Quelques milliers d’informaticiens québécois ont fait le saut outre-atlantique. Témoignages et conseils à ceux qui sont tentés par l’aventure française.
PARIS – Que diriez-vous d’avoir sept ou huit semaines de vacances par année ? Ou de passer la fin de semaine en Espagne sans décalage horaire ?
Telle est la vie que mène depuis trois ans Mathieu Milot qui a choisi d’aller travailler en France, et plus particulièrement à Paris, en tant qu’informaticien. « Le samedi matin, je peux décider d’un coup de tête d’aller faire une visite en Italie, ce qui ne m’empêche pas de revenir frais et dispos au travail le lundi matin. Depuis que je suis à Paris, j’ai été plusieurs fois en Italie, en Grande-Bretagne et en Espagne. Et je compte découvrir bientôt l’Europe de l’Est », dit le jeune homme de 27 ans.
Selon une source bien informée, la France compterait quelque 2 500 Québécois spécialisés en technologies de l’information (TI). La plupart disposent de contrats de travail à durée limitée, renouvelables d’année en année. Que retirent-ils de cette expérience par rapport au développement de leur carrière ? Pourquoi ont-ils choisi d’aller travailler en France ? Que faut-il faire pour y oeuvrer ? Nous sommes allés voir sur place pour vous.
Compétences et économies
Règle générale, les Québécois travaillant en TI ont bonne réputation dans l’Hexagone, en raison de leur savoir-faire en programmation, de leur approche interpersonnelle de type nord-américaine et de leur connaissance de l’anglais, dans un pays où le pourcentage de bilingues et a fortiori de trilingues est beaucoup moins élevé que chez nous ou que chez leurs voisins Belges ou Hollandais.
« Et, entre Québécois et Français, il y a de grandes affinités culturelles, en raison de la langue, bien sûr, mais aussi des façons de vivre. Les Français aiment la fête et ils aiment le plaisir », note Christophe Dessain, directeur commercial à Paris chez S.I.C. Biométrie France, une structure mise en place par S.I.C. Biométrie, une PME québécoise spécialisée dans la conception de solutions de sécurité basée sur la reconnaissance d’empreintes digitales.
En outre, notre proximité géographique avec le leader technologique mondial que sont les États-Unis joue en notre faveur. « Dans l’imaginaire français, l’Amérique du Nord a une connotation positive pour tout ce qui touche les technologies », constate Laurent Ausset-Delon, responsable parisien de l’ensemble des opérations de BiblioMondo France, une filiale d’IsacSoft spécialisée dans les logiciels de gestion de bibliothèques.
Une des plus grandes sociétés-conseils en France, Cap Gemini, est ainsi venue recruter à Montréal, en 1999, Marilène Garceau, alors qu’elle était chef de projet chez Bell Mobilité. Elle avait notamment participé à la création du premier site Web de cet opérateur en sans-fil. « Lors de l’entretien d’embauche, on m’a dit que l’existence de la Cité du Multimédia jouait en notre faveur, car elle appuie la crédibilité des Québécois en TI. En outre, nous sommes bilingues », signale celle qui est aujourd’hui chef de projet pour Cap Gemini, une multinationale française de l’industrie du conseil, qui utilise l’anglais comme langue de travail dans le cas où les projets dépassent les frontières du pays.
Toutes ces raisons expliquent une partie de l’attractivité des Québécois auprès des employeurs français. Mais il y a plus. Il faut savoir que le droit du travail en France rend extrêmement difficile pour les employeurs de faire des mises à pied. Fruit d’un siècle de luttes sociales, le Code du travail y veille au point où, écrit Le Figaro, un quotidien généralement associé à la bourgeoisie française, il « rend le licenciement tellement long, complexe et coûteux que les chefs d’entreprise préfèrent ne pas embaucher ».
