DROIT ET TI Quand on démarre un projet de développement de logiciels impliquant des pigistes, vaut mieux se prémunir de contrats de cession des droits.
En qualité d’œuvres « littéraires », les logiciels, qui sont composés d’une suite de caractères, d’où leur assimilation à ce type d’œuvre, sont protégés en vertu de la Loi sur le droit d’auteur. En dépit de cette protection de base, qui octroie à son créateur, ou au propriétaire de ses droits, la propriété exclusive du logiciel et le droit d’en disposer à sa guise, notamment de le vendre, la firme qui développe des logiciels a intérêt à se doter de protections supplémentaires. Ne serait-ce que pour pallier à d’éventuelles situations litigieuses qui pourraient survenir, par exemple, lors de son acquisition par une autre firme de logiciels.
C’est que lors de ce type de transactions, la firme acquéreuse veut généralement avoir la preuve que les produits que propose la firme qu’elle convoite lui appartiennent vraiment et sont conséquemment exempts de droits non déclarés revenant à des tiers, par exemple à des pigistes. Dans le cas des employés ayant participé au développement du produit, la situation est moins problématique, car le fruit du travail de l’employé appartient généralement à la firme qui l’emploie. Mais dans le cas des pigistes, c’est beaucoup moins évident.
En fait, Patrice Martin, avocat chez Borden Ladner Gervais, spécialisé en droit des technologies de l’information et des télécommunications et en licences de propriété intellectuelle, recommande aux entreprises de rédiger une convention explicite et de la faire signer par chacun des collaborateurs impliqués dans le projet. Me Martin est aussi membre de l’Association canadienne du droit des technologies de l’information, IT.Can, qui regroupe les avocats canadiens en technologie, et de l’association mondiale des avocats en TI Computer Law Association (CLA).
« On peut documenter les cessions avec les employés pour s’assurer que le produit de leur travail va bien appartenir à l’employeur, mais c’est surtout avec les pigistes, qui sont encore plus volatiles que les employés, que cela est justifié, soutient-il. En plus des modalités habituelles sur le salaire, les vacances, etc., on retrouve généralement dans ce type de contrats des dispositions relatives à la propriété intellectuelle. Malheureusement, on ne retrouve pas toujours ce type de documents dans les entreprises qui préfèrent procéder rapidement et se limitent à une lettre de confirmation d’embauche. »
« Si on n’a rien prévu, on prend le risque de se faire jouer des tours plus tard, ajoute-t-il. Car à la différence de l’employé, il n’existe pas de présomptions dans la Loi qui stipule que le fruit du travail du pigiste appartient à l’entreprise avec laquelle il fait affaire. Donc, le pigiste peut revenir plus tard et argumenter que la propriété intellectuelle sous-jacente au travail qu’il a fait lui appartient. Quand on veut vendre le produit qu’on a développé, il est possible que l’acheteur veule s’assurer que les titres soient clairs et que tous les droits aient été cédés à l’entreprise. C’est vrai lorsqu’on cherche un acheteur, ce l’est aussi lorsqu’on cherche du financement, notamment lorsque la valeur de l’entreprise repose sur un ou des produits vedettes. » Droits moraux
Le document de cession stipulera que le collaborateur cède à son client – l’entreprise de logiciels – tous les droits concernant le fruit de son labeur. Le document précisera également que le collaborateur renonce à ses droits moraux, ce qui permettra à l’entreprise de modifier à sa guise le logiciel auquel il a contribué. L’entreprise a avantage à conclure cette convention avant même que les travaux de développement ne débutent, le collaborateur n’ayant plus d’intérêt à le signer une fois les travaux terminés.
« Un auteur a beau avoir cédé ses droits sur une œuvre, mais il en conserve toujours les droits moraux, qui portent à l’effet que l’œuvre ne sera pas dénaturée, précise Me Martin. Ceci permet de s’assurer, par exemple, qu’une chanson ne sera pas complètement transformée par celui qui en a acquis les droits d’auteur, au point d’être en contradiction totale avec son esprit original. Avec un logiciel, il est important de pouvoir le modifier en fonction de l’évolution des besoins des clients. »
Dans les faits, ce type de protection est davantage le fait des grandes entreprises que des petites. « Les entreprises qui ont atteint un certain degré de sophistication vont systématiquement procéder de cette façon-là, affirme Me Martin. Souvent, c’est parce que dans l’entreprise il y a un investisseur plus expérimenté qui va exiger que cette mesure soit prise de façon systématique. Dans les PME, c’est beaucoup moins probable. »