On nous a promis que nos maisons deviendraient intelligentes. On nous a fait miroiter les technos les plus « flyées ». Les années ont passé et rien ne s’est produit… Vraiment? Il pourrait en être tout autrement dans certaines résidences plus cossues. Rencontre avec un expert du haut de gamme! Nelson Dumais
Traiter de domotique, c’est parler d’équipement souvent onéreux auquel on confie des tâches domestiques de première nécessité tels l’éclairage, le chauffage, la sécurité, l’ambiance ou le divertissement. On parle ainsi de systèmes plutôt complexes pouvant transformer notre quotidien en mode Star Trek pour notre plus grand amusement ou pour le vif déplaisir de nos voisins jaloux.
Or, si par économie, on fait des concessions sur la qualité des composantes, on devra vivre avec la perspective de pannes et de bidouille, un malheur qui peut frapper en tout temps. Imaginez votre sans-fil qui intervient chez le voisin, votre porte de balcon qui vous isole à l’extérieur à moins 20 Celsius, votre serveur contrôleur qui vous oblige à une routine « chkdsk C : /r », et ainsi de suite…
Dans un article de 2003, je citais une de mes nombreuses « lois de Nelson » : « En tout temps, en tous lieux et par haine aveugle, toute composante
d’un système électronique ou informatique, matériel ou logiciel, fera tout ce qui est en son pouvoir pour en arriver à ne plus fonctionner, sinon pour continuer à le faire de façon gravement erratique, cela au pire moment qu’il lui sera possible de rencontrer. »
Cette loi, établie après vingt ans d’observations et de malchances, avait été publiée dans un texte sur les visées domotiques de Microsoft, une multinationale qui, à l’époque, m’avait beaucoup évangélisé sur cette question. La photo ci-contre illustre parfaitement bien mon propos. Je l’ai prise en 2008 dans un taxi de New York où le paiement par carte de crédit ne fonctionnait plus.
Vous vous souvenez de « Microsoft Mira » (mot espagnol signifiant « regarde »), une techno devant être intégrée à Windows XP, qui permettrait, où qu’on soit dans la maison, de consulter Internet, de regarder la télé ou de s’adonner aux joies indicibles de la bureautique? (voir ci-contre) Les gens pourraient accrocher leurs écrans Mira au mur, se les glisser sous le bras, les placer sur des bases de recharge électrique ou les laisser traîner sur la balançoire du jardin.
Vous vous rappelez de « Windows Media Corona », une révolution rendant possible le visionnement vidéo en haute résolution avec son 24 bits (6 canaux en Surround Sound et Dolby), sur des moniteurs WiFi, portatifs ou fixes, obéissant à des commandes tactiles?
Et avez-vous oublié la Smart Personal Objects Technology (SPOT) où Microsoft ferait communiquer tous nos électroménagers avec nos montres ou nos baladeurs? (Voir le cliché souvenir ci-bas) « Oh cool, mon frigo vient de m’informer qu’il s’est mis en mode dégivrage! »
C’était en 2003, époque folle où Bill Gates démontrait que le PC était au cœur d’un « écosystème complexe », c’est-à-dire qu’il était devenu assez brillant pour gérer Internet, la télé, la stéréo, la téléphonie, la sécurité,
le confort, etc., aussi bien à la maison que dans l’auto ou au chalet, bref, qu’il était en train d’apprendre à se connecter à n’importe quoi grâce à sa musculature qui ne cessait de se renforcer.
Effectivement, le processeur doublait de puissance à tous les 18 mois et, pendant ce temps, la bande passante mise à sa disposition se voyait multipliée par trois. Idem pour la capacité de stockage sur disque qui, elle, avait centuplé en 10 ans… Mais il y eut Windows Vista et, avec ce produit majeur, une certaine recrudescence des BSoD (Blue Screen of Death), ce qui ne put que saper la crédibilité des solutions domotiques de Redmond. En effet, personne ne voudra aller bidouiller dans un PC pour pouvoir redémarrer l’éclairage de sa maison, son chauffage, le système d’alarme, le déverrouillage des portes, etc.
Et même là, personne qui n’en aura pas les moyens – d’assez gros moyens – ne pourra s’aventurer sérieusement en domotique. Je vous parle ici de l’intégration dans un serveur domestique (boîte noire) d’une gamme variée de fonctions soi-disant essentielles à la qualité de vie domestique : éclairage, sécurité, chauffage, mécanique de bâtiment, accès à la propriété, musique, cinéma, communications, etc.
Écran tactile Crestron
Ce constat, c’est un expert qui me l’a affirmé, M. Benoît Alarie, président de Unel Électronique. Cette firme lavaloise, à l’origine d’installations majeures (centrale de Gentilly, universités McGill et Concordia et bien d’autres), aménage des systèmes de contrôle (ordi serveur) généralement de marque Crestron.
Imaginez une boîte noire à architecture ouverte RISC qui ne contient aucune pièce en mouvement et que l’on dit à l’épreuve de toutes les misères. On n’y trouve que puces, RAM et flash. De là s’étiolent les divers services domotiques à la carte parlant aussi bien la langue du protocole Internet (IP) que moi l’anglais de ma mère irlandaise.
Le client en a les moyens? On lui déploie la totale. Il peut même tout contrôler de son iPhone! Auquel cas, il peut s’attendre à une facture dans les six chiffres avancés. Il faut savoir qu’un projet de domotique représente, en moyenne, entre 6 et 10 % de la valeur de la maison. À lui seul, un système d’éclairage de qualité, p. ex. un Lutron, pourra coûter quelque cinquante mille dollars. Ainsi, une maison de 4 M$ pourra justifier une implantation domotique de 300 000 $, ce qui pourrait être acceptable quant au sérieux de la chose.
« C’est un marché pointu, résume M. Alarie, un marché où les clients vont inclure sans hésiter un système de contrôle de l’énergie à 200 000 $, ce qui va leur permettre d’économiser 2 000 $ d’électricité. » On comprend que les gens dont la maison est évaluée à moins d’un million de dollars n’auront aucun intérêt à se doter d’un tel système. « Quand la domotique devient ridicule, c’est là que le bât blesse. »
Il se vend bien sûr des systèmes moins chers, plus abordables, des dispositifs Elan, Control4, voire des patentes bidouillables les samedis avec l’aide du beau-frère. On peut même trouver des dispositifs basés sur la vieille techno X10. Et on peut considérer que des installations multimédias gérées par Windows Media Server dans une minitourelle HP ou Acer seront des projets relevants de la domotique. Mais la vraie, la fiable, l’authentique, la spectaculaire (incluant le contrôle des stores vénitiens), elle, est basée sur des équipements onéreux.
Est-ce un luxe pour fortuné? « Ça reste dans le domaine de la bébelle », répond, sourire en coin, mon expert. C’est un domaine non essentiel où les mots « gadget cool » peuvent avoir une connotation financière majeure. « C’est exactement la même chose que de triper avec une Porsche qui coûte les yeux de la tête en entretien », poursuit-il.
Autrement dit, c’est une clientèle en moyen qui a le goût de s’offrir ce petit « plus », une clientèle qui n’ira pas s’acheter « une Hyundai imitant une Jaguar », mais, sans l’ombre d’une hésitation, une « vraie Jaguar ».
Reste maintenant à savoir si je vais pouvoir survivre à la pensée de ne pas avoir les moyens de contrôler par iPhone les cycles de ma sécheuse, la chaleur de mon fourneau, l’éclairage de mon hangar ou le lecteur de codes à barres de mon frigo. Mais j’imagine que ma blonde va m’aider à y arriver…
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.