Cette situation est également de nature à faire reculer certains investisseurs étrangers. « Bien des employés s’assoient sur cette sécurité d’emploi, ce qui fait que la nonchalance peut se développer. Investir dans un pays socialisant est un pensez-y bien », dit Luc Larocque, vice-président des ventes internationales chez 20-20 Technologies, un concepteur lavallois de logiciels d’aide à la décoration de cuisines et qui dispose de deux sites en France, dont un dans la région parisienne.
En partie pour cette raison et parce que cela leur coûte moins cher, certaines organisations françaises recourent à des contractuels étrangers en TI. Avec ces derniers, elles font ainsi d’une pierre deux coups : elles augmentent leur flexibilité en matière de gestion des ressources humaines et elles ne paient pas de charges sociales, lesquelles représentent en France, grosso modo, la moitié du salaire annuel.
Or, même s’ils ne touchent pas un cent en bénéfices sociaux, ces contractuels y gagnent quand même au change. « Je suis beaucoup mieux payé que si j’étais resté à Montréal », estime Mathieu Milot. En poste à Paris depuis trois ans, ce diplômé des HEC (option technologies de l’information) a notamment conçu et implanté des bases de données de type Oracle pour la Mairie de Paris, et ce, pour le compte d’Unilog, le CGI français. Il est aussi chef de projet et travaille actuellement pour le numéro deux mondial de la grande distribution, derrière Wall Mart, soit le groupe Carrefour. Son salaire brut est d’au moins, soutient-il, 30 % supérieur à ce qu’il serait pour un emploi similaire au Québec. Et c’est sans compter sur le fait qu’il dit gravir les échelons beaucoup plus vite à Paris que s’il était resté à Montréal. « Avant d’atteindre des postes de chefs de projet comme celui que j’occupe chez Carrefour, il m’aurait fallu attendre plusieurs années », croit-il.
« Les congés fériés et les vacances, on y prend goût », dit Marilène Garceau. En France, tous les employés ont droit à au moins quatre semaines de vacances par année, auxquelles s’ajoutent quelques autres semaines en vertu du rattrapage du temps supplémentaire. En effet, au-delà de 35 heures de travail hebdomadaires, chaque heure de temps supplémentaire peut être comptabilisée et reprise en temps de vacances. Nombreux sont ceux qui prennent de la sorte sept ou huit semaines de vacances annuelles. Et c’est sans compter les jours fériés. Et qui peut résister au fait d’être à quelques heures des principales villes d’Europe et même d’Afrique du Nord ?
Les conditions de travail et la vie en France ont également séduit Ian Lubelsky, un anglo-Québécois diplômé de l’université Concordia en sciences sociales qui vit à Paris depuis six ans. Chargé de projet à la Société Générale, un géant de l’industrie bancaire et des valeurs mobilières, il estime que sa connaissance de l’anglais a été son ticket d’entrée dans la Ville Lumière. « Je dois souvent parler avec des gens à Londres », constate-t-il.
Habitant le premier arrondissement, dans le coeur historique de Paris, Ian Lubelsky vit quotidiennement les charmes de la capitale, des équipements culturels jusqu’à la vie de quartier. À Paris, a-t-il constaté avec surprise, les gens ne vivent pas dans leurs appartements, mais sortent beaucoup. Les repas entre amis au restaurant sont nombreux. Et du temps libre, Ian Lubelsky en a beaucoup puisqu’il travaille de 8h30 à 17h00. « À Montréal, on se promène autour de la montagne et c’est à peu près tout. Ici, même au bout de six ans, je continue à découvrir de nouvelles rues, de nouveaux endroits et de nouvelles merveilles ».
Des conseils avant de partir
1- Afin de se familiariser avec le marché du travail en France, il sera utile de consulter le site de l’Association des Québécois en France qui donne une liste de sociétés informatiques qui embauchent (www.quebecfrance.info/FAQ/ssii.html). HighTech-Job.net : un blog qui s’adresse à des recruteurs et candidats en TI, consultants Internet, développeurs, chefs de projets, architectes logiciels… Autre blog qui touche à l’emploi (en France, toujours), mais dans le multimédia : blog-job.net. Et pour terminer, une cartographie de l’emploi région par région, branche par branche, métier par métier à www.monster.fr.
