L’Internet est-il le reflet d’une société ou bien celui des individus qui la composent? Comme un certain personnage de la mythologie grecque, certains voient dans les réseaux sociaux un outil de glorification personnelle plutôt qu’un moyen d’interaction.
Une étude du département de psychologie la University of Georgia aux États-Unis, à paraître dans le Personality and Social Psychology Bulletin, a analysé les pages de 130 utilisateurs du réseau social Facebook, notamment le nombre d’amis et de messages sur le « mur » de leurs pages, et demandé à des inconnus de noter leurs impressions sur le niveau de narcissisme des participants.
Selon les coauteurs de l’étude, les gens narcissiques utilisent ce réseau social pour faire de l’autopromotion que d’autres peuvent remarquer. Les narcisses en viendraient à « utiliser » d’autres personnes à leur avantage, ce qui finit par faire du tort à d’autres et à eux-mêmes à long terme. Les utilisateurs du réseau social ne seraient pas plus narcissiques que ceux qui n’y participent pas, mais le média informatique faciliterait leur identification.
Certes, de dire qu’une personne est narcissique en fonction des contenus d’une page sur Facebook est peut-être une affirmation exagérée. Néanmoins, on peut s’interroger quant aux motivations premières de certains utilisateurs des réseaux sociaux et des autres moyens de communication du Web 2.0.
Des personnes semblent s’intéresser davantage à ce qu’on pense d’elles, de leurs activités ou de leurs propos que ce que leurs interlocuteurs sont, font ou pensent. Premièrement, la quantité semble avoir une importance importante au niveau de l’impact sur la perception qu’ont les gens d’une personne. Elles aiment voir qu’ils ont beaucoup d’amis sur un réseau social ou bien qu’elles ont réussi un jeu-questionnaire en ligne. Elles se préoccupent de savoir si elles ont eu des commentaires à leur dernier statut ou des répliques à leur dernier message sur leur blogue, si leur vidéo pamphlet a été visionné par plusieurs gens ou si leur photomontage a été affiché dans un site branché.
(Notez que certaines personnes n’hésitent pas à partager tous les détails de leur vie et de leur quotidien sur les réseaux sociaux. ‘Je vais à l’épicerie!’, ‘Je suis dans l’autobus vers l’épicerie!’, ‘Je suis à l’épicerie!’, ‘Je tâte un poivron!’, etc. Plaignons ceux qui reçoivent une alerte dès que ces personnes publient un nouveau message d’état ou un contenu, cela doit faire tout un vacarme…)
Or, les réseaux sociaux impliquent une interaction et une communication bidirectionnelles. Si une personne pose une question ou formule un commentaire à une personne, elle s’attend à ce que l’interlocuteur lui réponde, afin qu’elle lui envoie un complément d’information, etc. Toutefois, dans certains cas, les questions demeurent sans réponse.
Inter… action
En parallèle, il est intrigant de voir à quel point l’amitié est une notion relative sur la Toile. Des sites comme Facebook ou Twitter permettent à des internautes de formuler une requête d’acceptation auprès d’une personne à titre « d’ami » pour qu’elle ait accès aux contenus, ou bien tout simplement pour que les autres sachent qu’il y a un lien d’amitié entre les deux personnes. Sur Myspace, la plupart des « amis » admis commencent leur premier message par ‘Merci de m’avoir accepté comme ami!’, mais ce message sera souvent le dernier qu’ils publieront sur ce site. La personne pourra se vanter en disant ‘Regarde, je suis un ami du groupe de musique Klepetar!’ À l’inverse, rares sont les artistes qui vont répondre à toutes les questions posées ou qui vont entreprendre une correspondance active avec un internaute. Est-ce cela, l’amitié?
Certes, il faut dire que certaines personnes ne peuvent passer leur journée à répondre aux messages des internautes. Des journalistes auxquels on a demandé (ou qu’on a forcé) d’écrire un blogue ne peuvent consacrer beaucoup de temps à répondre ou à modérer les messages. Des artistes trop occupés à créer ou des politiciens trop occupés à gouverner (ou à se faire réélire) resteront cois ou mandateront un assistant pour répondre aux missives numériques.
D’ailleurs, des personnes indiquent explicitement qu’elles lisent tous les commentaires, mais qu’elles ne peuvent y répondre individuellement, ou sinon qu’elles répondront en bloc à des requêtes lors d’un message ultérieur. Au moins, les intentions sont clairement indiquées. Or, bien des personnes aux questions légitimes sont laissées en plan, ou pire encore, reçoivent des réponses automatisées…
D’autre part, il est navrant de constater la déception d’internautes qui posent des questions ou font des appels à tous et n’obtiennent aucune réponse. Le sentiment doit être le même pour un commerçant qui constate que bien des clients ne formulent pas des critiques de produits sur leurs sites Web.
Se pourrait-il que des personnes soient plus passives qu’actives sur la Toile? Se pourrait-il aussi que des personnes actives ne se consacrent qu’à leur apparence, leur perception, leur rayonnement sans se soucier d’interagir avec d’autres?
Un dernier constat à propos des réseaux sociaux et des médias du Web 2.0 est le même que pour bien des sujets ou des événements dans la société en brique et mortier. Certains les embrassent de bon gré et les utilisent couramment, mais d’autres s’y intéressent pour quelque temps ou bien les délaissent parce que la relation appréhendée ne répond pas aux attentes.
Heureusement, les réseaux sociaux trouvent leur pertinence auprès de ceux et celles qui y entretiennent ou qui y bonifient leurs amitiés. D’autres personnes qui se sont perdues de vue s’y retrouveront alors que des inconnus y créeront de nouveaux liens durables. Néanmoins, il y en aura d’autres qui trouveront dans le Web 2.0 un miroir, joli miroir, qui leur dira dans leurs propres mots qu’elles sont les plus belles…
Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.
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