En cette période de crise financière, alors que les banques et les fonds institutionnalisés sont d’une prudence extrême, la situation est loin d’être facile pour les jeunes entreprises en TI en quête de financement. Des options demeurent, mais sont peu nombreuses.
Subissant les contrecoups de son puissant voisin du sud, dont le secteur financier est sérieusement malmené depuis l’été dernier, l’économie canadienne est officiellement entrée en récession le 9 décembre dernier, aux dires de la Banque du Canada. Il va sans dire que l’accès au capital s’en trouve grandement affecté et le secteur des technologies de l’information et des communications (TIC) ne fait pas exception. En fait, les firmes d’investissement et plus particulièrement les sociétés de capital de risque sont moins nombreuses et investissent moins.
Réseau Capital, l’association qui représente les sociétés québécoises d’investissement en capital privé et public, qui publie régulièrement des statistiques sur l’activité des capital-risqueurs au Québec, estime qu’au troisième trimestre de 2008 la valeur totale de l’investissement des capital-risqueurs était en baisse de 11 % par rapport au même trimestre de l’exercice précédent, soit 110 M$ versus 124 M$, alors qu’à l’échelle du pays, la baisse était de 26 %.
De plus, la valeur moyenne des sommes investies au Québec a diminué entre ces deux périodes, passant de 2,2 M$ à 1,9 M$. En outre, les fonds fiscalisés se sont avérés plus actifs que leur contrepartie privée et les investisseurs étrangers ont diminué de plus de 50 % leur niveau d’activité.
Cela étant dit, parmi les trois secteurs considérés par Réseau Capital – TI, sciences de la vie, traditionnel -, c’est le secteur des TI qui a attiré le plus l’attention des capital-risqueurs, lequel a canalisé plus de la moitié des sommes investies. Au total, 56 M$ ont été investis dans 18 entreprises de ce secteur lors du troisième trimestre de 2008, ce qui est toutefois inférieur de 11 % par rapport à 2007.
« Il n’y a pas eu un premier appel à l’épargne public depuis six ans au TSX, déplore Jacques Topping, président du Réseau Action TI. À Desjardins Capital de risque, où je siège, il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. Tout le monde est sur ses gardes depuis le mois de septembre : on préfère attendre, même si quelqu’un a une très bonne idée. Par les temps qui courent, les capital-risqueurs sont moins risqueurs… »
S’il y a un type d’entreprise pour qui les choses sont plus difficiles, c’est certainement du côté des entreprises en démarrage, voire en prédémarrage qu’il faut regarder. En fait, les entreprises qui en sont à ce stade de développement ont tout simplement bénéficié d’aucun investissement de la part des capital-risqueurs au troisième trimestre de 2008, affirme Réseau Capital.
« Actuellement, il n’y a pas beaucoup d’entités qui ont de l’appétit pour le démarrage, lance Patrick-Claude Dionne, vice-président fusion, acquisition et financement d’entreprise de la firme-conseil en gestion financière Grant Thornton. Et ce n’est pas unique au secteur de la technologie. Le taux de succès en démarrage est relativement faible et c’est difficile pour les sociétés de capital de risque de justifier des rendements. »
« On a pas mal ralenti au niveau de la recherche de financement, le temps que ça se calme », souligne André Duquenne, président de T2ic, une firme qui se spécialise en transfert technologique et recherche de financement, qui a notamment cofondé la Société Innovatech du Grand Montréal. « Ça ne sert à rien de courir du matin au soir pour se retrouver avec rien après plusieurs semaines. Par exemple, ça m’a pris quatre semaines pour ramasser 100 000 $! »
La carte des ventes
La situation est évidemment différente pour les entreprises structurées, ayant des produits et un plan d’affaires et, surtout, réalisant des ventes. « Les gens préfèrent qu’il y ait une preuve de concept, que la technologie qu’on a développée est commercialisable », de confirmer Patrick-Claude Dionne.
« À l’époque de la bulle, t’avais juste besoin d’une idée pour avoir du financement », ajoute Ronald Brisebois, président du conseil et président et chef de la direction d’Isacsoft, qui évolue dans l’industrie depuis 1985. « Maintenant, il te faut aussi des clients, et pas n’importe lesquels : des clients stratégiques! »
Que reste-t-il pour les entreprises en prédémarrage? C’est simple : les anges financiers, soit des bien nantis ayant de l’argent à investir, les membres de la famille (love money) et, surtout, les revenus provenant d’un emploi stable (sweet money). Les anges investissent en général moins d’un million de dollars. « On peut aussi se rabattre sur les différents programmes de subvention, mais ça ne constitue pas des montants très importants », souligne Patrick-Claude Dionne.
« Ça prend entre 500 000 $ et un million de dollars pour démarrer une entreprise, renchérit André Duquenne. Ce n’est pas avec les petites sommes – 2 000 $, 5 000 $ – que donnent les associations locales qu’un jeune qui sort de l’université avec des belles idées, va pouvoir démarrer une entreprise! C’est regrettable, mais il n’a rien devant lui! »
La fusion avec une entreprise de plus gros calibre est aussi une piste de solution pour une jeune entreprise ayant de la difficulté à trouver du financement. D’ailleurs, l’entreprise d’information auxinvestisseurs Thomson Investors Network a rapporté au moins cent fusions et acquisitions au terme des neuf premiers jours de 2009 aux États-Unis.
