Se mettre en valeur, se démarquer, être agile et réactif. Ce ne sont plus les ressources, mais les entreprises qui doivent s’activer pour combler les postes en TI et conserver leurs employés.
La pénurie des ressources humaines en technologies de l’information est une réalité qui fait déjà couler beaucoup d’encre. Plusieurs organisations, comme celles qui sont regroupées au sein de la Coalition canadienne pour une relève en TI, ont annoncé leur concertation pour que la situation s’amenuise. En attendant, les entreprises font face à des enjeux concrets d’obtention, de progression ou de rétention du personnel.
Benoît Leduc est chargé de projets, ressources humaines chez TechnoCompétences, un organisme consacré à la promotion de la main-d’oeuvre en technologies de l’information. Dans l’industrie québécoise des TI, il observe un avantage dans le rapport de force de l’employé face à l’employeur, et il croit que le déséquilibre s’accentuera si la pénurie se poursuit. Cette situation se transpose aux entreprises des autres secteurs qui sont touchées par un manque d’effectif.
M. Leduc indique que les employeurs offrent déjà des programmes et des stratégies de rétention qui sont très alléchants pour les employés. « Les PME sont plus créatives, note M. Leduc. Elles ont plus de flexibilité, ce que n’a pas la grande entreprise parce qu’elle est prise dans une structure beaucoup plus rigide. La PME est capable de se démarquer, et beaucoup d’employés qui sont dans de grandes entreprises vont du côté de la PME en raison de ces nouveaux programmes. »
Il ajoute que l’entreprise doit vendre l’ambiance de travail, les projets intéressants et la création, plutôt que le salaire, démontrer le dynamisme de l’organisation et surtout l’impact de l’employé sur le produit final.
M. Leduc confirme que les technologies de l’information occupent une place beaucoup plus stratégique qu’avant et qu’elles font maintenant partie prenante des décisions d’entreprise, ce qui rehausse l’importance des ressources humaines qui y oeuvrent. Mais la volatilité de la main-d’œuvre fait que la frontière entre la stabilité et la précarité des ressources en entreprise devient mince…
« Lorsqu’un employé dit qu’il a obtenu [de meilleures conditions] ailleurs, généralement l’employeur ne dit pas ‘Je te souhaite bonne chance’, mais ‘Voici ce que je t’offre’. On veut que les ressources spécialisées et compétentes qui sont dans l’entreprise restent, parce lorsqu’elles partent, elles quittent avec le savoir », mentionne-t-il.
Relativité
Si les enjeux liés aux ressources humaines sont plus prononcés dans les entreprises de l’industrie même des TI et dans les entreprises fortement informatisées d’autres secteurs, la réalité est différente dans d’autres types d’organisations.
Daniel Beaupré, le directeur de l’Observatoire de gestion stratégique des ressources humaines de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal, met les choses en perspective.
Il souligne que la PME qui s’est dotée de progiciels est assujettie à la connaissance d’une ou deux personnes qui, lors d’un départ, laissent l’entreprise aux prises avec de sérieux problèmes. Mais il croit qu’un changement de perception envers les ressources en TI est difficile à affirmer, puisque les problématiques de main-d’œuvre caractérisent aussi d’autres corps de métiers.
« Il est difficile d’isoler les personnes des TI et de dire qu’on leur accordera une attention particulière, indique M. Beaupré. On demande aux entreprises : quelles sont vos compétences principales? Qui sont les employés les plus importants? Dans certains cas, ce sera les TI, mais dans d’autres, ce sera des types d’emplois [différents]. Ces catégories un peu privilégiées auront une attention particulière en ce qui concerne la rémunération ou seront gratifiées davantage pour assurer une rétention plus élevée. Cela dépend de l’organisation et de son contexte. »
Quant à l’importance accrue des ressources en TI, M. Beaupré croit qu’il est difficile de faire cette affirmation dans le contexte économique québécois.
« Environ 96 % des entreprises sont des PME qui font marcher notre économie et créent plus d’emplois que la grande entreprise ou l’organisation, souligne-t-il. Elles n’ont pas toujours quelqu’un en ressources humaines, elles ont parfois des gens en TI, mais elles ont surtout des logiciels maison ou des bases de données Excel.
« Les gens en TI deviennent importants parce qu’ils font fonctionner les processus d’affaires, mais de là à dire qu’ils auraient une attention particulière, j’ai des gros doutes… Pas plus qu’on a besoin de soudeurs, qui sont en rareté en ce moment et qu’on n’arrive pas à former en assez grand nombre », ajoute-t-il.
Agilité
Les candidats, jusqu’à récemment, devaient postuler rapidement et se valoriser auprès d’un employeur pour combler un poste. Maintenant, les rôles sont inversés.
Gilles St-Amant est professeur au Département de management et technologie de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Il relate qu’un ancien élève, directeur de l’informatique d’une multinationale américaine, a « manqué par deux heures » deux bons candidats parce que le processus des ressources humaines était trop long.
À son avis, la fonction des ressources humaines d’une entreprise, dont la fonction informatique est cliente, doit être plus rapide et plus agile pour ne pas laisser s’échapper des candidats de valeur.
« Les responsables des TI doivent s’asseoir avec ceux des ressources humaines pour revoir l’ensemble des processus comme la sélection, la gestion des talents, etc. Si la pénurie est importante et qu’il y a peu de personnel en ressources humaines, on peut faire un processus interservices, changer des responsabilités et décentraliser la problématique des ressources humaines vers la fonction informatique », indique M. St-Amant.
