C’est indéniable: les technologies de l’information et des communications améliorent la productivité et aident les entreprises à profiter de la mondialisation des marchés et à y faire face. Mais comment?
Iain Grant, analyste expert en économie des technologies de l’information et des télécommunications au sein du cabinet montréalais du SeaBoard Group, se réjouit que la récession soit enfin derrière nous. « Les entreprises devraient profiter de 2010 pour envisager de nouvelles stratégies et considérer des investissements », dit-il.
Charles Huot, directeur général, actions institutionnelles chez BMO Marchés des capitaux, constate que les entreprises du secteur des technologies de l’information ont relativement bien géré la récession, notamment parce qu’elles sont elles-mêmes outillées pour contrôler leurs coûts. « Le secteur de la technologie a également bénéficié d’un appui important de la part des investisseurs dans la relance, notamment grâce au stimulus financier du gouvernement américain », précise-t-il.
M. Huot croit que parce qu’elles ont généralement moins souffert durant la récession, les entreprises de l’industrie des TIC devraient logiquement être parmi les premières à profiter de la relance.
Amit Kaminer, analyste en télécommunication au bureau de Toronto du cabinet SeaBoard Group, est de cet avis. « Du point de vue des technologies de l’information et des télécommunications, le ralentissement économique aura eu un effet positif, car il a sensibilisé bon nombre d’entreprises à l’importance de posséder des systèmes informatiques à niveau, dit-il. Il faut comprendre que durant une période de resserrement économique, il importe que les entreprises prennent des décisions justes et précises. Les T.I. supportent et rendent possibles de telles décisions. Disposer d’infrastructures technologiques performantes peut également accélérer leur exécution. Et c’est sans compter sur les économies réalisées. Par exemple, organiser une réunion en vidéoconférence coûte beaucoup moins cher qu’en personne (billets d’avion, hébergement, etc.). Ces avantages sont devenus très apparents lors de la récente crise. »
Selon Iain Grant, la révolution qui s’opère actuellement dans le domaine des technologies de communication mobile a le potentiel de modifier les relations entre les entreprises et leurs clients, fournisseurs et mêmes leurs employés. Les outils mobiles « virtualisent » les places d’affaires. « Aujourd’hui, les employés peuvent se connecter à distance et à faible coût aux outils, ressources et systèmes corporatifs, illustre-t-il. Ces technologies ont le potentiel d’apporter une grande satisfaction et d’améliorer les conditions de travail. Il suffit de penser à ceux qui doivent effectuer de longs trajets pour se rendre au bureau avec ce que cela implique en perte de temps et en frustration. Elles aident également les employeurs en limitant leurs dépenses fixes. »
L’essor des téléphones intelligents et les nouvelles relations d’affaires qu’ils facilitent captent l’attention d’Iain Grant. Selon lui, la révolution provoquée par les téléphones intelligents va changer le visage des entreprises. Ces outils offrent des moyens efficaces d’engager une relation avec les consommateurs tout en réduisant les coûts de transaction et les frais de vente, deux éléments qui influent directement sur la profitabilité.
M. Grant ajoute que les entreprises devraient initier une réflexion stratégique quant aux outils de communication, que ce soit dans l’optique d’exploiter de nouveaux marchés ou de tirer avantage des nouvelles capacités et structures de tarifs proposés par les exploitants de réseaux de données mobiles.
Prudence et réflexion
« La récession a provoqué certain ralentissement dans les pré-démarrages et démarrages d’entreprises. Il est bien évident que les gens vont davantage réfléchir avant de démarrer une entreprise dans un contexte de ralentissement économique. On note une plus grande prudence généralisée », croit Mario Girard, président-directeur général de la Fondation de l’entrepreneurship, un organisme sans but lucratif activement engagé dans la promotion du développement de la culture entrepreneuriale au Québec.