« C’est certain qu’une fusion ne représente pas une solution idéale, mais entre ça et fermer, c’est probablement mieux de faire ça, croit Hubert Manseau, associé principal senior de la société de gestion de capital risque spécialisée dans le secteur de la haute technologie Multiple Capital et qui a été pendant huit ans président-directeur général de la Société Innovatech du Grand Montréal. « Parce que fusionner peut donner plus de profondeur à l’équipe de gestion, plus de profondeur au pipeline de vente et intéresser davantage les investisseurs. »
« Il faut tout le temps être à l’affût des partenariats stratégiques, que ce soit sous forme d’alliances ou de fusions, parce qu’on a une industrie extrêmement fragmentée et que les petites entreprises doivent rivaliser avec des plus grandes qui ne cessent de descendre dans l’échelle de valeurs, renchérit Nicole Martel, présidente de l’Association québécoise des technologies (AQT). C’est une avenue incontournable, maintenant plus que jamais. »
« Mais en période decrise, ce n’est pas le meilleur moment pour fusionner, croit par con-tre Jacques Topping. On n’est pas en position de négocier quoi que ce soit quand on veut fusionner parce qu’on espère régler un problème financier. On est en bien meilleure position de négo-ciation quand on est en bonne situation financière. »
On peut aussi sortir des frontières pour aller chercher du financement. « Le problème, c’est au Québec qu’il se trouve, estime André Duquenne. On a des entreprises qui font affaires aux États-Unis, et là-bas, ça va beaucoup mieux qu’ici, même s’il y a la crise financière. […] Actuellement, on a plus de chance de trouver de l’argent en Ontario […] où les investisseurs privés sont plus actifs dans le secteur technologique et plus agressifs. »
La faute de la crise?
Bien qu’on ne puisse douter des répercussions de la crise financière sur le financement des entreprises de TIC, parce qu’elle compromet les avoirs et, surtout, affecte le moral des investisseurs, les difficultés que connaît le secteur sont antérieures. « Avant que ne survienne la crise financière, il n’y avait déjà pas beaucoup d’argent disponible pour les entreprises en démarrage, confirme Patrick-Claude Dionne. Mais la crise financière affecte tout le monde, même les très bonnes compagnies qui se font financer à un coût beaucoup plus élevé qu’avant. »
« La crise financière a probablement refroidi beaucoup d’anges financiers, qui comme tout le monde ont perdu entre 25 % et 40 % de leurs avoirs en bourse, ajoute Hubert Manseau. Quand on a le choix entre investir dans une entreprise en démarrage qui promet des profits et investir dans des actions de Microsoft qui produisent aujourd’hui un résultat, c’est évident qu’il y en a un qui est moins risqué que l’autre. »
« Plus on fait de l’argent, plus on va investir, renchérit Ronald Brisebois. Et comme le marché n’est pas en croissance et que les investisseurs veulent de la croissance, ils ne savent pas dans quoi investir et investissent moins. Quand il y a une tendance, c’est facile de savoir dans quoi investir, mais quand il n’y a plus de tendance, comme c’est le cas aujourd’hui, il faut quasiment être un devin pour savoir dans quoi investir! »
« Pour l’instant, les entreprises technologiques de Montréal ne sont pas trop affectées par la crise économique, mais la situation est différente pour les banques qui leur mettent les bâtons dans les roues et plus particulièrement à celles qui ont beaucoup de clients américains, de poursuivre Nicole Martel. Les banques ont pour directive de réduire le pourcentage du montant accordé pour les comptes à recevoir américains, de peur que les entreprises, qui ont mis ces comptes en garantie de prêt, aient de la difficulté à se faire payer. »
Mais au-delà de la crise financière, c’est bien plus du côté des déceptions suivant l’éclatement de la bulle des technos en 2001 qu’il faut chercher pour comprendre les difficultés financières qu’éprouve actuellement le secteur et qui a mis en lumière les dangers d’un optimisme démesuré. Nombreux sont les investissements qui n’ont pas réalisé leurs promesses et, en bons gestionnaires, les investisseurs ne désirent pas revivre cette expérience et sont donc d’une prudence extrême. En fait, l’essentiel du processus de restructuration du secteur du capital de risque s’est fait entre 2002 et 2006.
« On a vu, au cours des deux dernières années, certaines de nos grandes institutions financières se retirer de l’investissement direct en démarrage d’entreprises de haute technologie, rappelle Hubert Manseau. Ces institutions croient que les meilleurs investisseurs dans les petites entreprises technologiques sont les fonds privés et on se retrouve en 2009 avec à peu près aucun nouveau fonds […] et la plupart des fonds qui ont des entreprises en portefeuille ont tendance à se concentrer sur les entreprises qu’ils ont déjà. »
« Les banques sont actuellement très frileuses à prêter de l’argent […] et toute compagnie qui n’a pas douze mois d’argent devant elle va souffrir, ajoute AndréDuquenne. Et les institutions ont perdu beaucoup d’argent et sont devenues extrêmement prudentes. Regardez, par exemple, le Fonds de Solidarité FTQ : il vient de perdre 15 % de sa valeur, ce qui fait presqu’un milliard de dollars, alors pas étonnant qu’il ait resserré ses critères! »
Alain Beaulieu est adjoint au rédacteur en chef au magazine Direction informatique.
Avec le service de nouvelles IDG
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