Chaque jour, de nombreuses organisations se dotent de nouveaux systèmes d’information susceptibles de les aider à atteindre leurs objectifs stratégiques. Malheureusement, même l’introduction des outils les plus prometteurs se transforme parfois en véritable cauchemar.
Il arrive en effet que l’enthousiasme de départ des usagers cède la place à une frustration profonde, voire mène à des actes de rébellion. Comment minimiser les risques que cela se produise?
On ne compte plus le nombre de fois où une organisation, après avoir dépensé des milliers, voire des millions de dollars pour implanter des technologies de l’information (TI) susceptibles de lui permettre de mieux remplir sa mission, s’est vue contrainte de mettre celles-ci à l’écart ou d’abandonner certaines de leurs fonctionnalités les plus prometteuses.
Selon une étude que nous avons menée dans le secteur hospitalier – étude dont les résultats peuvent s’appliquer dans d’autres domaines –, les gestionnaires doivent intervenir à trois niveaux pour éviter qu’au-delà des contraintes technologiques, le facteur humain condamne leurs projets TI à l’échec : celui de l’individu, celui du groupe et celui de l’organisation.
Une victoire, ça se remporte une personne à la fois
Depuis longtemps, la recherche a montré que les perceptions que les employés d’une organisation ont de l’utilité et de la convivialité d’un nouveau système influencent de façon marquée leur attitude envers ce dernier et, en fin de compte, l’usage qui en est fait.
Dans un hôpital, un système qui est facile à apprivoiser, mais, surtout, qui se révèle utile au personnel médical, simplifie son travail et lui permet de consacrer plus de temps aux patients aura (sans grande surprise) plus de chances de remporter son adhésion qu’un outil complexe qui gêne l’exécution des processus en place.
Cela semble couler de source. Pourtant, tous les systèmes ne possèdent pas ces qualités essentielles. Par exemple, les médecins de deux hôpitaux québécois où nous avons mené une étude se sont retournés contre les nouveaux systèmes cliniques qu’ils avaient initialement accepté de tester avec enthousiasme, parce que, contrairement à leurs attentes, ils percevaient que l’utilisation du système leur faisait perdre du temps et alourdissait leur pratique.
La direction peut éviter ce type d’écueils en veillant à ce que les TI déployées au sein de l’organisation répondent réellement aux besoins des utilisateurs et soient faciles d’usage dès les stades précoces de leur mise en place. Elle augmentera aussi les probabilités de succès de ses projets technologiques en réagissant rapidement à toute complication.
Par exemple, en corrigeant promptement les problèmes de temps de réponse et en personnalisant les interfaces du nouveau système clinique implanté dans leur établissement, les gestionnaires de l’un des hôpitaux universitaires que nous avons étudiés ont pu désamorcer la grogne qui commençait à sévir parmi ses résidents.
Une guerre des clans?
Même quand le nombre de partisans d’une TI est plus grand que celui de ses détracteurs, il arrive que celle-ci doive être abandonnée. Cela tient au fait que lors de l’implantation d’un nouveau système, il n’y a pas que les individus qui comptent : il y aussi les groupes – et la politique.
En fait, nos résultats montrent que lorsqu’un projet d’implantation TI bouleverse l’équilibre des forces en présence dans l’organisation, les groupes qui voient leur position renforcée à la suite de l’arrivée du nouveau système ont tendance à soutenir son utilisation, tandis que ceux qui voient leur position s’affaiblir tendent à résister au changement.
Par exemple, l’échec du projet d’implantation d’un système clinique mené dans un des hôpitaux où nous avons réalisé notre étude découle en partie du réaménagement des tâches provoqué par l’apparition de ce système, qui avait été conçu de manière à tenir compte de la réglementation en vigueur (les médecins devant eux-mêmes inscrire leurs prescriptions dans le dossier électronique des patients), plutôt que des pratiques en place dans ces établissements (les infirmières réalisaient cette tâche selon les instructions des médecins). Si, dans cet hôpital, les infirmières ont perçu l’arrivée de ce nouvel outil comme une occasion de revaloriser leur rôle, les médecins, eux, l’ont interprétée comme une menace aux pratiques établies et ont menacé de démissionner en bloc à moins que la direction fasse marche arrière.
Par conséquent, avant d’amorcer un projet d’implantation technologique, il importe non seulement d’identifier les principaux groupes d’intéressés de l’organisation, mais aussi de bien tenir compte des structures de pouvoir qu’on y retrouve. En fait, meilleur sera le climat de collaboration instauré entre les parties et plus acceptables seront les modifications apportées au statu quo, plus grandes seront les chances de succès de l’opération!
Tout est parfois question d’organisation
Il faut enfin tenir compte de la variable « organisation » au moment de démarrer un projet d’implantation technologique. Celle-ci explique en effet que l’introduction de nouvelles TI soit relativement facile dans certaines industries, mais plus ardue dans d’autres.
Par exemple, seulement 39 % des hôpitaux et des grandes cliniques recourent à des systèmes de stockage de l’information client, un pourcentage plus bas que celui enregistré dans d’autres secteurs. Pourquoi? Parce que le fonctionnement de ces organismes ou entreprises repose sur la présence de spécialistes qui valorisent leur autonomie professionnelle, exercent un contrôle considérable sur leur propre travail, mais entretiennent des liens peu étroits les uns avec les autres, à l’intérieur d’environnements peu hiérarchisés.
On peut cependant pallier ce type de lacunes organisationnelles. Par exemple, dans le domaine hospitalier, l’implication des dirigeants, leur empathie envers les utilisateurs, l’émergence de champions parmi les utilisateurs, l’instauration de mécanismes destinés à susciter la participation des usagers à la conception des solutions TI, et la mise en place de mesures de coordination peuvent influencer la probabilité qu’un projet réussisse.
En conclusion, de nombreux dangers associés aux facteurs humains menacent la réussite des projets TI. En tenant compte à la fois des dimensions « individu », « groupe » et « organisation », vous devriez cependant être en mesure de diminuer considérablement les risques de dérapage.
Détentrice d’un Ph. D. de l’Université Western Ontario, Suzanne Rivard est professeure titulaire au Service de l’enseignement des technologies de l’information de HEC Montréal, et directrice de la Chaire de gestion stratégique des technologies de l’information de cet établissement.
Détentrice d’un Ph. D. de HEC Montréal, Liette Lapointe est professeure agrégée à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill, où elle pilote aussi les activités du Business and Management Research Center.
Pour obtenir plus de détails sur cette recherche, consultez Lapointe, Liette et Suzanne Rivard (2005), « Clinical Information Systems : Understanding and Preventing Their Premature Demise », ElectronicHealthcare, volume 3, numéro 4, p. 92-100.
La diffusion de ces résultats de recherche est rendue possible par une subvention octroyée par le Fonds de recherche sur la société et la culture (FQRSC) à Benoit Aubert (HEC Montréal), Bouchaib Bahli (Université Concordia), François Bergeron (Télé-Université), Anne-Marie Croteau (Université Concordia) et Suzanne Rivard (HEC Montréal), dans le cadre d’un programme de recherche sur la Gestion stratégique des technologies de l’information.
Ce texte est le sixième d’une série d’articles vulgarisés que le groupe publiera d’ici la fin de ce projet, en 2010. Chaque article vise à présenter aux dirigeants francophones des connaissances de pointe dont l’application, sur le terrain, favorisera le succès de leurs initiatives en TI.
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