DROIT ET TI Les taux d’intérêt que l’on retrouve dans les contrats ont pour but de favoriser le paiement en temps opportun des montants dus. Quel taux inscrire au contrat quand on le rédige? Quel taux tolérer quand le contrat nous est offert ?
Lorsque l’on rédige un contrat, il est avantageux d’y inclure des moyens d’éviter les visites inutiles devant les tribunaux. L’un de ces moyens est d’inclure un taux d’intérêt applicable aux paiements en retard.
Disons qu’un paiement est dû trente 30 jours après réception de la facture par le client, et n’est pas reçu par le fournisseur à cette date. Techniquement, il s’agit d’un bris de contrat : la somme était due après 30 jours et n’a pas été reçue.
Cependant, il s’agit d’un bris de faible importance, surtout si le paiement arrive seulement quelques jours après la date prévue. Va-t-on mettre fin au contrat en raison du défaut de paiement dans une telle circonstance ? Non, dans la plupart des cas, car il est alors plus avantageux de maintenir le contrat en vie que d’y mettre fin; notamment si le fournisseur ne veut pas mettre fin à sa relation d’affaires avec le client.
On pénalisera donc le retardataire au moyen d’un taux d’intérêt applicable au paiement en retard. Ce dispositif aura de plus la qualité de s’adapter à la gravité du défaut du payeur : un petit retard coûtera moins cher qu’un long retard. Le rédacteur du contrat pourra aussi, par une clause additionnelle et distincte, mettre fin au contrat si le retard est particulièrement long ou se donner la discrétion de mettre fin au contrat, quand il le désire, à partir du moment où le payeur est en retard.
Le taux
Quel est le taux d’intérêt qui peut être inscrit au contrat ? Au Canada, la législation applicable est assez libérale en matière de taux d’intérêt maximum permis : ce maximum est très élevé. Par contre, si la personne ou l’entreprise qui charge l’intérêt dépasse ce maximum, elle commet un acte criminel (!).
L’article 347 du Code criminel du Canada prévoit que la personne ou l’entreprise qui charge un taux d’intérêt de plus de 60 % commet une infraction au Code criminel passible d’une amende pouvant atteindre 25 000 $ et/ou d’un emprisonnement pouvant atteindre cinq ans.
Alors que bien des contrats commerciaux mentionneront des chiffres comme 1 % par mois et 12 % par année, ou encore 1,5 % par mois et 18% par année, rien n’interdit de charger des intérêts de 30 % ou 35 % par année.
D’ailleurs, certaines sociétés financières offrant des cartes de crédit identifiées au nom de certains marchands s’en donnent à cœur-joie en chargeant des intérêts avoisinant les 30 %.
Les dispositions du Code criminel s’appliquent à toute personne qui facturede l’intérêt à une autre, que cette dernière soit un consommateur, un commerçant,un locataire, une entreprise, etc. Cependant, les tribunaux québécois et canadiens ont tendance à protéger davantage les consommateurs que les gens d’affaires, ces derniers étant présumés avoir accepté de courir certains risques en étant en affaires. Cette volonté de protéger ainsi les consommateurs mène parfois à une interprétation large et surprenante de certaines lois.
De Wolf c. Bell
Un certain Paul DeWolf, un consommateur, est à l’origine d’un recours collectif déposé en Ontario contre Bell Canada. Ce recours collectif, un recours civil et non unrecours criminel,avait pour butde demander àla Cour de statuersur la légalité de « frais d’administration » de 25 $ imposés aux clients de Bell ExpressVu dont les paiments accusaient plus de deux mois de retard.
Bell a plaidé que cette somme consistait en des coûts internes qui étaient occasionnés lorsqu’un client payait sa facture avec plus de deux mois de retard.
La Cour supérieure de l’Ontario, en septembre dernier, a estimé que ces frais de 25 $ étaient équivalents à un taux d’intérêt de plus de 60 % sur le montant dû, ce que la loi interdit. Comme il s’agissait d’un recours civil, il n’a pas été question d’amendes ou d’emprisonnement : le juge a cependant invalidé les frais de retard facturés à environ 33 000 clients actuels et passés de Bell ExpressVu. Au moment où les présentes lignes sont écrites, l’on ignore si la cause est en appel.
Le rédacteur d’un contrat devra donc réfléchir un peu avant d’y inscrire des intérêts ou des pénalités, afin d’encourager un payeur à ne pas retarder son paiement. Les montants en jeu peuvent devenir importants : ça fait combien 33 000 clients fois 25 $ ?
Michel A. Solis est avocat, arbitre et médiateur. Il oeuvre dans le secteur des TI depuis 20 ans.