Plusieurs événements ont jalonné l’histoire de l’industrie des TIC depuis 1988. Au coeur de cette évolution, il y a la convergence. Convergence des technologies, mais aussi et surtout convergence des fournisseurs. Premier volet d’une série spéciale de reportages soulignant les 20 ans du magazine Direction informatique.
Le marché et l’industrie québécoise des TIC ont beaucoup évolué en vingt ans. D’une jeune industrie composée d’une multitude de petites firmes de consultants généralistes, nous sommes passés à une industrie plus mature aux spécialisations multiples dans laquelle évoluent un grand nombre de petites firmes spécialisées et un nombre plus restreint de très grandes firmes proposant une approche et une offre intégrée.
Intégration est le mot clé ici. Intégration au niveau des grandes firmes, mais aussi des plus petites qui établissent des partenariats entre elles, au gré de l’évolution des besoins du marché et de la complémentarité de leur expertise, pour offrir à leurs clients une offre de produits et de services intégrés. C’est au niveau de l’évolution des technologies, qui a suivi la voie de la convergence, et des besoins des clients, qui sont de plus en plus complexes, qu’il faut chercher pour comprendre cette évolution.
« Le mot ‘convergence’ résumerait bien l’évolution du secteur des TI depuis la fondation du CPLQ, en 1990, lance Nicole Martel, présidente de l’Association québécoise des technologies (AQT). Les sous-secteurs des TI sont maintenant interdépendants les uns des autres : le secteur des télécoms ne peut pas vivre sans le logiciel et le logiciel, sans le matériel et les services informatiques. Alors qu’avant, on travaillait plus en silo, maintenant, tous les secteurs doivent travailler ensemble, parce qu’ils partagent les mêmes clients et que ceux-ci recherchent des solutions assez complètes. […] De plus en plus, les entreprises recherchent des partenaires stratégiques, autant du point de vue du client qui veut se choisir un fournisseur que de celui du fournisseur qui veut étendre son expertise. Les alliances stratégiques sont maintenant devenues un incontournable. »
À un niveau plus particulier, la nécessité d’assurer le passage des systèmes informatiques à l’an 2000, dont le format des dates était incompatible avec le nouveau millénaire, a milité en faveur de l’intégration, dans la mesure où les entreprises ont profité de l’occasion pour se doter de systèmes davantage intégrés. Cela a constitué une manne inestimable pour les fournisseurs de systèmes de gestion intégrés (ERP) et les firmes-conseils, qui ont assuré l’adaptation et l’intégration des applications.
« Dans les années 1997-1998, les entreprises ont investi énormément dans des solutions qui passaient l’an 2000, ce qui fait qu’elles se sont retrouvées, au 1er janvier 2000, avec beaucoup de technologies qui communiquaient peu entre elles, se remémore Nicole Martel. Ce qui fait que de 2000 à 2003, il y a eu beaucoup de consolidation dans les organisations. »
En outre, l’accroissement incessant de la complexité des besoins applicatifs des organisations tout au long de la période laissait présager une multiplication des fournisseurs et une inévitable escalade des coûts, ce qu’elles ne désiraient pas. Allié à la nécessité d’enrichir l’expertise des fournisseurs, ceci a favorisé une certaine consolidation au sein de l’industrie, qui a été à son apogée durant les années 2002 et 2003 et se continue encore de nos jours. Au sommet du sous-secteur des services-conseils trône CGI, avec ses 27 000 employés.
« Il y a vingt ans, il y avait plus de firmes de services qui faisaient des tâches à faible valeur ajoutée et il y avait un plus grand équilibre entre les différents joueurs : CGI, DMR et LGS étaient des partenaires à peu près équivalents, se souvient Gilles Létourneau, président de Groupe GFI Solutions. Maintenant, ce n’est plus le cas : il n’y a plus vraiment de joueurs de calibre intermédiaire. Il y a eu une grosse vague d’acquisitions dans les années 1998 à 2000. Le même phénomène de consolidation a eu lieu dans le secteur des solutions. […] Donc, si on veut prospérer aujourd’hui, il faut être spécialisé, car les marges sont très faibles dans le créneau des généralistes. »
« L’industrie a évolué dans le sens du marché, en fonction de l’évolution des besoins des clients, ajoute Ronald Brisebois, président du conseil et président et chef de la direction d’Isacsoft. Au début, il y eut l’ère des conseillers généraux, ensuite celle des impartiteurs et maintenant on est dans l’ère de la spécialisation où les firmes [desservant des créneaux] verticaux très précis dominent. »
Pécher par excès d’optimisme
Un autre événement de taille a aussi favorisé la consolidation dans l’industrie, soit l’éclatement de la bulle spéculative en 2001. En fait, tous ceux qui évoluent dans cette industrie depuis suffisamment longtemps s’entendent pour reconnaître l’impact majeur qu’a eu cet événement sur le développement de l’industrie. Conjugué au passage à l’an 2000, cet événement a entraîné un gel des dépenses en technologies des entreprises pendant les trois années qui ont suivi et généré une vague d’acquisitions sans précédent. Résultat : les trois années qui ont suivi l’éclatement de la bulle ont été particulièrement difficiles.
