Quand un policier sanctionne le fait que vous ayez brûlé un feu rouge, on peut le contre-interroger dans le but de savoir s’il a bien fait son travail en vous imposant une sanction. Comment fait-on cela avec un cinémomètre photographique (photo-radar)?
Tout accusé a droit à une défense pleine et entière. Même pour une infraction au code de la route.
Cette phrase célèbre est vue par plusieurs personnes comme une façon pour des criminels de se tirer d’affaire en utilisant des « trucs » procéduraux. Cette opinion tend à changer le jour où ces personnes sont accusées d’un acte qu’elles n’ont pas posé. Ces personnes sont alors plutôt heureuses que des garanties procédurales existent dans le système canadien de droit criminel. Elles pourront se défendre.
Notre système de croit criminel, de juridiction fédérale, est basé sur une préférence : il est selon lui moins grave de laisser un coupable courir de temps à autre que d’emprisonner un innocent. Le système prend la liberté au sérieux et ne l’enlève que difficilement.
La défense pleine et entière inclut une opportunité pour l’accusé de poser des questions à la personne qui dit avoir été témoin de son infraction. A-t-elle bien vu? Son jugement a-t-il été affecté par des facteurs extérieurs? Était-ce bien l’accusé que le témoin a vu? Nous sommes en 2009 et il arrive régulièrement que la technologie remplace un témoin humain. Il suffit de penser à l’appareil qui détecte le taux d’alcool dans le sang ou encore les cinémomètres photographiques (photo-radars).
L’appareil a-t-il raison?
J’ai rencontré aux fins de cet article deux avocats criminalistes de Montréal: Me Christian Gauthier et Me Steven Slimovitch.
Ils m’ont expliqué que jusqu’à récemment, il était relativement facile pour un accusé n’ayant pas violé la loi de contester la mesure d’alcool dans le sang effectuée par un appareil de mesure de l’alcoolémie. L’accusé pouvait présenter des témoins attestant de la quantité d’alcool il a absorbé et quand, ainsi qu’un témoin expert confirmant que, compte tenu du poids, de l’âge, etc. de l’accusé, l’appareil ne fonctionnait certainement pas bien.
La loi a été modifiée récemment par le gouvernement Harper de façon à ce qu’il devienne nécessaire pour l’accusé d’expliquer de quelle manière, techniquement, l’appareil d’alcoolémie n’a pas bien fonctionné.
Cette façon de faire est présentement contestée au niveau constitutionnel devant les tribunaux, car elle fait en sorte, pour résumer, que l’accusé ne soit pas présumé innocent comme notre droit le veut. En effet, cette façon de faire a comme résultat qu’à partir du moment où l’accusé est trouvé en infraction par l’appareil, il lui incombe de prouver que l’appareil n’a pas bien fonctionné, chose qui lui est bien difficile, car il n’a pas accès à l’appareil.
Il y a certainement des rapports de calibration qui sont accessibles à l’accusé. Ces rapports peuvent démontrer que l’appareil fonctionnait correctement à une date et à une heure donnée, mais plusieurs sont d’avis que la nouvelle mesure, quant à l’explication néces-saire du mauvais fonc-tionnement de l’appareil, prive l’accusé de certains droits fondamentaux.
Les cinémomètres photographiques
Les technologies de l’information (TI) font ces jours-ci une percée remarquée dans le domaine des infractions à la circulation avec les cinémomètres photographiques. Ces cinémomètres photographiques prennent une photo des contrevenants à des règles d’arrêt obligatoire ou de limite de vitesse et une contravention est acheminée au propriétaire du véhicule ayant été pris en photo.
Il n’appartient pas à l’avocat chroniqueur de droit des TI de s’interroger sur la validité de la contravention expédiée au propriétaire du véhicule plutôt qu’au contrevenant; cela demeure néanmoins une excellente question!
Examinons plutôt le côté technologique. Vous savez bien que les dispositifs informatiques ont parfois des ratés (!). Parfois il suffit d’éteindre et de rallumer l’appareil et tout va mieux, parfois il faut en faire plus. Mais que se passe-t-il quand l’appareil « témoin de l’infraction » fonctionne mal alors que personne ne s’en est rendu compte?
Les collègues criminalistes interrogés mentionnent que ces cinémomètres photographiques, de marque et modèle approuvés par le gouvernement, devront régulièrement être calibrés et vérifiés : la vérification régulière pourrait devoir inclure une « fausse infraction » de la part d’un véhicule connu pour s’assurer que les cinémomètres photographiques fonctionnent adéquatement. Les rapports de calibration et de vérification devront être disponibles aux accusés, qui n’auront pas accès aux cinémomètres photographiques en question, pour démontrer le bon fonctionnement de l’appareil.
Quand les machines nous surveillent
Cela nous mène à nous poser la question sur les infractions constatées par des dispositifs technologiques. Dans le futur, il y en aura de plus en plus et les appareils seront plus complexes que le système de caméra vidéo d’un dépanneur…
Il serait totalement inacceptable en droit criminel qu’un gouvernement affirme que le policier Untel est un bon policier et qu’en raison de cette qualification, il ne soit plus nécessaire ou possible de l’interroger en Cour sur le processus d’une arrestation. On présumerait qu’il a respecté les droits de l’accusé, parce qu’il est un « bon policier », pourvu que ses collègues disent qu’il était en forme ce matin-là? Bien voyons.
Pourtant, un gouvernement approuve par loi ou règlement un certain nombre d’appareils (cinémomètres photographiques et autres aux enjeux plus importants qu’un billet de contravention) et ceux-ci sont dès lors présumés fonctionner correctement, s’ils fonctionnaient lors de leur dernière calibration.
Qu’arriverait-il à une demande d’accès au code source du logiciel embarqué, ou aux plans de l’appareil, de façon à vérifier son fonctionnement, son « raisonnement »? La compagnie ayant produit l’appareil refuserait certainement, alléguant la confidentialité de sa technologie. Qu’en est-il alors du droit à une défense pleine et entière?
Si vous êtes accusé d’une infraction alors que vous vous en défendez, vous pouvez scruter le raisonnement et la perception du policier qui dit en avoir été le témoin : pourquoi ne pourriez-vous pas faire de même avec le « remplacement technologique » du policier en question? Sait-on jamais, peut-être qu’un cinémomètre photographique attribue des infractions à tort quant il fait plus de 30 Celsius, élément indétectable par la calibration puisqu’elle se fait hypothétiquement à l’aube?
Ce n’est qu’un des nombreux enjeux qui se poseront devant les tribunaux dans les mois et les années à venir à ce sujet. Et il ne s’agit pas d’un film!
Michel A. Solis est avocat, arbitre et médiateur. Il oeuvre dans le secteur des TI depuis plus de 20 ans.