Ubisoft veut faire du cinéma. Ce n’est pas un secret : l’éditeur de jeux vidéo en parle depuis des années et a même créé en 2007 un centre de production spécialisé dans la création de contenu numérique pour le cinéma, Ubisoft Art Numérique. L’acquisition d’Hybride Technologies permettra d’avancer dans cette direction.
Afin de concrétiser plus rapidement son désir d’entrer dans le marché du cinéma, Ubisoft a annoncé le 8 juillet l’acquisition d’un joyau montréalais du secteur des effets visuels pour le cinéma, la télévision et la publicité : la société Hybride Technologies, de Piedmont dans les Laurentides, connue pour avoir créé des effets visuels pour les films à succès tels que 300, Frank Miller’s Sin City, Snakes on a Plane, la série des Spy Kids et, plus près de nous : L’Âge des ténèbres, Marie-Antoinette et Napoléon.
Les deux entreprises continueront d’évoluer dans leurs marchés respectifs, mais partageront des technologies et développeront des outils communs afin d’optimiser la création des jeux vidéo et des effets spéciaux et offrir aux joueurs des expériences visuelles toujours plus proches de celles du cinéma.
En conférence de presse, Yannis Mallat, président-directeur général d’Ubisoft Montréal, a expliqué que cette transaction s’inscrit dans le cadre de la stratégie de croissance d’Ubisoft. « Le premier geste de cette stratégie a été l’ouverture du studio cinéma qui, à l’horizon 2013, devrait compter 500 créateurs (sur un total de 3 000 employés au sein d’Ubisoft Montréal). L’acquisition d’Hybride est une nouvelle étape dans cette stratégie, dit-il. Nous voulons accélérer notre apprentissage pour nous positionner comme leader dans l’industrie. Nous voulons redéfinir le divertissement numérique. Ce partenariat entre Hybride et Ubisoft est prometteur pour les employés des deux entreprises ainsi que pour les clients. Il s’agit d’un pas de plus pour amener les propriétés intellectuelles d’Ubisoft au cinéma. Nous venons de marquer un tournant dans les industries des jeux vidéo et du cinéma. »
Une expertise pointue
Pierre Raymond, directeur des opérations et cofondateur d’Hybride Technologies, est convaincu que l’expertise développée par l’entreprise qu’il dirige profitera à Ubisoft et vice-versa. « On est très fier de notre “pipeline” de production qui nous permet de produire, avec une petite équipe de 80 personnes, des projets qui en nécessiteraient 200 dans la plupart des studios américains. Hybride est devenue une sorte de modèle dans l’industrie des effets visuels. Nous avons développé une expertise et un style qui pourraient changer visuellement le rendu de certains jeux vidéo. Les gens ne se rendent pas compte à quel point il est contraignant de développer des outils graphiques performants qui doivent fonctionner en temps réel et en interaction avec les joueurs dans les limites de capacités des consoles de jeux. Ces mêmes outils et ces mêmes environnements, utilisés par nous dans nos créneaux de marché, et donc délestés de toutes leurs limites, nous permettront de créer des graphiques au rendu supérieur. »
Hybride Technologies a d’abord acquis son expertise dans le domaine de la publicité avant de se tourner vers les productions télé et cinéma. Aujourd’hui, 80 % de son chiffre d’affaires lui vient d’Hollywood. « Notre avantage est d’avoir développé une expertise à la fois en 2D et en 3D, souligne Pierre Raymond. Nous avons fait en sorte de garder un équilibre entre les deux. Hybride travaille essentiellement avec les outils développés par Discreet et Softimage (XSI). En fait, les clients cherchent avant tout une expertise humaine, ils sont peu préoccupés par la plateforme utilisée, ils veulent simplement des résultats. »
C’est à Montréal, faut-il le rappeler, qu’Ubisoft a développé ses plus grands succès (Splinter Cell, Rainbow Six, Farcry, Prince of Persia et Assassin’s Creed), aussi bien du côté des licences que des productions originales. Incidemment, Ubisoft a acquis il y a quelques mois, l’ensemble des droits de propriété intellectuelle liés au nom Tom Clancy dans le but avoué de profiter de cette marque à succès qu’elle exploitait déjà fort bien dans le domaine du jeu vidéo afin de créer des films et d’autres produits dérivés. « Nous avons fait le pari de la production interne et de développer nos propres marques : Splinter Cell, Red Steel, Assassin’s Creed et d’autres en développement, souligne Yannis Mallat. À l’inverse de l’industrie, on mise davantage sur nos propres marques et nos productions internes que sur les projets de licences qui ne représentent que 25 % de notre chiffre d’affaires alors que dans l’industrie, la moyenne se situe plutôt autour des 40 %. Cela n’empêche pas Ubisoft de se faire courtiser par Hollywood lorsque vient le temps de confier les droits interactifs sur les licences. Ç’a été le cas pour King Kong et pour Open Season, entre autres. »
En conférence de presse à Montréal, ni Yannis Mallat ni Pierre Raymond ne se sont étendus sur le déroulement des discussions ayant mené à l’achat d’Hybride Technologies par Ubisoft. Le montant de la transaction n’a d’ailleurs pas été dévoilé. Au cours des dernières années, les deux entreprises auraient eu beaucoup de contacts, mais ce n’est que depuis un an que des intentions réelles se sont manifestées. « Les deux routes étaient vouées à se croiser tôt ou tard », a lancé Yannis Mallat. « Beaucoup de sociétés américaines nous ont approchés depuis 17 ans que nous sommes là, a renchéri Pierre Raymond. Hybride a plutôt tendance à être [discrète]. Là, nous devenons une entreprise du groupe Ubisoft. »
Ubisoft prévoit que cette activité de création d’images numériques et d’effets visuels pour le cinéma, la télévision et la publicité générera dans un premier temps un chiffre d’affaires annuel d’environ 6 à 7 M d’euros et un résultat opérationnel courant d’environ 10 % du chiffre d’affaires.
« La production de jeux vidéo se rapproche toujours plus de la création cinématographique et télévisuelle et cette convergence est appelée à s’intensifier au cours des prochaines années », soulignait le PDG du Groupe Ubisoft, Yves Guillemot, au moment de la création d’Ubisoft Art Numérique, en 2007.
« L’avenir de notre industrie dépend de notre capacité à créer des marques qui captivent le public et à les décliner sur l’ensemble des supports de divertissement, précise-t-il aujourd’hui. (…) La qualité exceptionnelle de l’équipe d’Hybride et l’expertise de nos équipes déjà en place vont nous permettre de créer l’un des meilleurs studios d’animation 3D de l’industrie du divertissement. »