Des responsables des technologies au sein d’organisations, des dirigeants d’entreprises de l’industrie des TIC et des observateurs répondent à trois questions liées à la thématique de notre dossier.
Harold Boeck
Professeur et responsable de la concentration Gestion du commerce électronique, Faculté d’administration Université de Sherbrooke |
Sylvain Sénécal
Professeur agrégé, Service de l’enseignement du marketing Titulaire, Chaire de commerce électronique RBC Groupe financier |
Jean-François Renaud
Associé fondateur Adviso Montréal |
1. Quel obstacle restreint une PME à exploiter une boutique en ligne ?
Harold Boeck : L’obstacle des coûts n’existe plus : les logiciels à code source libre permettent d’établir une boutique en ligne à peu de frais, et les coûts associés à l’infrastructure sont minimes. On peut aussi opter pour une boutique hébergée qui ne coûte pas grand-chose. Les excuses financières et technologiques ne devraient plus avoir lieu en 2011.
L’obstacle principal se situe au niveau de la culture organisationnelle. Il faut avoir une vision que les technologies peuvent aider à créer de l’innovation et ne constituent pas seulement un centre de coût – les technologies peuvent procurer un avantage compétitif, et le commerce électronique peut être une source de valeur. Il faut se doter des bonnes ressources humaines et de la formation nécessaire pour exploiter le plein potentiel du commerce électronique. Surtout, il faut avoir de la volonté.
Sylvain Sénécal : Selon les plus récentes données de l’étude NETendances du CEFRIO, 65 % des PME ont un site Web, dont seulement le quart permettent l’achat en ligne, ce qui est peu. Deux hypothèses pourraient expliquer cette situation. D’un point de vue technologique, les PME ont-elle en interne les connaissances et les capacités techniques pour exploiter une boutique en ligne ? D’un point de vue stratégique, s’interrogent-elles sur la pertinence d’investir dans le Web alors que leurs affaires vont bien ? Il y a alors une inertie, un manque de vision.
Pour une partie des PME, le site Web ou le commerce électronique est bien à avoir, mais n’est pas essentiel, et on n’y met pas les ressources et les efforts nécessaires. C’est dommage, parce qu’au moins un tiers des consommateurs québécois visitent un magasin en fonction d’informations recueillies en ligne.
Jean-François Renaud : Les obstacles sont pratiquement toujours en interne : les coûts d’acquisition et d’intégration de la plateforme nécessaire font peur aux gens ; les ressources humaines sont souvent inadéquates – on confie souvent un projet aux gens des TI qui ne sont pas des spécialistes en marketing, ou vice-versa ; dans la culture d’entreprise, il y a souvent une mauvaise compréhension des bénéfices ou un manque de vision ; dans le secteur manufacturier, il y a souvent une peur de la cannibalisation des réseaux de distribution ; les expériences chaotiques du passé freinent des organisations pour un bon bout de temps.
Parfois, il y a un trop grand contrôle du département des TI. Le débat est souvent d’ordre technique, alors qu’il devrait être davantage d’ordre commercial. Il faut absolument une participation des gens de ces deux horizons.
2. Le commerce interentreprises a-t-il atteint son plein potentiel au Québec ?
Harold Boeck : Non. Premièrement, le Québec a toujours eu un retard face aux autres provinces canadiennes en matière d’adoption des technologies, que ce soit pour les téléphones mobiles, l’informatisation des ménages, Internet, le commerce électronique grand public, ainsi que le commerce interentreprises.
D’autre part, il faut considérer que cette discipline est en constante évolution. Il y aura toujours des technologies plus efficaces, ou bien une nouvelle plateforme qui intéressera des partenaires commerciaux avec lesquels on négocie. Par exemple, les puces RFID et le réseau de codes électroniques de produits (EPC) remplacent graduellement les codes à barres et modifient l’échange de documents informatisés. Plus tard, il y aura une évolution vers autre chose. Par ailleurs, il y a une émergence de l’utilisation des réseaux sociaux pour réaliser des affaires électroniques, que plusieurs utilisent avec succès pour le commerce interentreprises.