« Si la fonction informatique est prioritaire, avant les gens des finances, du marketing ou de la production, l’entreprise peut faire un groupe de travail (task force) avec des gens des ressources humaines et des TI, pour s’interroger sur une façon rapide d’aller au marché, de choisir et de proposer des contrats aux candidats. Dans un temps de pénurie, tout est une question de vitesse. »
« On peut aussi revoir l’ensemble des processus de la fonction des ressources humaines pour être réactif et répondre plus rapidement aux différents clients, dont ceux de la fonction informatique, et aller vers la qualité des services. »
Il ajoute que les petites entreprises, où la fonction des ressources humaines est généralement la dernière à être créée, le besoin de trouver une ressource peut être comblé par une firme externe spécialisée.
Se démarquer
En se référant au mémoire de Martin Gagnon, un ancien étudiant, M. St-Amant énumère des stratégies pour améliorer l’embauche des ressources humaines en TI.
L’entreprise doit élargir ses réseaux de contacts avec le réseau de l’éducation et d’autres partenaires. Elle doit utiliser des techniques de vente et de marketing dans l’affichage des postes, notamment en exprimant le contexte et les défis, et adapter la nomenclature des postes au marché, alors que la définition des postes en ressources humaines fait rarement l’objet de révisions.
L’entreprise doit offrir un contexte de travail attirant, avec un salaire intéressant, de la flexibilité et une possibilité de cheminement. Enfin, elle doit procéder à la gestion de l’employé de bout en bout, incluant les aspects reliés au talent.
Au niveau des solutions techniques, M. Gagnon suggère notamment de recourir au Web 2.0, comme les wikis, les blogues et les réseaux sociaux, tout comme d’utiliser des modules de gestion de talent et de flux de travail pour la gestion du personnel.
Former pour évoluer
Alors que ressources se font plus rares et que les tâches s’ajoutent et se diversifient, les aptitudes recherchées auprès des employés en TI évoluent. L’entreprise doit miser sur la formation afin de satisfaire ses besoins, mais aussi ceux de l’employé en quête de progression.
Selon Benoît Leduc, les entreprises, surtout les PME, recherchent dorénavant des employés « spécialistes, mais généralistes ». « On recherche de plus en plus des savoirs comportementaux (soft skills) et du sens des affaires. Par exemple, on demande au programmeur en impartition d’essayer de voir s’il y a de nouveaux mandats dans l’entreprise, de bien parler au client, d’essayer d’analyser les besoins. Si, autrefois, le programmeur était plutôt introverti, on cherche davantage une personne extrovertie, qui a une très bonne communication, qui sait gérer ses projets et ses budgets. »
« Les employés parlent de plus en plus d’où ils se voient être dans cinq ans. L’employeur fera en sorte, avec la mise en oeuvre de la formation nécessaire, que ce but soit atteint. Avec la gestion de carrière, on peut bien former la ressource pour qu’elle puisse plus facilement monter au [nouveau] poste [lorsque viendra le moment], parce qu’elle aura acquis les compétences au cours des années », ajoute-t-il.
M. Leduc dit n’avoir jamais vu les entreprises du secteur des TI s’arrêter à la norme d’investissement de 1 % de la masse salariale en formation. « On est toujours à des pourcentages plus élevés (de 2,5 % à 3 %), tant au niveau technique que des compétences de gestion. De plus en plus de cours de gestion de projets, de savoirs comportementaux et de technique sont suivis. Il y a tellement de nouveaux langages et de nouvelles façons de faire que les entreprises n’ont pas le choix…
L’apport d’aptitudes générales en gestion est appréciable, certes, mais M. St-Amant souligne que les débouchés en gestion de projets sont limités.
« Cela fait vingt ans que le gouvernement dit qu’il y a une faiblesse en gestion. Il est plus facile aujourd’hui de développer [les gens] parce que les connaissances sont formalisées [dans des programmes dédiés], reconnaît-il. Mais il y a toujours un problème entre l’individu et l’organisation: combien avons-nous besoin de personnes en gestion de projet? Deux? Trois? Pour dix programmeurs? Combien formons-nous de gens [pour la gestion], alors que tous rêvent d’être des gestionnaires de projets? Il y a un enjeu autour de qui il faut former, pourquoi et à quel coût… »
« Je suppose que tout le monde qui commence sa carrière en tant que programmeur veut la finir sans programmer, comme on suppose que tous veulent être directeur général… Mais il n’y en a qu’un [dans chaque organisation]. »
Investissement
Par ailleurs, Daniel Beaupré souligne qu’en situation de surcharge de travail, la formation continue est souvent reléguée au second plan, ce qui est dangereux.
Alors que la formation est une solution à bien des enjeux associés aux ressources humaines, elle nécessite une sensibilisation des dirigeants, pour qu’ils comprennent qu’il ne s’agit pas d’un coût, mais d’un investissement.
« [En entreprise], on voit souvent la formation ainsi : “Il faut que je sorte des gens de la production, qui va baisser pendant une journée. Les gens veulent être payés en temps supplémentaire s’ils ne sont pas formés sur les heures de travail, donc j’augmenterai ma masse salariale. Si je les forme, je vais être obligé d’augmenter leurs salaires, sinon je vais les former pour la concurrence…” L’entrepreneur voit la formation non pas comme une solution à ses problèmes, mais comme un paquet de problèmes », constate M. Beaupré.
« Le défi des prochaines années est de convaincre les entrepreneurs et les dirigeants que la formation, dans un souci d’amélioration continue, est une très bonne solution à envisager », estime-t-il.
Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.
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