Cour supérieure: Savoir-faire Linux contre la RRQ

Un fournisseur qui poursuit un client potentiel, voilà qui n’est pas banal. C’est ce que fait Savoir-faire Linux, une entreprise spécialisée dans le service et le développement de logiciels libres, en déposant une requête contre la Régie des rentes du Québec.

Fondée en 1999 et dirigée par Cyrille Béraud, la firme Savoir-faire Linux (SFL) conteste un « avis d’intention » de la Régie des rentes du Québec (RRQ) émis le 21 décembre 2007, soit quatre jours avant Noël. Par cet avis, la Régie indiquait son intention de procéder « sans appel d’offres » à la mise à jour des postes de travail de la Régie des rentes (contrat de quelque 720 000 $)

Selon la requête de Savoir-faire Linux déposée à la Cour supérieure le 14 mars dernier, la Régie ne pouvait procéder sans respecter la Politique sur les marchés publics ainsi que le guide de référence « Les logiciels libres et ouverts et le gouvernement du Québec ». Concrètement, le respect de ces deux ensembles de normes aurait empêché la Régie de procéder sans appel d’offres et l’aurait obligée à « considérer objectivement l’utilisation de protocoles et standards informatiques normalisés et libres de droits… »

En d’autres mots, la Régie aurait agi illégalement et en non-conformité avec les règles mêmes du Gouvernement du Québec, selon les prétentions de Savoir-faire Linux.

Mise à jour ou mise à niveau?

L’un des points que SFL considère inadéquats dans la démarche de la Régie des rentes concerne d’abord le libellé de l’avis de la Régie. À ce sujet, la requête de SFL indique que c’est un « Avis d’intention vicié dans sa formulation ». Pour appuyer son affirmation, l’entreprise et son avocat, Marc-Aurèle Racicot, prétendent qu’il s’agit, en fait, non pas d’une mise à jour, mais d’une mise à niveau. Citant un représentant de la Régie, le procureur de SFL écrit que ce représentant reconnaît lui-même qu’il s’agit de remplacer le système d’exploitation « Windows 2000 » et la suite bureautique « Office XP » sur les postes de travail.

Dans l’argumentaire du requérant, le fait que l’on soit en présence d’une mise à niveau et non d’une simple mise à jour disqualifie l’argument soutenant une procédure sans appel d’offres en faveur de Microsoft. Cette position repose sur le fait « qu’il est bien connu que les nouveaux logiciels 2007 de Microsoft, dont Vista, n’ont de commun avec les précédents que leur fonction et le nom de leur fabricant », affirme le requérant.

Politique des marchés publics

Cela dit, SFL passe ensuite à une étape supérieure en prétendant que la Régie a agi en contravention de la Politique sur les marchés publics.

Adoptée en 1999 et révisée en 2001, cette politique vise à garantir « que la passation des marchés s’effectue de manière rationnelle et transparente, tout en favorisant l’atteinte des objectifs de l’État ». Au nombre de huit, ces objectifs sont spécifiquement définis; ce sont, entre autres, l’efficacité et l’économie, la concurrence, la transparence ainsi que le développement économique et technologique.

La Régie a-t-elle intégré ces objectifs dans sa démarche? SFL répond non à cette question. Pour saisir le sens de cette réponse, il faut savoir que SFL a, le jour même de Noël, contacté la Régie pour indiquer manifester « son intérêt pour le projet en demandant plus de précisions concernant le choix de ne pas aller en appel d’offres ».

« Mon devoir »

De ceci a découlé un échange de courriels qui ont abouti à une rencontre entre la Régie des rentes du Québec et Savoir-faire Linux le 17 janvier 2008. Au cours de cette rencontre, Cyrille Béraud a proposé la mise à la disposition de la Régie, aux frais de SFL, d’un consultant expert afin d’aider la Régie à explorer la «capacité d’une solution logiciel libre à rencontrer les besoins informatiques spécifiques de la Régie».

Cette proposition est restée sans effet de sorte que SFL affirme dans sa requête en jugement déclaratoire, au paragraphe 32, que la « Régie n’a pas fait la preuve qu’elle avait effectué une recherche sérieuse et documentée qui démontrerait que Microsoft est le seul fournisseur à pouvoir répondre » aux besoins de la Régie.

Mieux – ou pire selon le point de vue – la « Régie n’a remis à Savoir-faire Linux que des documents génériques n’ayant rien à voir avec le marché faisant l’objet d’avis d’attribution ».

Autant les attaques contre la Régie sont fortes, autant Cyrille Béraud, rencontré au lendemain du dépôt de la requête reste calme devant cette tempête qui risque de souffler fort d’ici le 18 avril, jour où la requête sera présentée devant un juge de la Cour supérieure. Pourquoi avoir réagi ainsi, à ce moment et pour ce dossier? « Parce que c’était mon devoir, parce que notre entreprise est chef de file au Québec et au Canada pour le logiciel libre et parce que je suis intimement convaincu que mon entreprise, qui a des centaines de clients, est tout à fait capable de répondre adéquatement aux besoins de la Régie des rentes. »

N’a-t-il pas peur des représailles, soit d’être boycotté? « Non. D’ailleurs, ce dossier dépasse le cadre strict de la Régie. Il s’agit d’ouvrir la concurrence, de faire en sorte que ce soit le meilleur qui l’emporte et de permettre enfin aux administrations publiques de disposer d’un écosystème informatique dont ils soient les maîtres. »

Invité à commenter cette requête, le porte-parole de la Régie des rentes du Québec, Herman Huot, a déclaré ne pas vouloir commenter un dossier qui se trouve devant les tribunaux.

Références:

Avis d’intention de la Régie des rentes du Québec http://tinyurl.com/2tm36h La requête de Savoir-faire Linux sur le blogue de Savoir-faire Linux: http://tinyurl.com/38zon3 Politique sur les marchés publics: http://tinyurl.com/25zlej Guide de référence «Les logiciels libres et ouverts et le gouvernement du Québec»: http://tinyurl.com/yw3oe5


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