Écrire positivement sur l’ExoPC, c’est un peu nager à contre-courant. Le produit n’a-t-il pas raté son coup dans la faillite de Dumoulin et la presse gadget du CES de Vegas ne s’est-elle pas dite déçue ? Peut-être ! Mais cela démontre simplement que dans l’ensemble, on n’a rien compris !
Que l’on bourlingue sur le Web, dans les médias sociaux ou dans les News Group, il y a une constance: le mot ExoPC fait beaucoup de bruit, du bruit amplifié quand on s’attarde particulièrement aux milieux plus pointus de l’informatique et de la microélectronique. À lire les analyses, les commentaires et les gazouillis, on réalise à quel point le petit appareil qui, en janvier dernier, entreprenait son An 02 est connu.
Certains en ont fait un objet d’intérêt que l’on veut avoir, un jour, possédé. Un peu comme moi qui ai eu mon premier Mac en 1984, mon premier PC Windows en 1987 et mon premier PS/2 sous OS/2 en 1990. Cela permet de dire : « j’étais là dans la mouvance ». Objet culte ? Jalon ? Bidule Win 7 concurrentiel aux modèles Android ou à ceux d’Apple ? L’ExoPC est difficile à saisir. En sa défroque actuelle, c’est une tablette Intel au design sobre qui ronronne sous Windows 7. Mais cela ne saurait durer.
Pour bien comprendre, il faut d’abord songer au concepteur, le Rimouskois Jean-Baptiste Martinoli. Aujourd’hui âgé de 40 ans, il a beau être tombé dans la techno-marmite à 13 ans, l’homme s’est surtout fait remarquer dans sa carrière comme ingénieur logiciel, ingénieur autodidacte, soit dit en passant.
Lotus Notes, ça vous dit quelque chose ? Le patron de la société canadienne ExoPC en a été ceinture noire et maître autoformé dans sa tendre vingtaine. Tellement qu’il est devenu un expert européen en collecticiel. Il a fait partie des geeks de Sophia Antipolis, la prestigieuse technopole française, où il œuvre comme conseiller en technologie de l’information et de la communication. De fil en aiguille, il peut ajouter de grands noms dans son « cardex » de clients, dont la Société de Télécommunications aéronautiques, la Direction des chantiers navals, Gemplus, les Laboratoire Wellcome, le Comité international de la Croix-Rouge, Électricité et Gaz de France, Elf, le ministère français de l’Éducation nationale, Lotus, IBM et Compaq.
À 28 ans, passionné des interfaces graphiques et des objets intelligents, il vient s’installer à Rimouski. On est en 1999. Comme le décor lui plaît, en fait la nature importe à ce fils de Casablanca, il y fait racine et poursuit le développement amorcé en France des objets Mio (Multimedia interactive objects) par les truchements de son entreprise Mioplanet et du moteur générateur MioFactory.
De quoi s’agit-il ? Bien avant le temps, imaginez des apps et un mini App Store ! Imaginez, des « objets riches » appelés selon la nomenclature à la mode « widget » ou « gadget », de sympathiques gugusses qui rendent possibles des routines multimédias agréables ! La trilogie iPod touch – iPhone – iPad, sans oublier la concurrence Android, Palm, RIM et Phone 7, n’arriveront à ce stade que cinq ans plus tard.
On dit de Jean-Baptiste, le saint, qu’il a prêché dans le désert et qu’il a fini par, littéralement, y perdre la tête. Pas Jean-Baptiste, le Martinoli. Lui, il a réalisé assez vite que le succès du phénomène des « gadgets-widgets » à la sauce Konfabulator, Apple, Microsoft et même MioPlanet, était intimement relié aux systèmes d’exploitation de l’heure, Vista et Mac OS X, des SE dont l’ergonomie n’arrivait pas toujours au résultat parfait de 100 % dans les taux de satisfaction. Par exemple, la convivialité du mode d’accès aux Widgets Mac ne fait pas consensus, pas plus que ne le fait l’espace occupé sur un Bureau par les Gadgets de Windows Vista ou de Windows 7.
