Au Centre national d’animation et de design (Centre NAD), à l’Université de Montréal et à l’Université de Sherbrooke, on accueille avec une certaine prudence le dépôt du rapport entourant la création du Centre numérique de Montréal.
« Pour le moment, le projet demeure une liste de souhaits de l’industrie du jeu vidéo. Nous n’avons pas encore toutes les réponses à nos questions », dit Louis-Martin Guay, professeur adjoint et coordonnateur du DESS en design de jeux École de design industriel de l’Université de Montréal.
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Après le Campus Ubisoft, place au Centre numérique de MontréalLe directeur adjoint du Centre de formation en technologies de l’information (CeFTI) de l’Université de Sherbrooke au campus de Longueuil, Claude Cardinal, abonde dans le même sens : « Tout dépend comment le centre va opérer. Un des souhaits, c’est qu’il permette de réduire le nombre d’intervenants entre l’industrie du jeu et les maisons d’enseignement », dit-il.
M. Cardinal soutient que l’Université de Sherbrooke procède à une réévaluation annuelle de ses programmes d’enseignement et fait souvent appel à des professionnels dans divers industries pour participer à des groupes de discussions : « Si j’ai besoin de faire un seul appel téléphonique et que le Centre numérique s’occupe ensuite de m’envoyer tous les intervenants dont j’ai besoin, ce sera une très bonne chose ».
De son côté, la directrice générale du Centre national d’animation et de design (Centre NAD), Suzanne Guèvremont, affirme que le Centre pourra être bénéfique dans la mesure où il ne sera pas un lieu physique mais plutôt un moyen pour les entreprises de manifester leurs besoins de formation : « Ce qui est intéressant c’est que les entreprises ont manifesté haut et fort leur volonté d’investir dans leurs ressources, un comportement responsable qui devrait profiter à la bonne santé de l’industrie du jeu vidéo », dit-elle.
Difficile de satisfaire toutes les demandes
Toutefois, les établissements d’enseignement préviennent qu’il leur sera impossible de s’ajuster à aux demandes de l’industrie si ces dernières sont trop pointues.
« Si l’industrie souhaite, par exemple, que nous formions des programmeurs Flash à la session d’automne et des programmeurs C++ à la session d’hiver. Ce sera impossible de nous ajuster à des changements de demandes aussi drastiques », prévient Claude Cardinal.
« À l’Université de Montréal, il faut attendre au moins 12 mois pour des changements mineurs à nos programmes et 18 mois pour des changements majeurs », explique Louis-Martin Guay. À ce niveau, ce dernier souligne que la création du centre fait partie d’un plan sur trois ans, ce qui est très court.
De plus, M. Guay soutient que les besoins des studios peuvent être semblables sur certains points et totalement différents sur d’autres. Il est donc pratiquement impossible d’offrir des formations qui sauront répondre aux exigences de tous les studios. Au niveau du design, par exemple, les besoins ne sont pas les mêmes pour un jeu gratuit disponible sur Facebook que pour une production AAA à gros budget.
Mme Guèvremont estime que l’échéance de trois ans sera l’occasion de faire un premier bilan afin de voir si les stratégies adoptées par le Centre numérique auront fonctionné : « Le plan démontre que les maisons d’enseignement répondent bien à la demande du côté de la formation initiale », dit-elle. À son avis, le défi est donc de former une main d’œuvre qui est soit déjà à l’emploi de l’industrie du jeu afin de la rendre plus spécialisée, ou de permettre à des travailleurs de niveau intermédiaire ou avancé (dans d’autres secteurs) d’apprendre les rouages de la production de jeux vidéo.
La directrice générale du Centre NAD dit espérer que le plan de l’Alliance numérique soit suffisamment flexible pour permettre aux maisons d’enseignement de stimuler l’offre de formation plutôt que de lui imposer un cadre trop rigide. « Il faut miser sur la qualité en laissant suffisamment de marge aux écoles pour proposer des cours de haut niveau, où le prix de la formation ne sera pas nécessairement le seul critère de choix. En somme il faut laisser le soin aux experts, soient les maisons d’enseignement, de faire leur boulot », affirme-t-elle.
Claude Cardinal et Louis-Martin Guay expliquent également que le rôle des universités n’est pas de servir une industrie en particulier, mais bien d’offrir de multiples possibilités à leurs étudiants. M. Guay trouverait par exemple très risqué que tous les Cegeps se mettent à offrir des formations similaires pour répondre aux exigences du Centre numérique, car cela pourrait provoquer une « pensée unique » qui deviendrait éventuellement un handicap pour l’industrie du jeu vidéo.
Aucun échéancier n’a encore été avancé quant à la mise en place du Centre numérique de Montréal.