2- Avant de larguer les amarres, il est vivement conseillé d’avoir déjà trouvé du travail. Visa de séjour et permis de travail sont nécessaires. Un permis de travail requiert une promesse d’embauche d’un employeur français qui doit ensuite débourser une importante somme d’argent à l’administration française. Ces papiers sont longs à obtenir.
3- Des agences de placement se spécialisent dans la recherche de contrats de travail pour des Québécois désireux de travailler en France. En principe, ils peuvent trouver quelque chose sur la base d’un curriculum vitae. Cependant, leur qualité et même leur honnêteté ne sont pas toutes égales. Elles se rémunèrent à même un pourcentage des émoluments versés au contractuel.
4- Le diplôme ouvre des portes. À défaut d’en avoir un, il importe d’avoir des compétences techniques, de la confiance en soi et de la capacité de se vendre. « Un contractuel peut souvent changer de mandats. Il est important de convaincre les clients qu’on apprend rapidement et qu’on a les compétences de base pour produire de bons résultats », dit Mathieu Milot.
5- Nous sommes plus directs que les Français, mais on aurait peut-être intérêt « à l’être un peu moins », dit Ronald Brisebois, fondateur de Cognicase et d’IsacSoft. En conséquence, dire tout ce qui nous vient à l’esprit n’est pas recommandé.
6- Une différence culturelle importante : les heures de travail. À Paris, le 9 à 5 n’est pas la norme. Les Français commencent leur journée de travail un peu plus tard qu’au Québec, mais la terminent à des heures qui nous feraient pousser des cris d’orfraie : pas avant 19h00, autour de 20h00. Ian Lubelsky, qui termine ses journées à 17h00 s’est bien fait taquiner à ce sujet…
Quelques blocages
En France, la mystique du diplôme est puissante… ce qui est très différent d’ici. On classe les gens en fonction de leur école et de leurs diplômes, et cela joue de vilains tours, témoigne Inti Hébrard-Capdeville. Français d’origine, l’homme de 34 ans diplômé de HEC Montréal en gestion de projets en TI a vécu douze ans au Québec et travaille depuis deux ans en France… mais pas en informatique. « Au Québec, j’ai un profil de chef de projet, alors qu’ici, je n’arrive pas à percer. En France, pour être chef de projet, il faut être issu d’une école d’ingénieurs », dit-il.
Contrairement au Québec, les écoles françaises de commerce et d’administration se cantonnent à la comptabilité, aux ressources humaines, à l’administration et au commerce. Inti Hébrard-Capdeville, qui a quatre années d’expérience au Québec en tant que chef de projet chez Positron et IBM Global Services (avec un mandat chez Air Canada) est maintenant responsable du contrôle des prix chez Jeld-Wen, un fabricant américain de portes et fenêtres, dans sa région natale du Gers.
« Il est vrai qu’en France, le diplôme prend une part plus importante que dans d’autres pays, concourt Laurent Ausset-Delon, responsable des opérations de BiblioMondo France. Il me semble tout de même que les mentalités commencent à changer, surtout dans les petites et moyennes entreprises. Par exemple, en 2002, nous avons embauché un technicien qui possède une licence de lettres. Mais sa passion pour les technologies l’a amené à s’impliquer dans des groupes de développements Linux et à travailler chez un fournisseur d’accès Internet. La suite des évènements nous a donné raison puisque ses qualités sont reconnues par tous les employés et par nos clients ».
Autre pierre d’achoppement : la perception du rôle des femmes en entreprise. C’est plus difficile de faire sa marque lorsqu’on est une femme en France qu’au Québec ! « J’ai dû attendre un an et demi avant d’être chef de projet, même si on m’avait embauché pour ça », dit Marilène Garceau. Selon elle, dans le milieu des TI en France, « il y a une sorte de blocage à l’égard des femmes dirigeantes », dit-elle, ajoutant avoir surmonté l’obstacle en raison de sa volonté et de sa persistance.