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Un de nos lecteurs nous témoignait récemment avoir perdu un spectacle de fin d’année d’un de ses enfants, pourtant gravé sur un DVD-R. Ingénieur de métier, il s’inquiétait de la pérennité des archives stockées sur des supports enregistrables. Analyse.

Dans le courant de l’hiver 2006, un physicien d’IBM spécialisé en stockage de données, l’Allemand Kurt Gerecke, avait lancé tout un pavé dans la marre des fabricants de supports optiques. Il avait démontré que les CD-R, ces disques utilisés partout, n’avaient une durée de vie que de 2 à 5 ans, bref, que l’humanité était en train de stocker sa mémoire sur du plastique conçu pour le court terme. La presse mondiale avait repris l’affaire, ce qui avait soulevé un certain courant d’inquiétude dans les organisations où l’archivage des données se faisait sur CD-R.

Personne n’ayant alors infirmé les allégations, les intéressés s’étaient informés sur les sites officiels, p. ex. ceux de Bibliothèque et Archives Canada ou de la OSTA (Optical Storage Technology Association). Ils avaient pu y lire toutes les nuances du monde, par exemple, que selon la qualité du CD-R, sa marque, la méthode d’enregistrement, la température, l’éclairage, la manipulation et le mode de stockage, on pouvait envisager une espérance de vie variant entre… 5 et 200 ans, voire entre… 50 et 200 ans, une « probabilité potentiellement possible » (5 ans, faudrait vraiment être malchanceux, et 200 ans, c’est quand même deux siècles…), qui eut comme effet de calmer les appréhensions et de faire retomber la poussière.

Depuis, la situation a continué de s’aggraver. On place désormais les DVD-R dans le même panier, cela même si les modes de fabrication sont différents. On attribue à ces supports une durée de vie variant entre 3 et 25 ans. Exactement ce qu’a vécu notre fidèle lecteur, qui a vu son enregistrement sur DVD-R disparaître au bout de 3 ans.

Quant aux CD ou aux DVD réinscriptibles, les RW, ils obéissent à d’autres lois et, dit-on, seraient encore moins fiables. Qui plus est, les CD-R et les DVD-R se vendent aujourd’hui partout, beaux, bons, pas chers, en boîtes de 50 ou de 100, aussi bien chez Maxi et Jean Coutu que chez Rossy et au Dollorama.

Des techniques instables

Mais voilà qu’un an et demi après la mise en garde de Kurt Gerecke, un autre chercheur européen, Franck Laloë, souffla dans la corne de brume. Directeur de recherche émérite au CNRS, il reprit à son compte l’inquiétante thèse dans un article publié par le magazine Pour la science. « Jamais, dans son histoire, écrivit-il, l’humanité n’a utilisé des techniques aussi instables pour conserver et transmettre l’information aux générations futures ».

Si on en croit ce scientifique français, on peut imaginer que dans cent ans, des stèles gravées dix mille ans avant le Christ continueront de nous raconter l’histoire des pharaons et des livres imprimés en 1590 perpétueront les us et coutumes de la Cour d’Henri III. Par contre, des données administratives, médicales, scientifiques, musicales ou littéraires « brûlées » sur DVD-R en 2008 auront peut-être disparu ou seront devenues illisibles. La techno permettant de les consulter aura disparu ou le média se sera irrémédiablement détérioré. À moins que tout soit encore en parfait état de lecture. Qui sait?

Le pire, ajouta le professeur Laloë, c’est que « pour une raison mystérieuse, il semble exister une espèce de tabou qui fait que la gravité du problème est passée sous silence. » À l’heure où on fonce à plein tube dans la nouvelle technologie Blu-ray, un support conçu pour stocker des tombereaux d’information (type divertissement), personne ne se préoccupe de la durée de vie de ces produits. Les technos suivent les modes qui passent. Dans les années 80, les CD coûtaient cher, dans les années 90 c’était au tour des DVD et, aujourd’hui, c’est le cas des Blu-ray. Dans combien d’années les boîtes de 50 Blu-ray pour 10 $ chez Pharmaprix?