D’où l’idée d’aller une étape plus loin que les Mio et la MioFactory et d’imaginer, cette fois, une interface utilisateur graphique (IUG) qui permettrait à tous ces essentiels gugusses, Mio ou non, d’y nager comme poisson dans l’eau. Mais par n’importe laquelle. Une IUG qui saurait s’adapter au mode multiforme qui commençait à caractériser l’écosystème micro-informatique, un débridement de modèles caractérisés par des écrans de toutes tailles, des monstres à plus de 30 pouces aux miniatures de moins de trois pouces.
Ce serait en outre une IUG qui saurait très bien faire son lit dans les promesses du fonctionnement tactile dont la gestuelle était en développement accéléré depuis le lancement vers 2002-03 de Windows XP for Tablet PC Edition. On peut voir tout le chemin parcouru depuis lors en comparant les premiers Tablet PC au plus récent iPad d’Apple.
Qui plus est, ce serait aussi une IUG qui permettrait d’accomplir tout ce dont l’utilisateur a besoin sans devoir retourner à l’interface du système d’exploitation, une IUG qui, dans les faits, serait autonome et, un peu comme c’est le cas avec Android ou le iOS, nécessiterait beaucoup moins de lignes de code qu’un SE comme Windows ou le Mac OS X.
On se rappelle Windows 3.1 qui obligeait parfois de s’en aller sous MS-DOS, un SE en lignes de commandes, pour pouvoir accomplir certaines tâches. On constate toute l’évolution survenue au niveau de la couche d’interface quand on réalise qu’aujourd’hui, il est très rare que l’on doive ouvrir une session console dans Win 7. Mais l’IUG de Microsoft n’est pas parfaite; beaucoup laisse à désirer, ne serait-ce qu’une meilleure intégration des gadgets et un rendu tactile plus ergonomique, naturel et complet. À ce sujet, la géante de Redmond y travaille et Windows 8 pourrait amener certaines réponses. Mais qu’en sera-t-il de la nature « inflagiciel » du produit ?
D’où l’apparition, médiatisée il y a un an, d’un ExoPC qui illustrerait, haut et fort, la volonté d’en arriver à ces grands objectifs, objectifs, au demeurant, semblable à ceux de Steve Jobs, le P.D.G. d’Apple. En effet, le légendaire industriel californien n’a pas hésité à parler récemment de « dispositifs post-PC » pour qualifier le nouveau type d’ordinateurs personnels que sous-tend des produits comme le iPad dont le SE n’est pas le Mac OS X, mais l’iOS, un système foncièrement différent.
Pour Jean-Baptiste Martinoli, il fallait donc se hisser sur les rails du marché, fournir sans faiblir aux exigences de la propulsion qui en découlerait et présenter une preuve de concept concluante quant à sa vision.
Pas une mince affaire quand on n’a ni fortune personnelle, ni gérants de banques en train de faire la queue pour prêter les crédits nécessaires. Mais il y est arrivé en utilisant les médias traditionnels, ceux des grands groupes de presse, comme ceux de Montréal, en disant adroitement ce qu’il fallait et rien de plus. Si Engadget joue l’histoire à la une, les autres en font autant, non ? De toute façon, n’est-ce pas ainsi qu’il arrive à l’inventeur du marketing 2.0, Steve Jobs, de procéder?
En même temps, l’entrepreneur rimouskois s’est entendu avec Hypertech, une fabricante hi-tech de Montréal dont le copropriétaire, Shawn Ahdoot, est devenu chef des opérations (CEO) chez ExoPC. Lui, le maître du code flyé, il est demeuré président et chef de la technologie (CTO), un rôle qui lui convient à ravir. Puis, il s’est fait ouvrir les bonnes portes chez Microsoft et Intel et il s’est mis à participer aux salons stratégiques. C’est tout cela qui lui a donné accès au financement fédéral canadien dont on aura sous peu des nouvelles.