Sylvain Sénécal : Le commerce interentreprises n’a pas atteint son potentiel nulle part, et le Québec n’y fait pas exception.
À l’heure actuelle, le premier objectif d’un gestionnaire de site de commerce électronique interentreprises est la génération de pistes pour identifier des prospects commerciaux, alors qu’on a le réflexe de penser qu’une vente sera conclue en personne. Le deuxième objectif en est un de positionnement et d’image de marque, avec un site qui est surtout informationnel. Or, c’est rare qu’on aille plus loin que cette étape.
Par ailleurs, beaucoup de commerce interentreprises est réalisé par des PME, et ces dernières sont plutôt lentes à adopter le commerce électronique…
Jean-François Renaud : Non. Je donne souvent à mes clients l’exemple des moteurs de recherche : on y effectue moins de requêtes pour le commerce interentreprises, mais ces requêtes sont généralement pour des contrats de plus grande envergure. On y retrouve moins de compétition dans ce type de commerce, mais personne n’y est, sauf par accident.
Les PME laissent beaucoup d’opportunités sur la table parce qu’elles ne sont pas repérées par des acheteurs de partout dans le monde, car elles n’ont pas un site Web adéquat ni une offre bien décrite dans Internet. Elles ont de la difficulté à prioriser les ressources pour avoir une bonne présence sur le Web – elles sont prêtes à investir 25 000 dollars dans une foire commerciale, mais seulement 5 000 dollars sur un site Web.
Par ailleurs, on n’effectue pas de gestion ni de documentation pour la génération de pistes en ligne. Cela empêche une organisation de constater formellement le retour sur investissement d’un site Web, et de passer à l’étape suivante de développement de sa présence dans Internet.
3. Quelle est la clé du succès du commerce électronique adapté aux appareils mobiles ?
Harold Boeck : La clé d’une bonne application mobile consiste à bénéficier de la valeur ajoutée qui est propre à cette plateforme.
Par exemple, on peut recourir à la géolocalisation ou fournir de l’information qui est pertinente pour une personne en déplacement. Une bonne application répond à un besoin ad hoc ou spontané qu’une personne veut combler tout de suite.
Aussi, il faut que cette application soit localisable. À moins d’avoir une marque de très bonne valeur, il faut miser sur un référencement qui fonctionne différemment pour la recherche sur un appareil mobile évolué que pour la recherche sur un ordinateur conventionnel.
Sylvain Sénécal : Il existe trois clés de succès. La première clé est l’utilité ou la valeur ajoutée que procure aux clients une application ou un site Web adapté aux appareils mobiles. La deuxième clé consiste en la facilité de navigation et d’utilisation, alors que l’utilisateur doit employer ses pouces et un clavier restreint.
La troisième clé a trait au caractère « plaisant » de l’application ou du site, ce qui est plutôt subjectif : offre-t-on un aspect ludique ou social qui incite les gens à y retourner ?
Jean-François Renaud : Puisque le commerce électronique inclut l’achat sur le Web, mais aussi la découverte en ligne qui mène à un achat en magasin, il faut choisir les moments où le commerce électronique mobile « partiel » est vraiment nécessaire. Une offre peut être pertinente pour les achats impulsifs comme les enchères, pour les achats lors des déplacements, pour établir un point d’engagement hors des heures d’ouverture, etc.
La clé du succès consiste à procéder graduellement. On débute par un bon référencement qui fait apparaître l’entreprise sur les cartes géographiques en ligne, puis on établit un localisateur de magasin, puis on offre une version mobile de son site Web, avant de se lancer dans des fonctions avancées comme les coupons en ligne, la géolocalisation, les codes QR… Souvent, on veut tout faire tout de suite, alors que la base n’est pas bonne.