« Ç’a été une période très creuse, se souvient Gilles Létourneau. Pour assurer le passage à l’an 2000, les entreprises ont hypothéqué leur budget d’informatique pour plusieurs années. […] Avant l’an 2000, c’était le chiffre d’affaires qui primait, la profitabilité était secondaire; c’était la bulle. Les entreprises qui s’en sont bien sorties sont celles qui n’ont pas perdu de vue leur profitabilité. Après la bulle, certaines entreprises ont perdu près de 95 % de leur valeur boursière, ce qui fait que certaines d’entre elles ont été achetées pour à peu près rien. »
L’AQT estime d’ailleurs que 30 % des entreprises québécoises en TIC ont fermé leurs portes, ont fusionné ou ont été achetées dans les 18 mois qui ont suivi l’éclatement de la bulle. « L’éclatement de la bulle a détruit beaucoup d’entreprises, surtout les [entreprises en démarrage], parce qu’elles bénéficiaient des capitaux, sans avoir vraiment de clients : elles développaient des produits dans l’espoir de les vendre éventuellement, soutient Ronald Brisebois. Mais ce n’est pas comme ça que ça doit marcher : il faut développer des produits qui répondent à des besoins de vrais clients. La bulle, ç’a été de penser que le futur allait être rose pour tout le monde, ce qui n’est pas vrai. »
« La réalité a rattrapé l’industrie après la bulle. Il y avait des entreprises qui n’avaient pas de produits, que des idées, renchérit Claude Lemay, vice-président pour la région du Québec à l’Association canadienne de la technologie de l’information (ACTI). Les gens ont financé n’importe quoi, parce que le marché achetait n’importe quoi. À partir du moment où les gens se sont dit que ça prenait des revenus, du profit, la situation est devenue plus difficile. Les investisseurs sont plus prudents aujourd’hui. »
Une planète, un marché
La globalisation des marchés, qui s’est affirmée durant les années 1990, a aussi milité en faveur de la concentration, dans la mesure où développer une présence internationale requiert des ressources importantes que n’ont pas les petites firmes. Dans ce contexte, la fusion d’une petite entreprise avec une plus grosse permet de décupler les moyens dont elle dispose pour assurer son développement sur les marchés internationaux, alors que la transaction est perçue du point de vue de l’entreprise qui achète comme un moyen d’enrichir son expertise.
« L’accès au marché est de plus en plus compliqué, de plus en plus difficile, ce qui fait que les gens qui ont beaucoup de ressources veulent mettre la main sur des technologies, explique Claude Lemay. Si vous avez déjà un réseau de distribution et des clients, l’investissement nécessaire pour faire la commercialisation d’un produit supplémentaire est minime, comparativement à ce que ça coûterait pour le développer soi-même, surtout pour une grande entreprise. Ce qui fait que beaucoup de petites entreprises, pour qui l’accès au marché est plus difficile, sont en train d’évaluer [les possibilités d’association avec des entreprises plus grandes]. »
« [La fin des crédits d’impôt du gouvernement du Québec] a fait que beaucoup de firmes ont été achetées par des plus grosses firmes, souvent étrangères, ajoute Ronald Brisebois. C’est souvent ce qui se passe ici : les firmes grandissent puis sont achetées par des plus grosses firmes étrangères. »
L’achat de Softimage par Microsoft en 1994 illustre bien cette logique de développement. Il s’agit en fait d’un événement marquant du développement de l’industrie québécoise, dans la mesure où il laissait entrevoir ce qui allait arriver par la suite, en plus de reconnaître l’excellence du talent québécois à l’échelle internationale.
« La vente de Softimage pour près de 180 millions $, dont Daniel Langlois avait financé le développement principalement à Toronto, parce qu’il n’a pas réussi à le faire à Montréal, est un événement important, parce que c’était la première fois qu’on voyait qu’il y avait moyen de faire de l’argent dans le secteur », soutient Claude Lemay.
