Délocalisation : c’est dans la tête qu’on est loin

La pression de la concurrence a amené un nombre croissant d’entreprises de service à délocaliser une partie de leurs activités. Il faut dire que la montée des TI a grandement facilité l’établissement et la gestion de liens par des organisations que des centaines ou milliers de kilomètres séparent les uns des autres. Mais peut-on parler de « mort de la distance »? Pas vraiment, du moins pour les entreprises qui ne feront pas très attention à bien gérer cette dernière.

On sait depuis longtemps – la mondialisation des entreprises manufacturières a précédé de plusieurs années celle des entreprises de service – que la distance compte en affaires.

Ainsi, il est plus compliqué d’instaurer un climat de confiance entre deux partenaires lorsque ceux-ci sont séparés l’un de l’autre par des centaines, voire des milliers de kilomètres, donc par une longue distance géographique. Entre autres, les représentants de deux organisations ont plus de difficulté à se rencontrer face à face lorsqu’il leur faut, pour ce faire, se déplacer pendant plusieurs heures en voiture, en train ou en avion. De même, l’organisation de réunions virtuelles est nettement plus difficile quand les participants doivent tenir compte du fait qu’ils ne travaillent pas à l’intérieur du même fuseau horaire.

La distance peut aussi être culturelle. D’une part, les entreprises ont parfois du mal à coopérer efficacement les unes avec les autres à cause de leur difficulté relative à utiliser la langue de leur partenaire ou, encore, une lingua franca comme l’anglais. Par exemple, l’accent des Indiens ne fait pas l’unanimité chez les consommateurs américains, ce qui paraît devoir limiter la croissance des centres d’appels dans ce pays d’Asie.

D’autre part, suivant le chercheur hollandais Geert Hofstede, tous les peuples ne composent pas de la même manière avec le pouvoir; tous ne réagissent pas de la même manière face à l’incertitude; tous ne laissent pas autant de liberté à leurs membres; et tous ne font pas autant de place à des valeurs comme la réussite ou l’entraide. Des différences profondes de ce genre peuvent grandement nuire à la confiance que se vouent les partenaires internationaux d’une entente de délocalisation.

Enfin, la distance peut être institutionnelle. Par exemple, les signataires d’une entente d’offshoring doivent souvent recourir à des experts pour tenir compte adéquatement du fait qu’ils ne sont pas nécessairement régis par les mêmes lois du travail ou de l’immigration.

Cela dit, jusqu’à quel point les TI et l’adoption de certaines pratiques exemplaires peuvent-elles aider les entreprises à relever les défis susceptibles d’entraver le bon déroulement de leurs ententes de délocalisation?

La distance selon 12 entreprises

Pour le savoir, nous avons interviewé 19 personnes réparties dans 12 organisations qui, depuis le Nouveau-Brunswick, la Belgique et la Lituanie, offrent des services de développement de logiciels, de recherche-développement, de consultation, de veille et de centres d’appels à des clients nord-américains, européens, asiatiques, africains du Sud, moyen-orientaux et australiens. Nous avons aussi examiné la documentation produite par ces compagnies et observé la manière dont elles se servent des TI dans le cadre de leurs échanges.

Grâce aux remarquables capacités de dissémination et d’archivage de l’information des TI, la distance géographique ne constitue plus un problème majeur pour les entreprises de notre échantillon. La distance conserve cependant de l’importance, puisqu’elle peut fortement compliquer la gestion que les organisations font de leurs activités.

Ainsi, les organisations séparées par de grandes distances ne peuvent pas toujours faire l’économie de longs et coûteux voyages pour assurer le bon échange d’information entre client et fournisseur. Et chaque fois que je me déplace, déplore un fournisseur lituanien, « je perds du temps et je perds de l’argent ».

