Citoyens, entreprises, groupes de pression et politiciens réagissent fortement à la décision du CRTC de permettre la facturation à l’utilisation de la bande passante Internet. Le ministre fédéral de l’Industrie Tony Clement annonce qu’il étudiera rapidement le dossier. Survol.
Dans le cyberespace, les réactions à l’endroit d’une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) qui pemettra la facturation à l’utilisation des services d’accès Internet dès le 1er mars 2011 ne cessent de se multiplier.
C’est sur le site Web d’OpenMedia.ca, une organisation non partisane qui est vouée « au soutien d’un système de communications ouvert et innovateur au Canada » que la grogne des internautes s’est manifesté de la façon la plus visible au cours des derniers jours.
En novembre 2010, OpenMedia.ca a créé une pétition qui envoie automatiquement un message exprimant un désaccord envers la facturation à l’utilisation d’Internet à Tony Clement, le ministre responsable d’Industrie Canada, qui a juridiction sur le CRTC.
Or, la pétition d’OpenMedia.ca qui comptait 80 000 adhérents le 28 janvier 2011 avait obtenu 160 000 signatures le 31 janvier, puis plus de 235 000 noms le 1er février 2011. La mention de la pétition dans les médias traditionnels et dans les médias et réseaux sociaux semble avoir contribué à l’augmentation rapide du nombre de signataires.
L’intérêt grandissant de la population envers le dossier pourrait avoir incité le ministre Clement à annoncer qu’il étudiera la situation au cours des prochains jours.
« À titre de ministre de l’Industrie du Canada, il est de mon devoir d’encourager un marché concurrentiel et innovateur et de faire en sorte que les consommateurs canadiens aient de vrais choix lorsque vient le temps d’acheter des services. Ces décisions [du CRTC] seront étudiées attentivement pour s’assurer que la concurrence, l’innovation et les intérêts des consommateurs ont tous été pris en compte de façon équitable », a-t-il indiqué dans un communiqué.
Impacts nombreux
Alors que l’application de limites de bande passante a été longtemps associée à la lutte au piratage et à la contrainte du téléchargement illimité, plusieurs estiment que les récentes décisions du CRTC auront des conséquences sur des services en ligne légitimes, voire sur l’utilisation d’Internet en général.
Dans un billet publié sur le portail consacré au jeu vidéo Game-Focus, Fred Laroche résume les impacts des décisions du CRTC sur la pratique du jeu vidéo en ligne, mais aussi les conséquences sur d’autres utilisations d’Internet par les consommateurs canadiens.
« Cette mesure est une catastrophe alors que nous utilisons l’Internet pour jouer en ligne, écouter des émissions de télévision en différé nous téléchargeons des jeux complets via Xbox Live ou PSN qui pèsent souvent près de 8 Go ou que nous louons un film via des services comme NetFlix » commente M. Laroche.
« Même un iPhone ou un iPad en WiFi pour sauver sur les frais de 3G à la maison bouffe de la bande passante. En navigant normalement, une famille de 2 adultes 2 enfants, n’a aucun mal à défoncer cette limite de 60 Go si on calcul, l’ordinateur, les smartphones, les consoles de jeu et même le téléphone, car plusieurs utilisent le téléphone maintenant via Internet avec des solutions comme Skype et ooVoo. »
D’autre part, dans le forum de discussion DLSreports.com qui est dédié aux services Internet à large bande, la section consacrée aux services au Canada contient des dizaines de fils de discussion où des internautes commentent les impacts potentiels des décisions du CRTC.
Inquiétudes
L’application de la facturation à l’utilisation de l’accès à Internet suscite aussi des interrogations de la part d’utilisateurs commerciaux.
Sur le site Web du Financial Post, un article rapporte que le dirigeant principal du prestataire américain de contenu vidéo à la demande Netflix, Reed Hastings, « doute sérieusement » de l’avenir de son entreprise au Canada si la décision du CRTC est maintenue.
« La facturation à l’utilisation est quelque chose qui nous inquiète. Cela pourrait avoir un impact négatif pour Netflix », a déclaré M. Hastings à l’agence Presse canadienne.
De son côté, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante a publié une lettre ouverte qui fait état des « préoccupations » de l’organisme de représentation d’entrepreneurs à l’égard de la décision du CRTC.
« Cette décision, si elle n’est pas renversée par le cabinet, aura une incidence considérable sur les petites et moyennes entreprises (PME), alors même qu’elles émergent d’une récession. La grande majorité des PME utilisent des services Internet à prix raisonnables pour gérer leurs affaires », affirme la FCEI dans sa lettre.
« Si l’ensemble des PME risquent d’être confrontées à une hausse de leurs frais d’accès et d’utilisation d’Internet, ce sont en fait les petits fournisseurs de services Internet qui seraient durement touchés car ils n’auront plus la possibilité d’offrir des services créatifs et compétitifs. »
Réactions politiques
En politique fédérale, le Parti libéral du Canada et le Nouveau parti démocratique se sont prononcés depuis le début de la semaine en défaveur des décisions du CRTC et de la réaction du gouvernement conservateur.
Notamment, le Parti libéral du Canada a dédié une page Web à des initiatives d’opposition à la facturation à l’utilisation d’Internet. De son côté, le porte-parole du NPD en matière des questions numériques, Charlie Angus, a manifesté l’appui de son parti envers un renversement de la décision du CRTC.
Résumé
Ces réactions découlent de la décision de télécom 2011-44, rendue le 25 janvier 2011 par le CRTC, qui ordonne aux fournisseurs titulaires d’accès Internet par passerelle de résidence (par ligne numérique) et par câblodistribution de réduire de 15 % leurs tarifs de facturation à l’utilisation qu’ils appliquent aux fournisseurs concurrents, en comparaison avec les tarifs à l’utilisation qu’ils appliquent pour leurs propres services de détail.
Cette décision fait suite à la décision de télécom2010-255, du CRTC, rendue en mai 2010, qui approuvait des demandes des fournisseurs titulaires Bell Aliant et Bell Canada visant l’instauration d’une « pratique de gestion du trafic Internet de nature économique pour leurs services d’accès par passerelle de résidence de gros ».
Ces décisions permettaient aux fournisseurs titulaires d’établir des limites d’utilisation mensuelle pour leurs services d’accès à Internet à large bande et d’appliquer une tarification pour chaque gigaoctet supplémentaire consommé.
Jean-François Ferland est rédacteur en chef adjoint au magazine Direction informatique.