La présence à Montréal du studio d’Electronic Arts consacré aux téléphones mobiles est discrète, mais sa portée est mondiale. Son producteur exécutif André Lauzon expose les exigences du développement de jeux vidéos dans un créneau en constante évolution.
Depuis l’automne 2006, le studio de développement de jeux vidéos pour les ordinateurs et consoles EA Montréal est côtoyé à la Place Ville-Marie par le studio EA Mobile, dont les jeux sont destinés aux téléphones mobiles de tout genre. Ce studio émane de l’entreprise Jamdat Mobile, acquise par la maison mère EA en 2005, qui exploitait une filiale dans le Vieux-Montréal.
À l’occasion d’une visite des lieux, le producteur exécutif André Lauzon fait la révélation surprenante que 375 personnes oeuvrent à la création, au soutien technique et à l’adaptation dans ce studio. Un département de l’assurance de la qualité travaille en mode 24/7.
De huit à douze titres sont produits par année par l’équipe montréalaise. Il s’agit surtout des jeux occasionnels destinés au grand public, comme des adaptations mobiles des jeux de société Scrabble et Clue et des variantes du célèbre jeu Tetris, et de quelques titres sportifs. Le studio, qui produit aussi des titres sportifs, a récemment obtenu trois prix « jeu de l’année » de la part de publications spécialisées en divertissement mobile.
Mobilité multipliée
Alors que la création et la programmation d’un jeu requièrent de six à huit mois de travail dans un cycle de développement d’environ une année, le reste du cycle est consacré à l’adaptation et aux tests. La surprise de taille réside au niveau des plates-formes mobiles pour lesquelles les jeux doivent être adaptés : les jeux développés à Montréal étant destinés aux opérateurs de réseaux dans 52 pays des Amériques et de l’Europe, un jeu typique doit être porté sur 450 à 650 appareils différents!
Dans une salle surnommée « la voûte », M. Lauzon montre un grand classeur horizontal en mélamine dont les tiroirs contiennent plus d’un millier de téléphones qui se distinguent les uns des autres au niveau de la mémoire, de la qualité de l’écran, des performances en 3D, des commandes, etc.
M. Lauzon explique que l’amélioration de la qualité des écrans et de la puissance des microprocesseurs, les écrans tactiles qui changent la donne au niveau de l’interface et l’attrait généré par les appareils évolués des plates-formes iPhone, Blackberry et Windows CE améliorent l’expérience de jeu pour l’utilisateur et donnent des élans à la créativité du développeur. Néanmoins, il souligne l’importance d’assurer qu’un produit offre une expérience ludique aussi plaisante sur les appareils plus traditionnels.
« C’est un bon défi. On essaie de concevoir les jeux pour qu’ils soient performants et amusants sur des écrans tactiles de haut niveau et qu’ils procurent une expérience intéressante sur les téléphones bas de gamme. Pour un téléphone de moindre capacité, le jeu sera un peu différent. Il aura moins de fonctions, de modes de jeu, de ‘bébelles’, mais on essaie de conserver le coeur de l’expérience. »
« Ce qui fait un bon studio est le respect en tout temps de l’intégrité de chaque machine et l’utilisateur qui derrière jouera au jeu. Même sur un iPhone, ça ne pardonne pas si c’est plate. Il faut se concentrer beaucoup sur ce qui fait un bon jeu, sur le noyau du jeu (core play). On ne peut pas mettre des explosions et de la fumée pour cacher qu’un jeu est plate. Je suis vite confronté au fait que je dois aiguiser mes patins pour être sûr que c’est un bon jeu, alors que sur console, où le jeu est plus ‘immense’, on peut perdre de vue le noyau de jeu ou en récupérer un qui est flou par de l’action. Nous ne pouvons faire cela [sur un téléphone mobile]. »
À la perception que le jeu mobile est surtout propice à meubler le temps perdu, M. Lauzon répond que le tiers des utilisateurs de jeux mobiles s’amusent sur leur appareil à la maison, pour le plaisir. Bien que les données relatives à l’utilisation des plates-formes évoluées ne soient pas encore disponibles, il assure que le jeu accompagne dorénavant l’utilisateur partout, ce qui constitue une grande révolution.
« Ce qui crée plus de défis pour nous est de créer des jeux qui se connectent. Par exemple, nous avons fait le jeu Scrabble sur Facebook et sur iPhone, et depuis un mois nous avons joint les deux. On peut inviter des amis et commencer une partie asynchrone sur Facebook qui sera poursuivie sur son iPhone. C’est à 360 degrés », explique-t-il.
Il poursuit en donnant l’exemple de la plate-forme iPhone, d’avant-garde, qui permet de jouer à des jeux à plusieurs par une liaison Wi-Fi. La prochaine mouture de la plate-forme permettra aussi le jeu par le protocole Bluetooth, sans recourir aux réseaux des opérateurs.
Le monde est mobile
Tout comme on en fait était pour le jeu vidéo en général, le jeu vidéo mobile fait lui aussi l’objet du développement d’un écosystème au Québec, grâce à la présence de grands studios, des petites boîtes, des développeurs indépendants et des fournisseurs de services connexes. M. Lauzon se dit content des opportunités, qu’offrent les nouvelles plates-formes évoluées aux nouveaux joueurs dans le secteur.
« [L’avènement] des téléphones évolués permet de réduire le nombre de téléphones [à soutenir] pour un développeur, alors que la quantité de modèles à supporter représentaient un défi. Nous allons toujours le faire pour tous les téléphones, parce que cela vaut la peine. Mais en établissant une présélection, un petit développeur peut tirer son épingle du jeu tout en ne dépensant pas tout son argent en déploiement », constate-t-il.
Le producteur dit ne pas voir les autres joueurs de Montréal et du Québec comme des concurrents, en raison du caractère mondial du marché. « Si on est plus de monde à exporter en masse et avoir du succès, l’industrie devient plus robuste avec des gens de qualité et de talent qui réussissent à y gagner leur vie. C’est tant mieux si ça se démocratise. Toutefois, à un niveau d’affaires, on constate qu’il y a 6 000 jeux pour le iPhone. Si tu n’es pas parmi les cent premiers, tu es comme mort. Ce n’est pas parce qu’on peut le faire que cela va fonctionner. Mais avant, on ne pouvait pas le faire… »
D’ailleurs, la tendance des fournisseurs d’appareils évolués à ouvrir une boutique de vente directe de logiciels change la donne et l’équilibre entre les développeurs, en plus d’accroître le taux de pénétration des jeux sur les téléphones mobiles.
« Si c’est 5 % à 6 % sur un téléphone ordinaire, on s’attend à un plus gros multiple sur les nouvelles plates-formes. Si l’expérience de jeu devient plus agréable, ce sera 30 %, 40 %, 70 % des utilisateurs… On ne sait pas où cela va se rendre. Alors qu’on était loin de notre clientèle avec les téléphones traditionnels, où notre premier client est l’opérateur, les magasins en ligne nous permettent d’être plus près de la réaction des gens, ce qui nous pousse à faire de meilleurs produits. »
Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.