Le iPad 2, bidule impressionnant qui sera livré dans une semaine aux É.-U. et dans trois au Canada, vient à peine d’être lancé qu’il soit déjà pressenti comme la norme à imiter, combattre ou dépasser. Le iPad 1 est mort, vive le iPad 2 ! Voici un phénomène que rien ne semble vouloir ralentir.
SAN FRANCISCO – Drôle d’expérience. Assis dans la salle de conférence du Yerba Buena, un centre culturel de San Francisco, j’avais, autour de moi, le gotha techno du journalisme américain. Tous les gros noms y étaient. Et rien qu’à voir le nombre de photographes ou de caméramans qui s’affairaient, il était évident que la planète serait sous peu recouverte de photos présentant Steve Jobs en train de lancer son iPad 2. Et ce fut le cas. Faites le tour ce matin. Pas un site, pas une publication ne peut se payer le luxe de ne pas parler du nouvel iPad et de Steve Jobs. Quelle réussite marketing !
On se serait cru aux Oscars ! Tout au long de la présentation, l’on bloguait en direct, l’on tapait sa nouvelle, l’on se préparait à se ficeler une ballado-vidéo, ou, comme moi, l’on gazouillait dans Twitter. Personne ne prenait des notes avec un stylo ou un magnétophone (1). À plus forte raison qu’au même moment, plein de journalistes bloguaient ou gazouillaient en direct à partir de chez eux en regardant la transmission télé du lancement. Drôle de concurrence, ces gens qui n’ont pas à se déranger, qui arrivent quand même à informer et qui, souvent, parviennent à le faire correctement. Tant et si bien qu’une heure après l’évènement, tous les sites de nouvelles affichaient des images et du texte sur cette question.
Autrement dit, ce matin, 24 heures plus tard, tout a été dit sur le nouvel iPad. C’est quasiment devenu une vieille histoire (2). Dur, dans de telles conditions, de trouver un angle différent de celui des autres. J’ai plutôt tenté de jouer un peu à contrecourant. Je dis bien « un
– Un processeur A5 double coeur d’Apple, ce qui, techniquement double la vitesse ;
– Autonomie énergétique de dix heures ;
– Un rendu graphique neuf fois plus costaud ;
– Deux caméras, l’une en avant, l’autre derrière ;
– Le gyroscope, l’accéléromètre et le GPS y cohabitent désormais ;
– Une sortie HD (HDMI) à 1080p au moyen d’un adaptateur ;
– Des logiciels spécialement adaptés (p. ex. iMovie et GarageBand) ;
– Des accessoires vendus séparément, dont une couverture magnétisée, amovible, intelligente et design pour protéger l’écran ;
– Machine 33 % plus mince, en fait plus mince qu’un iPhone ;
– Machine 15 % moins lourde ;
– Capacité de stockage de 16, 32 ou 64 Go, selon les modèles ;
– Wi-Fi seul ou Wi-Fi et 3G, selon les modèles ;
– La plupart des technos cellulaires supportées, selon les modèles.
peu ». J’ai voulu comprendre ce qui se passait là, devant moi, et vous en faire part. Ce qui m’a fait parler du double exploit de Steve Jobs. Je me suis attardé sur la mission dont, à mon avis, il s’était investi : rassurer Wall Street et lancer du gravier dans le pare-brise de la concurrence.
Wall Street ? Pas plus tard que la semaine dernière, le National Enquirer ne donnait plus que six semaines à vivre au célèbre P.D.G. Sa rémission était terminée, le cancer avait pris le dessus et il faisait des ravages à vitesse « Grand V ». J’ai déjà traité de ce sujet en ces pages, m’arrêtant notamment sur les conséquences financières d’un tel malheur. Pour bien des investisseurs, la présence de Jobs est essentielle à la croissance du titre AAPL. Lui parti, ils en feront autant, ce qui pourra s’avérer dommageable pour la valeur boursière de l’entreprise.
Il est vrai que le père du Mac n’avait pas l’air bien. Il m’a semblé plus maigre que jamais, plus hésitant dans ses mouvements et très fatigué : une carcasse ravagée enfermant une volonté d’enfer et une créativité exceptionnelle. Effectivement, ses allures de vieillard ne l’ont pas empêché de mordre le fond de culotte de sa concurrence. Jobs lui a lancé dans au travers les jarrets une machine qui va la forcer à se remettre illico en mode réaction. Effectivement, elle n’est pas si pire la machine. Pas exactement ce à quoi on s’attendait, mais quasiment aussi intéressante. Si vous lisez mon encadré, vous en déduirez qu’Apple n’a pas simplement mis son iPad 1.0 à niveau, mais qu’elle la redessiné de fond en comble. Châssis différent, carte mère nouvelle, boutons supplémentaires, caméras comme sur le iPhone 4, etc. Pourtant, le prix est demeuré le même.
C’est là où la concurrence va râler. Jusqu’ici, le iPad 1.0 a été la norme à battre. Il a fallu produire des tablettes pouvant rivaliser et pouvant être acheté par des consommateurs ayant comparé le rapport qualité-prix et non seulement par ceux qui détestent Apple. Or, voici pour le même prix, le iPad 2, un appareil qui va beaucoup plus loin. Sans parler de la masse d’applications disponible, une masse en progression continue. Cela pour dire que 2011, selon Jobs, ne sera ni l’année de la tablette, ni celle de l’industrie des « copy-cats », ces fabricants de tablettes Android, Windows 7, HP/Palm ou BlackBerry. Non. 2011 sera l’année du iPad 2, rien de moins. Un iPad, bien entendu, aussi fermé que son prédécesseur dans l’univers Apple : pas de prise pour carte SD, pas de connecteur pour dispositif USB, tributaire de la version 4.3 de iOS, le système d’exploitation unique à cette plateforme, dépendance envers iTunes et les boutiques enligne d’Apple, etc. Mais bon, cela est une autre histoire !
(1) Plus personne n’a le temps de travailler ainsi. Tout va maintenant trop vite.
(2) On peut se poser des questions sur l’utilité d’inviter en Californie des reporters comme moi. J’ai pourtant travaillé vite et quasiment sans arrêt. Tout au long de la présentation du P.D.G. d’Apple, j’ai systématiquement gazouillé l’info, ce qui a fait de moi le seul piailleur québécois francophone sur place. Après, j’ai produit un papier pour un quotidien et j’ai écrit ce texte-ci pour Direction informatique. Cela fait, je suis allé alimenter mon propre site Web.
Évidemment, ce que j’ai écouté, vu ou lu de la production journalistique mise en ligne dans l’heure qui a suivi la prestation de Steve Jobs était factuel. Voici le iPad 2, ses pompes et ses œuvres. Il a ceci, n’a pas cela, il coûte tant et sera disponible à telle date. Ma question : si tout le monde dit, reprend ou « retwitte » la même info, pourquoi devrais-je le faire à mon tour ? J’apporterai quoi au débat ? Je l’ajouterai où, la valeur que me commande le rédacteur en chef de ce magazine-ci ?
La multiplicité des sources d’information est un dogme essentiel dans les démocraties. Mais si le résultat est l’uniformisation du contenu, on n’est guère mieux servi au bout du compte que dans le cas d’un contrôle serré sur l’information. Ce blogueur vidéo, dont l’égo est gros comme ma cuisse, doit produire sa capsule qui rivalise en propos lénifiant avec le blogue de telle prima donna, laquelle a copié-collé et rephrasé à sa façon ce que son collègue new-yorkais vient d’inscrire dans son webzine. Heureusement, tout n’est pas comme ce malheureux exemple… pourtant basé sur la réalité.
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.