Il ne se passe pas une journée sans que je lise une grossière fausseté ou une information qui me laisse perplexe.
« C’est sûrement vrai, puisque c’est écrit! » On a tous entendu un pince-sans-rire nous réciter, un jour, cette idiotie dont l’infini potentiel de sottises est particulièrement bien illustré dans cette histoire d’animatrice radio publiée en septembre 2004 sur le site Monde Solidaire. Prenez le temps de la savourer, elle en vaut la peine. De là à pointer vers des sites négationnistes, créationnistes, raëliens, voire sur celui de Vers demain, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas. Pas plus que je vais commenter la fausse nouvelle sur Last.fm qui aurait fourni des données aux flics de la RIAA, ou encore sur Trig Paulin, le fils « petit-fils » de 4 mois de la gouverneure de l’Alaska Sarah Paulin, ni celle sur l’infarctus de Steve Jobs survenu en octobre dernier (bravo CNN iReport!), ou encore sur cette pièce d’anthologie concernant ces 4 000 Juifs new-yorkais qui ne se seraient pas présentés au travail le 11 septembre 2001, ou sur ce classique voulant que le maïs soufflé éclate s’il est trop exposé à un téléphone cellulaire, enfin ces faussetés répandues comme étant véridiques par certains partis politiques. Mais d’entrée de jeu dans mon propos, je ne peux que vous référer au site Web All About Explorers, une trouvaille intelligente mise à la disposition des enfants pour leur apprendre à ne jamais croire l’aphorisme cité en début de chronique. Si vous prenez le temps de lire le premier paragraphe de la fiche sur Jacques Cartier où vous rencontrerez au moins une erreur de fait pas ligne, vous comprendrez ce qui anime les promoteurs du site. Voici d’ailleurs ce qu’ils en disent : « All About Explorers a été créé par un collectif d’enseignants afin de montrer aux enfants ce qu’est le réseau Internet. S’il est vrai qu’il peut constituer une source phénoménale d’information sur un thème donné, il est aussi vrai que les écoliers n’ont généralement pas l’habilité d’y départager l’info utile de celle qui est sans valeur. D’où ces exercices destinés aux enfants de l’élémentaire où nous démontrons que ce n’est pas parce que l’info est disponible dans les moteurs de recherche qu’elle a nécessairement de la valeur. » (traduction libre) Pourquoi est-ce que ce matin je surfe autant sur le farfelu? Pas pour dénigrer les gens qui croient aux soucoupes volantes, à l’exactitude biblique, à l’Immaculée Conception ou au complot israélo-CIA relativement au 11 septembre 2001. C’est leur affaire, leur droit et leur vie. Je ne leur reproche que de confondre « croyances en des dogmes » et « réalité objective de faits vérifiables », nuance que ne saisit pas Google quand il propose des pages. Je les place ainsi, ces gens, au même niveau que tous ces sites-forums-blogues-webzines qui publient n’importe quoi sur le Net dans le seul but de s’attirer des visiteurs uniques et de générer des clics.
Je vous parle de ce déplaisant phénomène parce que je suis essentiellement un journaliste-testeur de produits informatiques qui passe de nombreuses heures sur Internet, qui y perd beaucoup de temps à aboutir sur des sites gavés d’information bâclée, complaisante ou fausse et qui en a ras le bol de trop souvent être perçu comme cet empêcheur de tourner rond qui, l’abruti, n’a su faire fonctionner adéquatement le merveilleux produit mis au banc d’essai alors que tout le monde et sa soeur en disent du bien. Le scénario est le suivant. Un fabricant m’envoie un bidule pour que je le mette à l’essai afin d’en tirer un article. J’ouvre la boîte, j’assemble ou j’installe ce que doit, je branche, je taponne et me fais une première idée. Ensuite, je tape le nom du produit suivi du mot « review » dans Google. J’obtiens généralement une liste extravagante de fiches, la plupart provenant de ces sites où on ne fait que citer des produits afin de générer le trafic nécessaire au fonctionnement d’AdSense. Dans la masse, il y a aussi des blogues, incluant celui du col bleu de Sioux Falls qui s’est positionné comme expert Microsoft et celui du rentier de Toronto qui en a fait autant comme docteur ès gadgets. Il y a également les webzines gavés de pub où on publie souvent de très belles photos. Enfin, il y a les grands canards, les PC Magazine, Tom’s Hardware, Byte et autres ZDNet, des sources d’information où on a les moyens de produire des textes crédibles. Et qu’est-ce que je glane? 95 % des incidences googlesques ne m’informent pas mieux que ne l’a fait le communiqué de presse ou la brochure marketing qui accompagne le produit : il est bon, il est beau et il fait le travail, le produit. De toute évidence, nombreux sont ces sites qui ne l’ont pas vraiment eu entre leurs mains. Pire, la majeure partie de ceux qui l’ont eu, n’ont fait que des vérifications de base : ça semble fonctionner, les « tites lumières » s’allument, Windows ne semble pas souffrir, donc, tout est beau. On résume l’info fournie par le fabricant, on fait une photo, on glisse un truc ou deux glanés ailleurs et on publie. Puis on passe à autre chose. Quant aux grands médias, on omet généralement de mentionner le nombre d’heures consacrées à tester le produit. Ce ne sont pas des pigistes « payés au papier » qui sont à l’œuvre, mais, souvent, des employés permanents pour qui la notion de temps n’a pas la même signification que pour le soussigné. Et très souvent, ces analyses ou pseudoanalyses sont suivies de commentaires publiés par des utilisateurs anonymes, des commentaires accompagnés de cotes sur cinq ou sur dix, d’étoiles, de pouces et tutti quanti. Vous êtes-vous déjà demandé qui étaient ces gens qui prenaient le temps d’encenser ou de crucifier un produit? Des admirateurs? Des employés de la concurrence? Des vrais consommateurs heureux ou frustrés? Des revendeurs désœuvrés? On ne peut qu’être sceptiques.
