L’industrie du PC, et tout ce qui gravite autour, est en fâcheuse position, les pertes d’emplois s’accumulent. Et qui semble le mieux tirer son épingle du jeu? Celle qu’on pensait bien voir disparaître, il y a à peine 10 ans.
Il est de ces navires qui après avoir guerroyé, entrent en rade, leur pavillon en charpie, telle une armada d’éclopés, avec l’équipage survivant aligné sur le pont. Ces marins d’expérience sont fiers des blessures qu’arbore leur bâtiment à la proue, à la poupe, à la passerelle, partout. Un à un, sous les acclamations émues de ceux qui sont restés à terre, les Léviathans défilent devant l’amirauté. Le temps de les bricoler sommairement, ils seront retournés d’urgence sous le feu ennemi.
Depuis l’automne 2008, leurs pertes sont considérables : HP, 24 600 victimes; Dell, 8 900; Xerox 3 000; Motorola 4 000; Sony, 16 000; AT&T, 12 000; Adobe, 600; EMC, 2 400; Sun Microsystem, 6 000; Unisys, 1 300; Western Digital, 2 500; Yahoo, 1 520; Lexmark, 375; Seagate, 800; Lenovo, 2 500; Autodesk, 750; Google, 100; Oracle, 500; AMD, 1 100; Logitech, 550; Ericsson , 5 000; Intel, 6 000; et Microsoft, 5 000. Pour ne citer que celles-là, ce qui nous évite de commenter la rumeur selon laquelle IBM pourrait remercier 16 000 personnes sous peu, même si la veille, elle pavoisait avec de très bons résultats. Ce qui nous évite également de faire le tour de la flotte asiatique où les pertes sont, là aussi, énormes.
Mais au large, quelques rares navires continuent leur train d’enfer sans avoir besoin de radoub. Ce sont des bâtiments plus légers, plus modernes, commandés par un vieux loup de mer, des bâtiments redoutables dont les équipages sont bien à leur place, le couteau entre les dents. C’est le cas d’Apple, une entreprise qui ne laisse personne indifférent et que certains tendent parfois à confondre avec une cause socioculturelle.
Quel paradoxe! Du côté des mal-en-point, on retrouve actuellement l’industrie du PC au complet, Intel, Microsoft, HP et Dell en tête. De l’autre, celui des « gras dur », la fabricante du Macintosh (du moins pour l’instant), une machine pas comme les autres qui, la semaine dernière, franchissait le cap du quart de siècle. (Sur la photo ci-dessus, vous voyez ma gamine qui fêtera, sous peu elle aussi, son 25e anniversaire.)
Durant ces années, les gens sérieux, les vrais de vrais, utilisaient un IBM-PC ou un compatible. Vous vous rappelez les Televideo (mon premier 286), Wang (mon premier 386), Epson (mon premier 486), AST (mon premier Pentium), Compaq (mon premier Pentium II) et autres marques aujourd’hui disparues ou fusionnées ailleurs (vous vous souvenez des PC (MS-DOS/Win 3.11) de Xerox, de Commodore, de Digital?). Que reste-t-il de cette force de frappe? HP, Dell et quelques Asiatiques. Même IBM a quitté la scène; le mentor originel a préféré le grand large pour bénéficier d’un meilleur tirant d’eau.
Or, la bébelle pas sérieuse, l’aquarium à Jobs, l’ordinateur d’intello branché, la machine où il n’était pas possible de taper Ctrl-Alt-Del, celle à qui tous les utilisateurs de Compaq, d’AST, de NEC, voire de PS/2 (j’ai conservé mon Modèle 76, un ordi fabuleux signé IBM) n’accordait aucune chance de survie, est encore là, résolument là. En fait, il se vend des Mac comme jamais. Seulement au dernier trimestre, celui qui s’est terminé le 27 décembre, Apple en a écoulé plus de 2,5 millions, « une augmentation de 9 % comparativement au même trimestre de l’exercice précédent », lit-on sur le communiqué officiel.
Qui ne se souvient de 1996 alors que l’univers cliquait dans Windows 95 et qu’Apple, perdue dans une gamme abominable de mauvais produits, incluant un système d’exploitation non performant, râlait ses ultimes râlements? Il a fallu un homme de fer, Steve Jobs, pour ramasser la moribonde, la nantir du Mac OS X, lui refaire sa famille de produits, lui modifier sa culture de secte religieuse, la repositionner en avant de sa concurrence sur le plan innovation et la renforcer avec des gugusses complémentaires qui redéfinirent la façon dont nous tous, nous consommons désormais musique, films et photos.
Au dernier trimestre, Apple a vendu plus de 22,7 millions d’iPod (augmentation de 3 %) et 4,4 millions d’iPhone (une augmentation de 88 %). Sans parler du fric fou qu’elle a raclé avec son iTunes Music Store. Il est évident que le marché du iPod et du iPhone se calmera d’ici un an et que les chiffres de l’an prochain seront sûrement moins spectaculaires à cette enseigne. Mais en attendant, la boîte de Cupertino demeure une machine à sous. Je sais, je sais, le titre au NASDAQ a connu quelques mauvais soubresauts en janvier. Sauf que cela relève d’une autre analyse, celle du marché spéculatif qui ne suit pas toujours celui du succès commercial. Sans compter l’effet sur l’action de l’annonce du retrait temporaire du PDG Steve Jobs pour des raisons de santé.
Bref, on ne parle plus de résilience, mais de réussite et d’un compte en banque très bien garni. Il est connu que la meilleure façon de passer au travers d’une récession sans perdre de plumes est de disposer de sérieuses liquidités. Si tel est le cas, ce que les analystes semblent croire, l’entreprise devrait donc pouvoir se rendre à l’automne sans dommages.
Qu’en sera-t-il de l’industrie du PC qui se voit contrainte de mettre les freins un peu partout? Microsoft dont les coupures de personnel ne devraient pas affecter Windows 7 dont le lancement est prévu en septembre, a déjà commencé une certaine réorganisation. Intel revoit ses prix et ferme des usines. Idem pour AMD qui ajoute une baisse des salaires de cadres de 20 %. Et ainsi de suite. Or, pendant ce temps, Apple va pouvoir filer sans contrainte et sans dommage. Machine, en avant toute!
Qui l’eut cru!
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.