Ajoutons qu’en même temps, dans un contexte de 18 à 20 heures de travail quotidien sans trop de trêves les fins de semaine, il s’est probablement mis à toucher du bois matin, midi et soir, tout en invoquant Ogun Ferraille, divinité vaudou révolutionnaire connue pour être, entre autres, le patron des forgerons. Effectivement, le visionnaire Jean-Baptiste Martinoli aurait pu être emporté dans la tourmente des premiers temps; comme on le sait, cela est arrivé à de mieux nantis aussi bien en financement qu’en appuis.
Tout cela a résulté en la fabrication de quelque 75 000 appareils, des ExoPC, dont 10 000 fabriquées par Hypertech sous le nom de Ciara Vibe. Leur raison d’être ? Intéresser les personnes les plus influentes de la Webosphère, susciter l’intérêt envers le produit, faire connaître la marque ExoPC, être jugé crédible aussi bien chez Microsoft que chez Intel, prouver que le concept était viable. Ce qui fut fait. Évidemment, il y eut l’épisode Dumoulin où, avant la faillite, des gens comme vous et moi purent acquérir un ExoPC Ciara Vibe.
La deuxième phase amorcée en début d’année devrait permettre à la marque ExoPC d’être plus identifiée à l’aspect logiciel que matériel. D’ici un an, on devrait parler de l’interface ExoPC comme étant une solution ergonomique pouvant s’installer sur n’importe quelle machine pouvant accepter le fonctionnement tactile. Mais si dans un premier temps, cela ne se fera que sur des appareils à processeur Intel avec Windows 7 comme système d’exploitation, il pourra en être différent dans une troisième phase.
Déjà plusieurs amateurs utilisent la tablette ExoPC avec MeeGo, une variante Linux qui appartient à Intel à la suite d’un partenariat avec Nokia. Mais ils le font sans l’IUG de monsieur Martinoli et il coule de source que ce désagrément sera dissipé d’ici deux ans. On aura alors un appareil, quelle qu’en soit la forme ou la marque de fabrication, qui ronronnera, sans que ça ne le paraisse, sous MeeGo avec un IUG que personne n’aura à quitter. Pour l’heure, l’ExoPC, en tant que tablette, est le seul appareil qu’Intel a certifié conforme aux exigences de MeeGo.
Comparativement aux possibilités actuelles, l’expérience sera beaucoup plus satisfaisante. Beaucoup moins exigeante et énergivore, beaucoup plus légère, vive et efficace que la tablette de 2011. La MeeGo, sans jeu de mots, sera un choix bien indiqué pour prendre en charge les subtilités du HTML5. Devenue concurrente redoutable aux tablettes Android et au iPad, cette tablette que l’on nomme encore, pour l’instant, ExoPC, sera reconnue comme dispositif post-PC éminemment acceptable pour la plupart des utilisateurs de machines intelligentes. À cette enseigne, la magie pourra alors céder la place à la business. Tel est du moins le plan de match de Jean-Baptiste Martinoli.
La logique du cheminement de l’ExoPC est celle d’un produit qui, jusqu’ici, a mal été compris et dont l’évolution récente a nécessité quelques valeureux épisodes de navigation à vue. Ce fut, sans conteste, une navigation périlleuse à laquelle le flair et, peut-être, le goût du risque de Jean-Baptiste Martinoli ont joué un rôle crucial.
D’ici septembre prochain, le financement tant attendu viendra simplifier la vie des premiers apôtres, d’autres compétences « allumées » seront recrutées et déménagées à Rimouski, certains partenariats stratégiques seront formalisés, les communications seront éventuellement bonifiées et quelques savantissimes déclarations seront administrées « ratoureusement » aux médias.
Jean-Baptiste Martinoli est un personnage inusité à l’intelligence vive dont on reparlera sûrement en ces pages.
Entrevue vidéo de Jean-Baptiste Martinoli réalisée par Nelson Dumais : Partie 1 et Partie 2
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.