Un petit exercice? Tapez « HP EX487 MediaSmart Server Review » dans Google. La première fiche qui apparaît est celle de PC Mag qui dit énormément de bien de cette machine haut de gamme, suivie de celle de Slashgear qui n’en dit pas de mal. La troisième est celle d’Engadget qui se contente de nous téléporter chez les admirateurs de la techno MediaSmart Servers. Après, plus on descend dans la liste des fiches, plus ça se dilue. SmallNetBuilder ânonne autour de l’info HP et annonce qu’il va publier une vraie mise à l’essai bientôt. Computerworld nous réfère à ce que son journaliste a aperçu au Macworld de janvier dernier, mais qu’il n’a de toute évidence pas essayé : le MediaSmart Server fonctionne avec la Time Machine du Mac OS X. Et ainsi de suite. Donc, après un tel survol, tout me laisse croire que ça marche. Alors, moi le pigiste isolé sans collègues informaticiens à portée de main, je me lance. Et je souffre. Vous connaissez la loi : « tout ce qui peut foirer, foire du mieux qu’il le peut ». Dans le cas du MediaSmart, j’ai tellement mis de temps, j’ai tellement bûché, sacré, téléphoné chez HP, que j’en ai tiré trois papiers dont vous pouvez prendre connaissance si, dans la phrase que je vous ai demandé de taper dans Google, vous remplacez le mot « Review » par « Dumais ». Il est probable que ce seront les premiers textes un peu négatifs que vous pourrez lire sur cette machine. Même qu’aujourd’hui, si j’avais à en écrire un quatrième, avec tout ce que j’ai appris depuis jusqu’à ce que je doive retourner la machine à HP, ce serait encore pire. Il irait dans le sens de ce que trop de consommateurs ont vécu avec les MediaSmart depuis que ces produits sont en vente. Mais vous risquez de chercher longtemps avant de trouver une telle info sur le Net. Et c’est ainsi dans tout. Par exemple, pour une personne qui va vous démontrer que Windows Vista 64 est un bon produit, vous allez en trouver 99 qui vous en dire des horreurs et qui vont en profiter pour publier une photo de Steve Ballmer en train d’amuser la galerie. Pas plus tard que lundi, j’ai travaillé une journée complète pour tester un petit téléphone 3G dont personne ne disait vraiment de mal. Or, dans les délais qui m’étaient impartis pour en tirer un article et le mettre en ligne, je n’ai jamais pu trouver le truc pour envoyer un courriel. Avoir eu le temps ou les moyens, j’aurais recommencé le lendemain, téléphoné au fabricant, consulté un collègue, jusqu’à ce que le bidule fonctionne et cette difficulté n’aurait pas vraiment parue dans l’article. Ma réalité professionnelle a plutôt fait en sorte que j’ai publié mon texte en disant la vérité : « en plus de huit heures de zigonnage je ne suis pas arrivé à utiliser la fonction courriel ». Fouillez sur le Net, vous ne trouverez cette info nulle part ailleurs. Suis-je incompétent ou suis-je victime de mon isolement, de mon temps limité ou de ma crainte de publier une fausseté? Pour vivre, un site Web a besoin de pub. Pour en avoir, il faut des visiteurs. Ceux-ci apparaissent si Google les y envoie. Il les envoie s’il y a apparence de contenu. Mettre du contenu représente des coûts. Placer un contenu favorable est facile et peu onéreux. Publier un texte plus critique coûte cher en temps, voire en salaire. Brassez tout cela et faites-en une équation, vous mettez le doigt sur le sentiment de frustration que je ressens régulièrement. Dans mon cas particulier de pigiste isolé, je me fais un devoir de n’investir jamais plus qu’une journée de travail sur un produit, à moins d’un produit exceptionnel, p. ex le SmartServer, ce qui me différencie des scribes salariés par les gros cybermédias. Cela implique, notamment, de ne pas perdre de temps sur des sites qui ne me disent rien. J’ai une liste d’URL généralement fiables et je ne m’en tiens qu’à elles. Si les blogues citoyens, amateurs ou semi-pros sont sympathiques et essentiels, je ne les visite malheureusement jamais. Quand vient le temps de parler d’une imprimante ou d’un logiciel graphique, les opinions ne m’intéressent pas et les prises de position m’énervent. Seule m’importe la bête réalité de tests et de résultats. Autrement dit, je ne consulte que les sites où on a les moyens financiers et professionnels de mettre du contenu sérieux en ligne. En ce sens, l’abominable pollution d’information bâclée ou fausse dont souffre le Net me fait généralement paraître comme étant un incompétent. Quand on est le seul à dire du mal d’un produit alors que tout le monde va en sens contraire, vous risquez d’être perçu comme étant le mauvais soldat de la parade. Mais peut-être suis-je aussi incompétent. Allez savoir!
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.