Combien de livres allez-vous écrire, pendant vos vacances de cette année?
Nous connaissons tous des gens qui profitent de leurs vacances pour lire. Ces personnes lisent des romans, des biographies ou parfois même de la documentation professionnelle qu’elles n’ont pas eu le temps de regarder pendant leurs semaines de travail.
J’ai aussi entendu parfois desproches dire qu’ils allaient profiter de leurs vacances pour écrire pensées et poèmes.
Un article récent du New York Times traitait de Philip M. Parker, un Californien qui a trouvé le moyen d’écrire des livres à répétition pendant qu’il fait autre chose. M. Parker, un professeur de l’INSEAD, une école d’études supérieure en administration des affaires ayant des campus en France et à Singapour, a monté avec des collègues un logiciel qui écrit des livres. Il ne s’agit pas de grands romans ou d’essais philosophiques, mais bien de livres compilant une foule de renseignements sur des sujets très pointus. Le logiciel fait des recherches sur Internet et à l’aide d’intelligence artificielle, trie, classe et structure les résultats pour ensuite faire des prévisions et des extrapolations. Ces prévisions et extrapolations sont basées sur les connaissances de M. Parker à titre de professeur d’administration des affaires.
M. Parker pourrait potentiellement « écrire », ou générer, plusieurs livres alors qu’il est couché sur une plage, quitte à les réviser après son retour de vacances.
Si l’on soumet « Philip M. Parker » à l’engin de recherche d’Amazon.com, l’on se retrouve avec une très longue liste de livres. L’un d’entre eux, choisi au hasard, traite de perspectives de vente pour l’eau embouteillée à saveur de citron, au Japon, de 2007 à 2012. Un autre traite des perspectives de vente pour les déodorants corporels en aérosol en Inde, pour les cinq prochaines années. Ces deux livres se vendent… 495,00 $US chacun.
200 000 livres
M. Parker a déjà généré plus de 200 000 livres, ce qui fait de lui, selon lui, l’auteur le plus prolifique de la planète. Alors que certains de ses livres se sont vendus à quelques centaines d’exemplaires, la plupart d’entre eux se vendent à quelques dizaines de copies seulement.
Or, chaque copie n’est créée que sur demande et est expédiée sous forme électronique : M. Parker évalue donc ses coûts à environ 0,12 $US en électricité par copie. Il ne génère pas que des livres, il génère aussi des profits! Il dit réaliser un bénéfice dès qu’une seule copie est vendue.
Le droit d’auteur de Philip Parker
Le logiciel de Philip Parker, malgré une certaine capacité pour traiter les mots, ne rédige pas vraiment. Il monte des listes et fait des calculs. Il y a fort peu de véritable texte dans un de ses livres, à part certains paragraphes de présentation qui furent probablement rédigés par un humain une fois la recherche effectuée par le système informatique.
En ce qui concerne ces paragraphes de présentation, M. Parker détient un droit d’auteur comme tout auteur d’un texte. Il importe peu que ce texte soit créé par lui, avec la main, ou avec un logiciel de traitement de texte, ou encore en utilisant un logiciel de son cru où il a saisi ses propres instructions et données, dans le but de faire générer un texte automatiquement.
Quant aux informations recueillies suite aux recherches effectuées par son logiciel, M. Parker possède, selon la législation applicable au droit d’auteur tant au Canada qu’aux États-Unis, un droit d’auteur sur la compilation créée par le logiciel en question.
Mais qu’est-ce qu’une compilation au sens de ces lois?
Les plus grands succès de l’année
Vous vous souvenez peut-être de ces compagnies de disques qui (et cela démontrera notre âge!) remplissaient les ondes de publicité afin de vous vendre leurs disques ou CD des plus grands succès Rock, Pop ou Disco (ça y est, l’âge ressort encore) de l’année? Ces compagnies avaient effectué un choix parmi les chansons les plus populaires de l’année et avaient établi un ordre pour ces chansons sur le disque ou le CD. Les droits d’auteur quant à ces chansons n’appartenaient pas à ces compagnies, celles-ci ayant cependant obtenu des propriétaires respectifs l’autorisation de reproduire les chansons en question.
Une compagnie distribuant un tel recueil sonore de grands succès possédait un droit d’auteur sur le choix et l’ordre des chansons, et non sur chacune d’entre elles; elle possédait ainsi un droit d’auteur sur la compilation des chansons.
D’autres sociétés ou individus pouvaient aussi monter des compilations de chansons. Ces sociétés ou individus pouvaient même inclure plusieurs des mêmes chansons, ou à la rigueur toutes les mêmes chansons, surtout si elles étaient consacrées les plus vendues ou les plus populaires par des sources indépendantes. Mais la compagnie ayant initialement effectué sa compilation pouvait empêcher quiconque de mettre sur le marché une compilation identique, par le choix des chansons et par leur ordre.
En ce qui concerne M. Parker, l’on peut présumer qu’il possède le droit d’utiliser les données de base, trouvées sur Internet, soit parce qu’elles font partie du domaine public, soit parce qu’il a obtenu l’autorisation de les reproduire. Il n’est pas propriétaire du droit d’auteur touchant ces données, mais il est propriétaire de la compilation que constitue l’étude qu’il offre en vente.
Il peut aussi être propriétaire des résultats d’analyse et graphiques qui résultent du traitement des données faisant partie de la compilation.
Pendant leurs vacances, les plus hyperactifs de nos lecteurs pourraient théoriquement utiliser une méthode similaire (la sienne est brevetée) à celle développée par M. Parker. Ils pourraient ainsi écrire de vastes études et rapports alors qu’ils montent à vélo les pentes de la Gaspésie, ou démontrer leur énergie créatrice alors qu’ils contemplent un lac des Laurentides…
Est-ce là la société de loisirs qu’on nous promettait jadis?
Michel A. Solis est avocat, arbitre et médiateur. Il oeuvre dans le secteur des TI depuis bientôt 20 ans.