La révolution Internet
Un événement de nature plus générale, l’avènement d’Internet est assurément un des événements marquants des vingt dernières années, lequel a eu des répercussions partout dans le monde. En contribuant à démocratiser les technologies et à leur donner un rayonnement jusqu’alors inégalé, permettant de rejoindre les gens jusque dans leur foyer, Internet a favorisé l’émergence de besoins nouveaux et la demande pour des solutions d’un caractère nouveau.
« Avec l’avènement d’Internet, les solutions sont devenues de plus en plus Web, autant pour ce qui est de leur développement que de leur commercialisation, souligne Nicole Martel. Il n’est pas rare de voir des entreprises vendre leurs solutions à distance en utilisant le Web, voire les fournir sous forme de services Internet. »
L’avènement d’Internet a aussi ajouté de l’eau au moulin de l’intégration, dans la mesure où étant donné qu’il favorise les échanges commerciaux et les transactions électroniques entre des fournisseurs situés aux quatre coins, il a accru la demande pour des solutions facilement intégrables, facilitant notamment l’intégration des divers processus impliqués dans la transaction.
Dans le même ordre d’idée, l’ouverture des systèmes d’information sur le monde extérieur à l’entreprise qu’entraîne l’utilisation d’Internet a généré des inquiétudes et des vulnérabilités au chapitre de la sécurité, lesquels ont engendré une demande accrue pour des solutions de protection des systèmes d’information.
« Dans les années 1980, la sécurité se limitait à la protection d’un réseau via la gestion des droits d’accès – les coupe-feu n’existaient pas parce que les réseaux n’étaient pas reliés entre eux, se remémore Luc Poulin, président de l’Association professionnelle des informaticiens et des informaticiennes du Québec (APIIQ). Le gros changement est venu avec l’arrivée d’Internet, car d’un coup les entreprises rendaient leurs réseaux disponibles au monde entier. Internet a complètement changé le contexte technologique dans lequel les entreprises travaillaient et apporté un ensemble de nouveaux risques. Mais le gain d’affaires est tellement grand que ce risque-là devient acceptable, il s’agit de le gérer. »
L’ère des services
L’augmentation de la demande pour des services-conseils, découlant du besoin des entreprises pour des solutions intégrées répondant à des besoins de plus en plus complexes, a aussi eu un écho chez les fournisseurs traditionnels de produits, tel IBM, dont la part de revenus provenant de la prestation de services professionnels a crû tout au long de cette période.
« En vingt ans, IBM est passé d’une entreprise qui faisait presque uniquement de la vente et de la mise en marché de produits matériels et logiciels à une entreprise dont près de 70 % des revenus au Québec proviennent de services-conseils, précise Denis Desbiens, vice-président pour le Québec chez IBM Canada. Ç’a été un gros virage. Aujourd’hui, on ne vend plus des ‘produits’, mais des ‘solutions’ à des problèmes d’affaires, qui peuvent inclure des produits matériels et logiciels. »
L’industrie des services informatiques a aussi beaucoup profité de l’introduction de Windows (version 1.0) sur le marché en 1985 puis NT en 1993 et du raz de marée qui a suivi, dans la mesure où il a généré beaucoup de demande pour des services-conseils, mais aussi pour des solutions logicielles fonctionnant sur cette plateforme.
« La technologie a évolué de façon très importante et rapide après l’introduction de Windows, affirme Gilles Létourneau. Cela a introduit un niveau de complexité beaucoup plus grand dans les environnements informatiques des entreprises, ce qui fait que c’est devenu beaucoup plus compliqué et coûteux de développer des applicatifs par la suite. »
Mais l’avènement de Windows supposait au préalable une certaine généralisation de la micro-informatique et de la plateforme Intel, ce qui est survenu à la fin des années 1980 et constitue, par conséquent, un événement marquant des vingt dernières années.
« La venue du micro-ordinateur a constitué un tournant important dans le développement de l’industrie. Et avant Windows, chaque application avait son propre environnement. Microsoft a fait un bon travail d’harmonisation et de convivialité au niveau de la plateforme PC, ce qui a permis la création d’outils facilitant le développement d’applications. Après, l’informatique a littéralement pris d’assauts la société », de conclure Luc Poulin.
Alain Beaulieu est adjoint au rédacteur en chef au magazine Direction informatique.
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