La prise en compte adéquate du décalage horaire représente aussi un défi constant. « La plupart des retards auxquels nous faisons face sont causés par des variations de fuseau horaire », note un responsable de centre d’appels du Nouveau-Brunswick. Sans compter, ajoute un autre gestionnaire de cette province, qu’il faut parfois se présenter au bureau au petit matin pour accommoder un client transatlantique.

En comparaison, il demeure difficile pour les entreprises que nous avons étudiées de gérer les problèmes de distance culturelle qui les confrontent – problèmes pour lesquels les TI ne sont pas solution. Par exemple, un fournisseur belge s’est plaint de l’insensibilité générale de ses clients américains, qui ne comprennent pas « que l’on puisse avoir de la difficulté à parler leur langue et à percevoir certaines des nuances qui y sont introduites ».

Enfin, les questions de distance institutionnelles auraient été résolues facilement par les participants à notre enquête. Ainsi, les entreprises examinées se donnent généralement les moyens de protéger leurs arrières par la signature de contrats de qualité. Certaines utilisent même la distance institutionnelle à leur avantage, pour réaliser des gains sur le plan fiscal, par exemple.

La distance : une variable qu’on abolit lentement

Au-delà de ce qui précède, notre recherche a permis de jeter la lumière sur deux nouveaux éléments.

Premièrement, grâce en partie aux TI, distance réelle et distance perçue ne sont pas nécessairement synonymes. Il arrive ainsi que, pour des facteurs qui peuvent inclure la durée d’une relation ou l’existence d’un sentiment de complicité entre partenaires, des entreprises très loin physiquement ou culturellement l’une de l’autre se sentent malgré tout aussi proches que si elles étaient voisines. « Certaines différences culturelles nous séparent [de notre client], a noté un développeur de logiciels de Lituanie, mais on se connaît, on se visite beaucoup et on se voit face à face. Je ne dirais donc pas qu’on se sent très éloignés ».

Deuxièmement, l’un des secrets du succès de toute relation à distance, c’est l’adoption d’une approche formelle par les partenaires. En s’efforçant de communiquer l’une avec l’autre de manière claire et précise, en couchant les procédures à suivre par écrit, les entreprises qui sont parties à une entente d’offshoring peuvent considérablement réduire le risque que des erreurs se produisent ou que des problèmes de compréhension surviennent. Pour un fournisseur qui se sent relativement loin de son client, cela pourra signifier mettre les bouchées doubles pour envoyer des documents parfaits et des courriels exempts de la moindre coquille.

En conclusion, délocaliser vos activités quand une grande distance géographique, culturelle ou institutionnelle vous sépare de votre partenaire est possible, mais cela présente toujours des risques. Par conséquent, apprenez à connaître le partenaire d’affaires choisi, établissez les liens qui vous uniront à lui et, que ce dernier soit établi à Moncton ou encore en Roumanie, rapprochez-vous de lui progressivement – mentalement du moins.


Benoit Aubert est professeur titulaire à HEC Montréal. Suzanne Rivard est professeure titulaire à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion stratégique des technologies de l’information (TI). Mathieu Templier est détenteur d’une maîtrise en technologies de l’information de HEC Montréal.Pour obtenir plus de détails sur cette recherche, consultez Aubert, Benoit, Suzanne Rivard et Mathieu Templier (2009), The Impact of Distance on Offshore Business Relationships, Montréal, CIRANO, étude 2009s-05, collection « Série scientifique », consultée le 15 juillet à l’adresse http://www.cirano.qc.ca/pdf/publication/2009s-05.pdf.

La diffusion de ces résultats de recherche est rendue possible par une subvention octroyée par le Fonds de recherche sur la société et la culture (FQRSC) à Benoit Aubert (HEC Montréal), Bouchaib Bahli (Université Concordia), François Bergeron (Télé-Université), Anne-Marie Croteau (Université Concordia) et Suzanne Rivard (HEC Montréal) dans le cadre d’un programme de recherche sur la Gestion stratégique des technologies de l’information.

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