l’industrie québécoise des TI entre dans une époque charnière, marquée par la sévère pénurie de main-d’œuvre annoncée. L’industrie saura-t-elle resserrer les rangs et relever le défi de la concurrence mondiale? En tout cas, elle semble avoir les atouts pour le faire.
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