L’évolution et l’omniprésence des technologies ont une importante influence sur certaines clauses contractuelles.
La technologie est partout, vous le saviez déjà. Il ne s’agit plus d’un domaine spécialisé ou d’un phénomène marginal, même en droit.
Au milieu des années 80, un petit nombre d’ingénieurs de Philips travaillaient sur le développement de ce que nous connaissons maintenant comme le disque compact. Dans leur contrat d’emploi, qui a fort probablement été en format papier pendant toute sa vie utile, il était possible pour leur employeur de les empêcher de travailler sur tout autre projet de disque compact : c’était un domaine exclusif, particulier, spécial. L’on imagine mal aujourd’hui un employeur empêcher son employé de travailler sur quoi que ce soit qui touche les disques compacts; cette clause serait fort probablement cassée par un tribunal sous prétexte qu’elle empêche l’employé possédant des compétences dans le domaine de gagner sa vie.
Le degré de pénétration de la technologie aurait dans ce cas pour effet d’influencer le droit applicable au contrat et la façon dont le juge analyserait la clause de non-concurrence.
Les applications… très larges
Le président d’une entreprise cliente m’a consulté récemment car son cocontractant réclamait qu’il signe une clause de non-concurrence surprenante. En vertu de cette clause, mon entreprise cliente ne pouvait pas, pendant la durée de l’entente et pendant un an par la suite, travailler avec quelque autre entreprise développant des applications pour des téléphones intelligents.
Déjà, en 2010, le monde des applications destinées aux les téléphones intelligents, c’est énorme! Dans un contrat d’emploi, cette clause aurait probablement eu la vie courte en raison de son étendue trop grande!
Cependant, il s’agissait d’un contrat entre deux entreprises, et le droit québécois ne s’applique alors pas de la même manière que lorsqu’il s’agit d’un contrat entre un employeur et son employé.
Notre droit tend à protéger ceux qui sont dans des situations d’infériorité potentielle au niveau des négociations, tels que les employés, les consommateurs, les locataires résidentiels, etc.
Or, quand il s’agit de contrats entre deux sociétés, même dans l’éventualité où elles seraient de force inégale, le droit québécois laisse souvent les gens d’affaires et les entreprises sans protection particulière. Ils sont en affaires et sont présumés connaître les risques qu’ils prennent.
Dans le cas présent, il y avaitdonc un risque que la clausede non-concurrence qu’on tentait d’imposer à ma cliente soit considérée légale, malgré son étendue très large. De toute manière, que la clause soit solide ou non devant un tribunal, ma cliente avait peu l’intention et encore moins le temps d’aller demander à la Cour d’enquêter sur la question.
Il a donc été résolu de retourner à la table de négociations et de faire en sorte que le cocontractant de mon entreprise cliente se rende compte du caractère déraisonnable de cette clause. Le président de mon entreprise cliente était prêt à refuser le contrat en l’absence de la modification de la clause. Il y a finalement eu entente quant à la définition de certains secteurs d’affaires et de certains marchés-cibles où l’on voulait éviter toute concurrence.
Plus d’exotisme
Déjà, en 2010, il y a pas mal moins d’exotisme qu’avant dans le secteur global des applications développées pour les téléphones intelligents. Des téléphones intelligents, il y en a partout. Certaines applications peuvent sembler exotiques, ou uniques, mais certainement pas toutes.
Le degré de pénétration d’une technologie ne peut faire autrement que d’avoir une grande influence sur la rédaction des clauses de non-concurrence, ainsi que sur leur validité et leur pertinence une fois qu’ellessont rédigées.
Bientôt, on ne pourra plus dire « je travaille en technologie ». On dira « je travaille dans une agence de voyage » (sur Internet) ou « je développe des appareils audio » (minuscules contenant 5000 chansons et plus) ou encore « je publie un magazine » (qui n’a jamais été sur un papier et n’a jamais vu un kiosque à journaux). Et les clauses de non-concurrencene traiteront alorspas de technologie, mais d’agences de voyages, d’appareils audioet de magazines.
Bientôt, on ne dira plus « j’ai trouvé ça sur Internet » tout comme on ne dit plus depuis longtemps « j’ai trouvé ça avec mon téléphone ». On dira « j’ai trouvé ça chez la compagnie UneTelle », qu’elle ait pignon sur une rue commerciale ou non.
Et le droit devra s’adapter. Et il le fera. Et la rédaction des contrats des entreprises s’adaptera aussi. On se dira alors, comme il est bon de se le dire maintenant, que si notre base de contrat a plus de 3 ans, il serait bon de la revoir !
À moins qu’avec le temps et avec les années qui passent si vite, le chiffre ne soit réduit à deux ans? À 18 mois?
Michel A. Solis est avocat, arbitre et médiateur. Il oeuvre dans le secteur des TI depuis plus de 20 ans.