La mort subite des Zip

Un triste exemple pas si lointain est celui des fameux Zip Drives, des dispositifs d’archivage très pratiques fabriqués aux Philippines ou en Malaisie par la californienne Iomega. Entre 1996 à 1998, ces petits appareils (heureusement pas tous) furent affligés de ce qui fut appelé le « Click of Death » (clic de la mort). Sans préavis, certains (dont celui qu’utilisait alors le soussigné) cessaient soudainement et définitivement de fonctionner en raison d’un micro problème mécanique. Au lieu d’obéir aux commandes de l’utilisateur, ils se contentaient d’émettre un clic sinistre.

Cette « mort subite » pouvait se produire n’importe quand, sans relation avec l’usure. Mais le pire, c’est que pendant une certaine période juste avant qu’il ne rende l’âme, une période plus ou moins longue selon la « chance » de l’utilisateur (heures, jours, semaines, mois), le Zip défectueux se mettait à enregistrer ses cartouches de façon à ce qu’elles ne puissent être lues que par lui (problème particulier d’enlignement des têtes). À l’échelle mondiale, la perte de données fut effarante et Iomega fut lourdement discréditée. Je me souviens qu’à la fin 1998, j’avais interviewé un entrepreneur de Trois-Rivières qui avait ainsi perdu trois ans de comptabilité d’entreprise.

La solution? Les disques rigides et leurs milliers de composantes trop fragiles ne sont pas des exemples de durabilités, bien au contraire. Les rubans magnétiques? S’ils sont généralement plus fiables que les CD-R ou DVD-R, les dispositifs pouvant les lire sont en train de passer au monde de l’obsolescence. À tout le moins, on peut se demander s’il s’en fabriquera encore dans 25 ans d’ici. Y aura-t-il des ordinateurs en 2058 capables de communiquer en LPT1 ou en USB avec un DAT? Les grands serveurs de stockage gérés par des firmes ne fonctionnant qu’en impartition? Bon nombre d’entreprises ne croient pas avoir la taille ou les moyens pour aller dans cette direction. Les services d’archivage Web? Les preuves de fiabilité et de confidentialité restent à être établies dans la tête de nombreux gestionnaires. Et ainsi de suite.

Par ici les copies!

Malgré cela, Kurt Gerecke et Franck Laloë sont d’avis qu’il ne faut quand même pas prendre de chance. Faute de mieux, il faut mettre au point un système épisodique de recopiage, ce que font d’ailleurs certaines bibliothèques. À toutes les X nombre d’années, on a repiqué sur de nouveaux supports, la totalité de ses archives en y allant tablette par tablette… un jour à la fois.

Évidemment, cette solution est une aberration de taille. L’homme qui a marché sur la Lune, qui a endigué la poliomyélite et qui a adapté les finances mondiales aux contraintes du réseau Internet, n’est pas capable (ou n’est pas intéressé) de concevoir un support fiable, en mesure de survivre au temps, du moins à une partie du temps. Idem pour les Sony, Panasonic, Mitsubishi, Hitachi, HP et autres Apple derrière la Blu-ray Disc Association qui ne pensent qu’à bien occuper le marché des dix prochaines années. « Les forces du marché sont incapables à elles seules de développer des supports d’enregistrement ayant une durée de vie raisonnable, comparable par exemple à celle d’un document écrit sur papier », de déplorer Franck Laloë.

Que faire, face à cet état de fait, sinon sensibiliser les pouvoirs publics et leurs clientèles d’électeurs? Après les « Sauvons la planète », entreprendre les « Sauvons la connaissance »? En ce sens, la mise au point d’un système d’archivage capable de fiabilité et de pérennité est-il d’abord et avant tout, un problème politique?

Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.


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