Des fournisseurs de services concurrents affirment qu’il perdront toute marge de manoeuvre si la tarification à l’utilisation d’Internet entre en vigueur en mars 2011. Au Québec le plafond de téléchargement serait plus élevé, mais la consommation excédentaire serait plus onéreuse qu’ailleurs au Canada.
NDLR : Quelques heures après la publication de cet article, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a annoncé que la mesure visant l’application de la facturation à l’utilisation de la bande passante Internet était reportée deux mois, afin que l’organisme procède à un nouvel examen du dossier. (Lire : Facturation de la bande passante: sursis et réflexion au CRTC).
Alors que le ministre responsable d’Industrie Canada au gouvernement fédéral, Tony Clement, a annoncé qu’il étudierait le dossier de l’application de la tarification à l’utilisation de la bande passante Internet pour les services résidentiels, tel qu’entériné récemment par des décisions du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) (Lire : Facturation à l’utilisation de la bande passante : les réactions fusent), les dirigeants des fournisseurs concurrents Teksavvy et Vif Internet décrivent les impacts qu’auraient ces mesures sur leurs activités commerciales.
Teksavvy est un FSI concurrent de Chatham en Ontario qui offre de services d’accès à Internet et de téléphonie en Ontario et au Québec. L’entreprise, qui commercialise un forfait « Premium » doté d’un plafond de téléchargement de 200 gigaoctets (Go), a indiqué à ses abonnés ontariens dans un courriel (repris dans le forum de discussion HFBoards.com) que le plafond serait réduit à 25 Go à compter du 1er mars 2011, et que chaque gigaoctet excédentaire coûterait 1,90 $.
Teksavvy a informé ses abonnés qu’ils pourraient acquérir une « assurance » mensuelle, soit des tranches de capacité de téléchargement qui couvriraient une consommation excédentaire. Un versement de 4,75 $ par mois hausserait le plafond de téléchargement de 40 Go. Teksavvy a publié une foire aux questions en anglais qui contient des tableaux décrivant la nouvelle grille tarifaire qui serait appliquée en Ontario à compter de mars 2011.
Cette « assurance », offerte par les FSI titulaires aux FSI concurrentiels, serait aussi assujettie à l’obligation de réduction de tarif de 15 % que le CRTC a ordonné récemment, afin que les FSI concurrentiels puissent établir leur propre marge de vente.
« La facturation à l’utilisation existait auparavant, mais elle avait trait à l’utilisation de l’infrastructure d’Internet (le IP transit), explique Rocky Gaudriault, le chef de la direction et copropriétaire de Teksavvy. Or, le CRTC a donné le droit que les compagnies comme Bell nous chargent pour l’utilisation qui ne fait pas partie du réseau Internet, de façon à ce que soit comme ce que Sympatico chargerait à ses clients.
« Ça fait en sorte que les concurrents ne peuvent plus faire compétition au niveau du prix ou du service, car ce qui permettait de nous différencier disparaît », ajoute le Franco-Ontarien.
Marge commerciale amoindrie
Vif Internet est un fournisseur de services Internet de Montréal qui offre un forfait à téléchargement illimité, mais qui limite la bande passante lorsqu’un client dépasse le seuil des 100 Go.
Le directeur des opérations de Vif Internet, Michael Kaprielian, estime que la facturation à l’utilisation de la bande passante touchera 90 % de sa clientèle. Il craint que les mesures approuvées par le CRTC fassent en sorte que les consommateurs ne voient plus d’avantage distinctif entre les FSI concurrents et les FSI titulaires comme Bell Canada.
« On ne sait pas si on va perdre ou non des clients si [les mesures du CRTC] sont appliquées le 1er mars. déclare M. Kaprielian. Ils verront qu’on sera exactement comme Bell et qu’il n’y aura pas de compétition, avec les mêmes prix et les mêmes limites. On paie déjà des milliers de dollars par mois pour avoir de la bande passante qu’on donne ensuite à nos clients. Maintenant, Bell veut nous forcer à facturer à tous les clients, un par un. Je ne pense pas que c’est juste. »
« Le CRTC a ordonné une réduction de 15 % des frais pour qu’on puisse avoir au moins quelques sous par gigaoctet ou par assurance, mais je ne pense pas que ça nous donnera une grosse marge, car nous perdrons beaucoup d’argent et de clients. »
Québec : plafond plus élevé, excédents plus onéreux
Dans le courriel transmis par Teksavvy à ses clients, on indique que le plafond de téléchargement qui serait établi en vertu de la nouvelle facturation à l’utilisation serait de 25 Go en Ontario, mais de 60 Go au Québec. Toutefois, alors qu’il en coûterait 1,90 $ par gigaoctet supplémentaire en Ontario, le coût serait de 2,35 $ au Québec. Ces mesures disparates auraient été approuvées par le CRTC à la suite d’arguments formulés par des FSI titulaires.
Michael Kaprielian de Vif Internet explique cet écart par la concurrence accrue dans le marché des FSI au Québec, alors que les offres commerciales du câblodistributeur Vidéotron ont fait croître le plafond de téléchargement à 60 Go. Il ajoute que c’est l’existence d’un plafond de téléchargement plus élevé au Québec qui ferait en sorte que le tarif pour la consommation excédentaire y serait plus élevé qu’en Ontario.
Perception et espoir
M. Gaudriault, qui était en Allemagne lorsque joint par Direction informatique, dit s’inquiéter de la position du Canada sur la scène internationale si les mesures approuvées par le CRTC entrent en vigueur le 1er mars prochain.
« On ferait un pas en arrière dans la compétition mondiale, alors qu’à des endroits on offre une bande passante de 25, 50 à 100 Mb/s et du téléchargement illimité ou bien des plafonds de 300 à 500 Go. On se retrouverait quasiment au niveau de la liaison commutée », indique-t-il.
Toutefois, M. Gaudriault a bon espoir que l’intervention du gouvernement Harper dans le dossier mène à un revirement de situation.
« Je suis content de voir que le ministre Clement prend la situation très au sérieux depuis qu’il a vu l’inquiétude des gens à ce sujet. Je suis très fier, à titre de FSI compétiteur, de voir que l’inquiétude est non partisane, et que les conservateurs voient qu’il y a un problème dont il faut s’occuper ».
Jean-François Ferland est rédacteur en chef adjoint au magazine Direction informatique.