POINT DE GESTION L’efficacité organisationnelle est le combat journalier de toute organisation. Joutes épiques de processus, combats d’améliorations continues et d’alignements stratégiques, les résultats ne sont cependant pas toujours à la juste hauteur des espérances. Procès de bonnes intentions ou bonne intention de procès?
La problématique
Il est incontestable que l’avènement du nouveau siècle a amené avec lui le culte de l’accroissement de la productivité et de l’efficacité au sein de toutes les organisations. La réingénierie des processus et l’amélioration de la qualité ont rapidement occupé le haut du pavé.
Devant une telle demande, les approches et les méthodologies ont subitement pris des allures de tornades. Les offres de services apparaissant à foison, les choix sont aussi nombreux qu’aléatoires. Pris dans la tourmente des ineffables changements de son savoir-faire et la multiplicité des approches, nombre de projets très sérieux se sont soldés par des échecs retentissants.
Les faits
Le nombre d’organisations qui se laissent convertir à une approche globale et plus générique de la gestion de la qualité est sans cesse croissant. Plusieurs d’entre elles, après quelques essais avec des approches personnelles, se rangent au côté de celles qui ont opté pour une conformité à une bonne pratique comme ITIL ou à une norme ISO comme ISO 9000 puis ISO 20 000.
En général, les organisations ne sont pas hostiles a priori à une approche de gestion utilisant les processus. Les tentatives foisonnent dans tous les secteurs d’activité et il y a pléthore de projets sur le marché. Cet engouement technologique, presque hystérique, peut prendre des allures de déroute lors de l’étape de mise en pratique opérationnelle. C’est généralement là que les choses se gâtent.
Évolution et solutions
Toutes les approches, méthodes ou bonnes pratiques se prévalant d’amélioration, d’implantation ou de gestion des processus, présentent un élément fondamental commun.
• La modélisation des processus de l’organisation
Cette modélisation est une photo, à un instant « T », de tous les processus, actifs ou inactifs dans l’organisation, de même que l’inventaire de leurs intrants et extrants respectifs. Il s’agit toujours du point de départ et de l’assise de tous les référentiels en la matière. La modélisation reflète, de façon précise, unique et non ambiguë, tous les tenants et les aboutissants des activités au sein de l’organisation.
Ainsi, la règle de base dans l’analyse, la gestion, la conception ou la modification de processus est que : « tous les intrants de l’organisation doivent impérativement alimenter un processus. De même, tous les extrants de l’organisation doivent provenir d’un processus. » Et, outre ces deux axiomes, il ne peut y avoir de processus, d’intrants ou d’extrants orphelins. Aussi, « tous les processus doivent avoir au moins un intrant et produire au moins un extrant. » Aucun processus ne peut tourner en boucle sur lui même, en utilisant comme intrant ses propres extrants. De même, la modélisation ne peut présenter aucun intrant qui soit un électron libre dans la structure, sans aboutir à un processus. Également, tout extrant, fut-il intermédiaire, doit soit servir un autre processus, soit être un bien livrable terminal attendu.
C’est de la précision et de la conformité d’une telle modélisation que dépendra l’efficacité organisationnelle basée sur l’ensemble des processus. La modélisation initiale des processus est donc une étape aussi primordiale que critique.
• Les pièges
Les nombreux pièges se trouvant sur le chemin du succès de la gestion des processus semblent souvent anodins au premier abord. Leurs solutions semblent triviales, parfois même enfantines et relever du seul gros bon sens. Il n’en demeure pas moins que la plupart des projets d’implantation et de gestion des processus s’enfargent dans toute la panoplie des pièges, d’un bout à l’autre. Alors, peut-être que les choses ne sont pas aussi triviales.
• Les confusions typologiques
Le premier piège conduisant directement à l’échec est celui de la confusion des typologies de processus. En effet, la modélisation rigoureuse des processus d’une organisation conduit à distinguer trois types de processus. C’est souvent au prix de moult difficultés qu’il faut catégoriser les processus entre « processus de réalisation opérationnels », « processus de support » et « processus de gestion ».
Cependant, l’étape initiale de la modélisation doit absolument se concentrer sur les processus élémentaires qui concernent l’activité principale (core business) de l’organisation. Ces processus sont les « processus de réalisation opérationnels. » Cette modélisation des processus de réalisation opérationnels forme la trame fondamentale des activités sans lesquelles l’organisation ne pourrait remplir adéquatement sa mission.
