Devant un recours collectif contre Facebook qui est accusée d’avoir épié la navigation de ses abonnés, même après leur déconnexion, les méga-machin-éloigné-dans-les-nuages inquiètent. Surtout quand ils connaissent des ratées.
Par les temps qui courent, une mode puissante nous oblige à considérer notre informatique en termes « météorologiques » même si, en réalité, on se trouve à faire de l’informatique distribuée par Internet. On est sur le Nuage, on se sert en partie du Nuage, on a un Nuage privé, on utilise le Nuage public. On n’offre plus de services Web, mais des « Cloud Solutions ». On n’archive plus ses données dans de l’espace serveur loué (Data Center), on a recours au « Cloud Storage ». Et ainsi de suite. On parle désormais d’informatique dématérialisée, virtuelle, à distance, bref, infonuagique.
Ce que l’observation de la tendance actuelle nous démontre, c’est que les plus grandes entreprises ont épousé l’infonuagique pour le meilleur et pour le pire. Et, selon leurs besoins, elles se serviront d’outils très variés arborant d’illustres patronymes : IBM, CA Technologies, SalesForce, Amazon, Symantec, Adobe, Microsoft, Apple et bien d’autres.
On parle de plates-formes de stockage, de gestion, de sécurité, de R&D, de créativité, etc., autant de grands outils généralement au point qui ont été bonifiés avec le temps. Ces produits arrivent même à faire réaliser des économies à leurs grands utilisateurs et à les barder d’une architecture de sécurité plus étanche que jamais. C’est du solide et, jure-t-on, ça le sera davantage.
On parle même de réussites, des sites où tout s’est déroulé tel qu’envisagé, voire mieux. Ô félicités! Et, chaque fois, on parle d’une adaptation particulière du concept d’informatique distribuée grâce à l’état rapidement évolutif du réseau Internet. On se sert du Nuage pour « ceci », mais on conserve « cela » à l’interne. Pour tout dire, ce que l’on confie au Nuage, on le fait dans un contexte documenté des « meilleures pratiques ». La littérature est infiniment riche et variée sur cette question.
Mais il y a des échecs. Ô misère! C’est souvent le cas d’architectures informatiques mal inspirées. Le plus souvent, on voudra reproduire sur le Nuage ce qu’on avait chez soi, de A à Z. On débattra du fait qu’on devrait ou ne devrait pas le faire sur le Nuage public, un grand tout dont on connaît mal les accès, ou sur un Nuage privé, ce qui, d’emblée peut paraître plus rassurant; encore faut-il que l’on comprenne la différence entre les deux. On se dira convaincu du fait qu’il faille désormais tout pomper sur le Nuage, comme, à l’époque, on est passé des ordinateurs centraux IBM à l’informatique client/serveur de Microsoft. Mais on ne saura pas sur quelle « formation nébuleuse » s’aligner.
N’est-ce pas là, pour faire dans la dérision (par exemple ), vouloir « asphalter les chemins de vaches »? Le gros bon sens n’indique-t-il pas que tout ne doit pas nécessairement aller sur le Nuage. Les chemins de vache en terre battue sont parfaits pour la circulation d’un troupeau laitier. Par contre, il importe d’éliminer les nids de poules des grandes artères routières d’une métropole.
À plus forte raison que le Nuage n’est pas parfait. Il comporte des risques et il n’est pas toujours fiable. Régulièrement, des histoires sont publiées sur cette question, même si la plupart ne seront jamais fournies en pâture aux journalistes.
Par exemple, c’est le méga Nuage d’Amazon qui a planté pendant plusieurs heures, c’est celui de Microsoft qui est devenu inaccessible encore plus longtemps, c’est le iCloud d’Apple qui a été HS pendant trois ou quatre heures c’est Sony qui a vécu un cauchemar du côté de ses jeux en ligne et ainsi de suite. Faire une recherche dans Google c’est voir apparaître des histoires peu réjouissantes, dont celle qui a frappé Google elle-même en 2011. La géante de Mountain View avait alors dû reconnaître que sa messagerie « Gmail was experiencing issues »
En un mot, il arrive pour des raisons de bogue, de bris, d’erreur humaine ou de sécurité (allô Anonymous …), qu’un Nuage donné devienne inaccessible en totalité ou en partie pendant une période de temps X. Si on en est entièrement tributaire sans avoir prévu d’alternative, on franchira alors toutes les étapes menant au désespoir.
Ne doit-on pas plutôt s’inspirer du gros bon sens informatique? Oui pour l’informatique distribuée, oui pour la décentralisation infonuagique, mais non à la bêtise aveugle. Par exemple, pourquoi faudrait-il dépendre d’un coffret de logiciels de bureautique en ligne alors que ces produits fonctionnent merveilleusement bien en mode local? Si l’avantage de les avoir sur le nuage peut combler l’utilisateur très mobile, ce ne sera pas le cas pour la masse des gens qui s’adonne au traitement de texte au bureau ou à la maison. Quand Office 365 de Microsoft, la grande panoplie bureautique en ligne, plante (c’est arrivé) ceux qui en dépendent, notamment pour leur messagerie, se retrouvent coupés.
On sait que la grande entreprise, que les grosses PME, disposent souvent d’outils alternatifs, c’est-à-dire des moyens (technos et employés) pour diminuer l’impact des pannes et rétablir, en partie, la productivité. En ce sens, la fiabilité du Nuage est un risque calculé que l’on arrive à gérer.
Mais dans le cas des plus petites organisations et du public en général, les moyens pour contrer un désagrément majeur sont généralement inexistants. Pourquoi alors risquer la paralysie? Ne serait-il pas préférable, dans leur cas, de placer sur le Nuage ce qui, par exemple, peut être constamment régénéré, telles, pour prendre cet exemple, les copies de sauvegardes? Je ne fais que poser la question.
Pour la petite et moyenne entreprise, le scénario idéal ne serait-il pas de pouvoir contrôler localement les outils de productivité et de recourir au Nuage pour bien les exploiter. On parle ici du Nuage qui met à jour ou à niveau les logiciels utilisés localement, qui fournit l’aide et le conseil, qui assume l’archivage chiffré selon l’algorithme AES-256, etc.? Me semble, non?
Questionnement qui nous ramène au XVIIe siècle, époque grandiloquente du moraliste Jean de La Bruyère. « Une chose folle et qui découvre bien notre petitesse, avait-il écrit en 1688, c’est l’assujettissement aux modes quand on l’étend à ce qui concerne le goût, le vivre, la santé et la conscience. » Eut-on connu l’infonuagique (cloud computing) à l’époque de Louis XIV, La Bruyère l’aurait sûrement ajouté à son mot, puisque, c’est connu, le fait de décider que l’on va porter l’information vitale à l’entreprise sur le Nuage est, pour ceux qui en ont le pouvoir, une question de conscience et de discernement.
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Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.