Mais qu’est-ce qu’un renseignement personnel, au juste ?
Notre premier réflexe est de tenir à protéger à nos renseignements personnels.
Notre second réflexe est malheureusement de moins les protéger, souvent en échange d’une chance de gagner un objet, un voyage ou des points quelconques.
Un autre réflexe est de croire que nos renseignements personnels regroupent nos coordonnées personnelles: nom, adresse résidentielle, numéro de téléphone résidentiel, adresse de courriel personnelle… Or, l’on est alors parfois surpris de constater que la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (LPRPSP) définit les renseignements personnels non pas par une liste, mais bien de la façon suivante:
« Tout renseignement qui concerne une personne physique et permet de l’identifier. »
Notre législateur aurait-il péché par manque de précision ? Non. Le présent article a pour but d’examiner l’état des lieux.
Comment peut-on m’identifier ?
Lors d’une récente conférence sur le droit civil et les technologies, Éloïse Gratton, avocate et étudiante au doctorat en droit, a fait part du résultat de certaines de ses études sur le sujet. Cela m’a fait réfléchir.
L’internaute moyen sait déjà qu’au moyen des témoins (cookies), des entreprises possédant des sites Web peuvent accumuler certains renseignements à son sujet. Ces renseignements ne sont habituellement pas considérés être des renseignements personnels car aucun nom n’est mentionné ni connu en rapport avec ces témoins; de plus, ils ne s’attachent pas à une personne en particulier, mais plutôt à un ordinateur en particulier.
Cependant, votre utilisation de l’Internet sur votre appareil mobile ajoute des éléments déterminants à cette situation. D’abord, il y a probablement fort peu de personnes, à part vous, qui utilisent votre téléphone mobile pour faire des recherches sur Internet. Le témoin (cookie) possiblement laissé sur votre téléphone intelligent ne s’applique qu’à vous dans la plupart des cas.
Ensuite, les capacités de géolocalisation, comme bien d’autres technologies sur Internet, s’améliorent sans cesse. Il est possible pour les policiers et/ou les pompiers de savoir avec un bon degré de précision dans quel secteur vous vous trouvez si vous êtes en danger et appelez au secours avec votre téléphone portable.
Dans le monde du marketing, la technologie évoluant, on parle maintenant de nouveaux types de publicités ciblées. Disons que vous avez fréquemment questionné avec votre téléphone intelligent le site de telle ou telle chaîne de cafés, pour savoir où en était la succursale la plus proche. Avec les témoins, il est hypothétiquement possible pour la société exploitant cette chaîne de savoir que la personne possédant le téléphone que vous avez entre les mains cherche souvent un de ses établissements. Avec la géolocalisation, cette société pourrait savoir, alors que vous êtes en voyage d’affaires, que vous vous situez dans un rayon de moins de 100 m de l’un de ses établissements. Que diriez-vous si votre téléphone sonnait alors pour vous annoncer que la chaîne vous envoie un coupon publicitaire de réduction de 0,75$ sur votre prochaine tasse à l’établissement le plus proche ?
Sans que vos coordonnées person-nelles ou même votre nom soient con-nus, considéreriez-vous cette pratiquecomme utile ou comme de l’ingé-rence indue?
La rédaction de la Loi
C’est pour ça que la LPRPSP est rédigée de cette façon.
Oui, j’admets, il y a un risque que la réponse à une question concernant les renseignements personnels soit « Ça dépend ». Oui, ce type de réponse est parfois insatisfaisant. Mais compte tenu de l’exemple mentionné précédemment, peut-il en être autrement ?
C’est un euphémisme de dire que les technologies évoluent à un rythme très rapide. Or c’est un autre euphémisme de dire qu’une loi prend beaucoup de temps à évoluer; parlez-en à ceux qui attendent une nouvelle loi canadienne sur le droit d’auteur.
Si une loi est rédigée de façon trop restrictive surle plan technologique, elle sera vitedépassée. Dans cer-tains États américains, il y a des lois qui ont tenté de décrire spécifiquement le processus technologique nécessaire pour qu’un document électronique soit considéré valide en preuve; le temps de compléter toutes les étapes inhérentes à la promulgation d’une de ces lois, et les technologies évoquées étaient devenues désuètes!
Nous avons donc une loi qui décrit de façon plus large la notion de «renseignement personnel». Sous l’égide de cette loi, il se pourrait qu’un jour, un tribunal décide que les possibilités offertes par la disponibilité combinée de
1) la géolocalisation et
2) du caractère unique de l’utilisateur d’un téléphone mobile permettent d’identifier une personne physique et font que ces deux renseignements ensemble constituent des renseignements personnels, lesquels ne peuvent être utilisés sans l’acceptation de la personne concernée… Le tout même si aucun nom, adresse ou numéro de téléphone n’est échangé.
Le droit à la vie privée peut vouloir dire selon les circonstances «le droit de protéger ses renseignements personnels», ou «le droit à l’anonymat» ou encore, simplement, «le droit d’être laissé tranquille» !
Michel A. Solis est avocat, arbitre et médiateur. Il oeuvre dans le secteur des TI depuis plus de 20 ans.