Selon toute évidence, le sursis dont ont bénéficié les entreprises jusqu’ici relativement à leurs obligations environnementales en matière de produits technologiques tire à sa fin. Bien que le cycle de vie des technologies soit une notion complexe, sur laquelle il est difficile d’exercer un contrôle, les entreprises ont un rôle à jouer à cet égard.
L’adoption de la politique québécoise de gestion des matières résiduelles est prévue à l’automne 2010. Cette politique, qui comprendra la responsabilité élargie des producteurs (REP) de produits électroniques, pourrait bien marquer le début d’une ère nouvelle dans la gestion environnementale des TI au Québec. Déjà motivées en ce sens par différents facteurs – pressions sociales, clients, concurrence, sensibilité personnelle des dirigeants, etc. – les entreprises devront vraisemblablement composer avec une réglementation plus mordante dans les années à venir. On peut penser, bien sûr, à la gestion des déchets électroniques, mais également à la toxicité des produits, qui est déjà réglementée en Europe.
Souvent citée en exemple pour sa contribution à la cause environnementale, l’industrie des TI n’en est pas moins un acteur important en termes d’impact sur l’environnement. Selon la professeure Corinne Gendron de l’École des sciences de la gestion de l’UQÀM, qui est titulaire de la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable, « la contribution des TI au développement durable est souvent présentée comme incontestable par l’effet de ses équipements sur l’environnement ».
Pour se faciliter la tâche à l’égard de la gestion environnementale des technologies, les organisations ont la possibilité de faire appel à la gestion du cycle de vie des produits, entre autres outils. On peut diviser le cycle de vie en cinq étapes fondamentales : extraction, production/transformation, distribution, utilisation et fin de vie. « Dans le cas des technologies, la conception et la fin de vie constituent des étapes cruciales », constate Mme Gendron. En effet, c’est à ce moment que l’on déterminera respectivement les matériaux entrant dans la composition du produit et la façon d’en disposer.
Autre facteur clé, la durée de vie généralement courte des technologies donne lieu à une multiplication des impacts environnementaux, indique Marie-Luc Arpin, analyste au Centre interuniversitaire de recherche sur le cycle de vie des produits (CIRAIG). Par exemple, un produit dont la durée de vie serait de seulement un an aura pour effet de multiplier par trois les impacts liés à un produit semblable, mais d’une durée de vie de trois ans. Depuis quelques années, les entreprises sont de plus en plus soucieuses de ces questions, estime Bruce Hartley, vice-président des affaires chez GEEP Ecosys, une entreprise montréalaise spécialisée dans le reconditionnement et le recyclage du matériel informatique.
Parallèlement, la stabilisation des environnements informatiques a contribué à améliorer la situation au cours de la dernière décennie. En effet, le remplacement des parcs informatiques se faisait au bout de six à douze mois au tournant du siècle, alors que la moyenne est passée aujourd’hui à environ trois ans, indique-t-il. En outre, les organisations ont souvent « étiré » cette durée de vie de plusieurs mois ces dernières années en raison du contexte économique difficile.
Cependant, il reste un bon bout de chemin à parcourir, selon lui. Souvent, les organisations négligent de faire des prévisions budgétaires relativement à la disposition de leur matériel en fin de vie, de sorte que, le moment venu, elles n’ont pas les moyens d’avoir recours à une solution adéquate. « Les entreprises se préoccupent des besoins d’affaires d’abord, précise Cyrille Maltot, directeur et chef de projet chez synAIRgis. Les considérations environnementales constituent “la cerise sur le sundae”», dit-il.
Pour Bruce Hartley, il y a deux éléments importants dont il faut tenir compte à la dernière étape du cycle de vie : la sécurité des données confidentielles et la disposition écologique du matériel. Relativement à ce dernier point, il importe de privilégier la réutilisation des équipements lorsqu’ils ont atteint leur fin de vie utile. Ce n’est qu’en fin de vie définitive que l’on doit recourir au recyclage. Chez GEEP Ecosys, on réusine chaque mois 40 000 pièces d’équipement, qui trouvent une deuxième vie dans une proportion de 60 %.
Selon Corinne Gendron, le respect de l’environnement dans l’industrie des TI passe non seulement par « la contribution potentielle du secteur à la modernisation de l’économie, mais par sa propre modernisation également. » Tôt ou tard, croit-elle, l’industrie devra se mettre à l’heure de l’écoconception, c’est-à-dire qu’elle devra « analyser et reconcevoir ses processus de production en regard d’une préoccupation écologique et sociale. » L’introduction de la dimension sociale dans l’analyse du cycle de vie contribuera à atténuer certaines problématiques de développement durable liées à l’usage, à l’accessibilité et à l’acceptabilité de la technologie.
Une des clés dans la modernisation de l’industrie des TI appelée par les environnementalistes réside peut-être dans un changement de paradigme en matière de responsabilité. Selon Marie-Luc Arpin, il faudra éventuellement cesser de chercher les responsables des problèmes. « Ce qu’il est pertinent de savoir, c’est que les problèmes entrent dans le cycle de vie des produits et que l’on doit les résoudre, dit-elle. Il faut regarder au-delà des simples notions de responsabilité et de contrôle. » Bien qu’il soit souhaitable, ce changement de mentalité n’est pas pour demain, reconnaît-elle. En attendant qu’il se réalise et que se modernisent les pratiques environnementales de l’industrie, les organisations peuvent contribuer à la cause et accroître leur efficacité en gérant adéquatement le cycle de vie de leurs produits.