• L’attrait du miroir de l’organigramme
L’organigramme, ce morceau d’anthologie de l’organisation, offre un attrait quasi irrésistible aux néophytes qui tentent de modéliser les processus. Il s’agit assurément d’un des pièges les répandus et les plus fréquents. L’organigramme est la représentation conceptuelle de l’ensemble de la structure des unités organisationnelles et de leur dotation nominative. Toutes les unités organisationnelles produisent des biens livrables prévus dans mission.
Aussi, il est facile de confondre unité administrative et processus. C’est un dérapage fréquent. Pourtant, il est crucial de toujours conserver en mémoire que le déroulement d’un processus n’est jamais influencé par une structure administrative. D’ailleurs, un même processus, au sein d’une organisation, est réputé pouvoir transgresser plusieurs unités administratives.
• Procédure ou processus
Une autre embûche est fréquente. Elle est initiée par la notion de procédures. Il s’agit essentiellement d’une confusion avec les procédures originaires de la précédente version de la norme ISO 9001. Les procédures qui sont les éléments constitutifs de la trame de la norme ISO 9001/94 n’ont jamais été une représentation des processus de l’organisation.
Une procédure est seulement une directive, alors qu’un processus est un concept renfermant une ou plusieurs d’activités. Les processus, par définition, réalisent des extrants et les procédures encadrent la réalisation de ces mêmes extrants. Les procédures servent à la gestion et à la maîtrise des processus. Ce sont des outils.
• Procédés ou processus
Les organisations, principalement celles des secteurs manufacturiers, sont souvent aux prises avec un autre piège classique lors de la modélisation initiale des processus. Il s’agit de la confusion entre « produits » et « processus ». Il est vrai que, tout comme pour l’organigramme, il est facile de prendre un « procédé » de fabrication pour un processus. La distinction est subtile, mais pourtant suffisante.
Un « procédé » est une façon de faire, une méthode, une recette, pour réaliser un produit. Cela répond à la question comment c’est fait. Un processus est un concept plus générique, qui fait appel, lorsque c’est nécessaire, à plusieurs procédés pour s’acquitter d’un même extrant.
L’aspect le plus dangereux de ce piège est qu’il est difficile à déceler de façon précoce. Cependant, il devient rapidement visible lorsque le nombre de produits est important. En effet, le nombre de processus apparaissant dans la modélisation se multiplie et rapidement le nombre de processus tend vers le ratio suspect d’un processus pour un produit. Ce qui est un indice quasi infaillible de corruption des résultats.
Il est bien évident que chacun des pièges ci-dessus a un impact direct sur la modélisation des processus et sur tout projet qui débute par une telle phase. Ces ratées initiales font perdre un temps précieux à l’organisation. Elles gaspillent des moyens financiers importants et surtout, elles démotivent les équipes. En plus, ces anicroches sapent la crédibilité de l’approche et des projets qu’elle sous-tend.
En fin de compte, toute étape de modélisation des processus présente une crédibilité et une valeur ajoutée pour l’organisation seulement lorsqu’elle aura passé avec succès les phases de validation et d’appropriation par les gestionnaires et les hauts dirigeants. Car, comme pour tout projet corporatif, il est crucial de disposer d’une implication active et visible de la direction exécutive.
Conclusion
La gestion utilisant les processus est en pleine effervescence. Les bonnes pratiques sont largement orientées vers les processus. Si ITIL v.2 était conceptuellement voué aux processus, ITIL v.3 bien que résolument orienté vers les services, n’en est pas moins construit sur les fondements de la version précédente.
Lorsqu’une organisation trébuche sur l’un ou l’autre des pièges potentiels, c’est bien souvent à cause d’une faiblesse de la méthodologie utilisée ou une dérive dans son application. Les approches disponibles sont nombreuses et identifier la plus efficace pour son organisation relève du défi. Cependant, il faut s’assurer d’utiliser une approche suffisamment conceptuelle pour ne pas tomber dans les multiples pièges, mais demeurer également suffisamment pragmatique pour ne pas pelleter des nuages.
Gérard Blanc est associé principal d’une firme conseil en gestion et en systèmes d’information.
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