Des responsables des technologies au sein d’organisations et des dirigeants d’entreprises de l’industrie des TIC répondent à trois questions liées à la thématique de notre dossier.
Les invités:
Denis Deschênes Directeur, Services des technologies de l’information Université du Québec à Rimouski
Agnès Beaulieu Directrice générale Insertech Angus Montréal
Dominic Doré Vice-président, technologies de l’information Cascades Kingsey Falls
Comment les concepts de technologies vertes et durables changent-ils le cycle de vie des actifs informatiques?
D.Deschênes Je ne vois pas de différence au niveau du cycle de vie des ordinateurs de notre parc informatique. Depuis longtemps les ordinateurs économisent l’énergie, mais qu’ils aient des pièces vertes ou recyclables ne change pas grand-chose. Si au bout de quatre ou cinq ans un ordinateur est désuet, on le donne à une firme de recyclage. […] Ce n’est pas la présence d’une technologie verte ou durable qui fait qu’on change un ordinateur. D’autres facteurs ont davantage d’influence, notamment le recours à l’environnement Web. Au niveau des serveurs, l’utilisation d’appareils plus petits et la virtualisation ont des impacts sur la climatisation et la consommation d’électricité, ce qui entraîne des économies « vertes », mais surtout des économies d’argent.
A. Beaulieu Les technologies vertes contribuent à atténuer les impacts environnementaux des étapes de production et de fin de vie. Plus on allonge la vie des ordinateurs, plus on en allège l’impact environnemental. Mais il ne faut pas se leurrer: il faut réduire la consommation inutile et l’obsolescence planifiée des ordinateurs. La façon la plus efficace de prolonger la vie des ordinateurs consiste à les réutiliser au maximum. Il ne suffit pas de construire un ordinateur dont toutes les composantes sont recyclables. Le jeu de la concurrence fait en sorte que les fabricants tentent d’améliorer la performance environnementale de leurs produits. Néanmoins, un rôle gouvernemental et législatif accru est nécessaire, pour une responsabilité élargie des producteurs.
D. Doré Les impacts des technologies vertes et durables en TIC surviennent surtout au niveau de la consommation d’énergie. La miniaturisation des appareils permet de concentrer la puissance de traitement du matériel. Plus les années passent, plus on arrive à faire beaucoup avec moins. Tout dépendant de l’importance qu’on met sur le développement durable, cela accélère la désaffectation des plus vieux appareils et leur remplacement par des technologies plus puissantes et vertes. On « étire » moins les équipements, en raison des gains monétaires – la nouvelle technologie coûtant moins cher – et d’une meilleure utilisation de l’énergie.
Comment les applications Web et les logiciels services influencent-ils le cycle de vie du matériel technologique?
D.Deschênes Le Web, les nouvelles applications et les logiciels services nous obligent à segmenter le travail des gens selon leur secteur d’activité, afin d’acheter des ordinateurs en fonction de leurs besoins. Pour quelqu’un qui fait surtout du traitement de texte, la durée d’un ordinateur peut atteindre six ans. Mais pour une personne qui travaille en communication et se tient à jour sur tout ce qui est nouveau – ce qui est « Web », justement – il faut plus de mémoire, une carte graphique différente, etc. Or, la durée d’utilisation sera réduite souvent d’une ou deux années parce qu’à un moment l’ordinateur n’arrivera plus à faire le travail pour ce type de personne. Dans un laboratoire d’informatique où on utilise intensément le Web, on y change les ordinateurs aux trois ans parce qu’ils ne fournissent plus à la tâche. On transfère alors les appareils dans un autre laboratoire où le cycle est de cinq ans, et ils y font très bien le travail.
A. Beaulieu Ces nouvelles applications ont un impact positif sur le cycle de vie des produits, parce qu’elles amènent une certaine réduction de la consommation du matériel et une utilisation potentiellement et moins dommageable. Mais on ne peut pas multiplier la consommation ou continuer de consommer de la même façon sans se préoccuper de la réutilisation, sinon on n’aura pas changé grand-chose.
D. Doré Dans le cas d’un modèle d’utilisation de matériel en interne, la livraison de logiciels services, avec la réutilisation et la virtualisation des environnements, fait en sorte que le matériel devient plus que jamais accessoire. On devient indépendant de la plateforme. On se concentre beaucoup plus sur le service et moins sur ce qui est requis pour son fonctionnement. Le matériel ne devient plus un élément décisionnel.
Qu’est-ce qui caractérise le cycle de vie de l’informatique mobile? Quels en sont les impacts sur le cycle de l’informatique «fixe»?
D.Deschênes Nous avons de moins en moins de postes fixes, qui sont plutôt dédiés à des besoins particuliers. Les postes fixes demeureront dans des secteurs où les gens ont plutôt des tâches «sédentaires», avec un cycle de vie qui est assez long, surtout pour une économie de coût. L’ordinateur portable a un cycle beaucoup plus court que les postes fixes, soit aux deux ou trois ans. On utilise les technologies Web qui évoluent très rapidement, et pour employer de nouvelles fonctions, on doit mettre à jour des logiciels qui sont gourmands en mémoire. À un moment donné, l’ordinateur ne répond plus à nos besoins – mais il peut encore convenir à un autre utilisateur.
Pour les téléphones intelligents, c’est encore pire. On vit une guerre entre les fabricants, et la durée de vie est de deux ans au maximum. […] Les fournisseurs proposent des contrats de trois ans, mais il est rare qu’on puisse se rendre à la fin du contrat, puisqu’un appareil en vient à ne pas fonctionner avec une nouvelle technologie. J’espère que cette course ralentira un peu, car il en coûte cher de garder le rythme. On a déjà rencontré un phénomène semblable du côté des ordinateurs portables, jusqu’à ce qu’il y ait une standardisation.
A. Beaulieu Les produits mobiles sont conçus expressément pour avoir un cycle de vie très court, encore plus que l’informatique fixe. L’obsolescence planifiée y est particulièrement évidente. Ces appareils moins gros semblent avoir un impact moins important durant la production, mais comme leurs cycles de vie sont plus courts et qu’ils sont omniprésents, ils sont encore plus dommageables. En entreprise, ils sont un ajout à l’informatique fixe : on multiplie la consommation, ce qui a un impact environnemental plus grave. L’informatique mobile est moins réutilisable que celle qui est fixe. Les appareils vont directement au recyclage, ce qui est catastrophique. Les entreprises devront avoir une prise de conscience de leur responsabilité environnementale et sociale, pour se dire qu’elles doivent assumer leurs besoins technologiques de façon responsable.
D. Doré Depuis quelques années, on assiste à l’explosion de l’accessibilité des réseaux mobiles qui ont une bande passante semblable au mode terrestre. On n’a qu’à penser aux technologies 4G qui s’en viennent. Auparavant, les gens avaient un ordinateur fixe au bureau parce qu’ils pouvaient y exploiter plus d’applications plus rapidement.
Avec les ordinateurs portatifs et les téléphones intelligents, on atteint maintenant des vitesses d’exécution et de transmission qui sont semblables à celles des postes fixes. Les avantages de ces derniers disparaissent à « vitesse grand V ».
On devrait assister à un déclin assez important de la technologie fixe. J’envisage même une désaffectation accélérée, attribuable à l’intensification des avantages des technologies mobiles.