Les entrepreneurs en TI ont été moins touchés que ceux des domaines plus traditionnels comme l’industrie manufacturière: « C’est un peu normal, car la raison première des solutions technologiques est de rendre leurs clients plus concurrentiels et productifs, ajoute M. Girard. Les entreprises de tous les secteurs qui ont investi davantage dans les innovations technologiques ont sans doute trouvé le passage plus facile que celles qui tiraient de l’arrière. Cela dit, un ralentissement économique est toujours aussi une période où les projets qui apportent réellement de la valeur se démarquent ».
En ce début de 2010, le moral des entrepreneurs qui bénéficient des programmes de mentorat de la Fondation va plutôt bien. « Un entrepreneur qui n’a plus de moral à cause du ralentissement économique n’en est probablement pas un à 100 %, soulève Mario Girard. Deux des qualités premières pour être un bon entrepreneur sont la persévérance et la résilience. La plainte qui revient le plus souvent à notre niveau n’est pas vraiment la récession mais plutôt la grande difficulté à trouver le financement pour démarrer leurs projets ».
Pierre-Majorique Léger, professeur agrégé au Service de l’enseignement des technologies de l’information des HÉC Montréal, espère que les entreprises profiteront de la reprise pour mieux s’outiller. « Au 21e siècle, une organisation qui veut se démarquer et s’insérer dans des chaines mondiales d’approvisionnement doit forcément faire appel aux technologies de l’information. Ce qui distingue cette relance par rapport aux précédentes, c’est le taux de change du dollar canadien par rapport au dollar américain et à l’euro qui est très avantageux. Cette situation s’avère très favorable à l’acquisition de logiciels susceptibles de stimuler la productivité des organisations. Plusieurs entreprises ont profité de l’occasion pour repenser leurs façons de faire et éliminer des activités sans valeur ajoutée. En PME, il y a clairement beaucoup de boulot à effectuer pour bonifier des architectures vieillissantes », dit-il.
« Il n’y a pas 56 000 façons de réagir à la pression concurrentielle, poursuit le responsable de la spécialisation Technologies de l’information du Baccalauréat en administration des affaires (B.A.A.) des HEC. Au Québec, nous avons accès à un bassin de professionnels extrêmement bien formés. La seule façon de vraiment tirer profit du capital humain, c’est en optimisant ses processus… Il faut que les entrepreneurs prennent l’initiative. La définition des besoins et les bonnes idées doivent provenir d’eux. »
M. Léger ajoute que dans ses classes, beaucoup d’étudiants optent pour une carrière dans l’industrie des TIC parce que le taux de placement y est de 100 % et que les salaires sont plus élevés que pour les autres spécialisations. « J’ai dans mes cours une gang de futurs consultants, qui, tels des fonctionnaires, veulent un emploi assuré », affirme-t-il.
Il préférerait voir davantage d’étudiants et d’entrepreneurs motivés à utiliser pleinement les nouvelles technologies pour créer de la valeur en entreprise.
Certaines entreprises en mode rattrapage
Devant le ralentissement économique, bon nombre d’entreprises ont mis en veilleuse leurs projets de développement informatique. Elles risquent d’avoir un certain rattrapage à effectuer à présent que la reprise se manifeste.
« Il est vrai que les sociétés ont tendance à étirer leur cycle de remplacement quand les activités économiques ralentissent afin de préserver leur profitabilité, confirme Charles Huot, de BMO Marchés des capitaux. Pourtant, la technologie permet d’augmenter la productivité. BCE et Telus n’ont pas hésité à investir dans un nouveau réseau 3G durant la récession. Souvent, lorsque l’économie tourne au ralenti, la main-d’œuvre est plus disponible et donc moins coûteuse. Cela profite aux entreprises qui ont les meilleurs bilans financiers et qui possèdent les ressources nécessaires pour procéder à l’implantation de nouveaux équipements ».
Selon Amit Kaminer, le carnet de commandes des entreprises en TI ne devrait donc pas tarder à se regarnir. « En considérant les nouvelles capacités qu’offrent les technologies de l’information, on peut s’attendre à ce que des sociétés de toutes tailles et de tous secteurs profitent de la reprise pour améliorer leurs infrastructures et systèmes informatiques », dit-il.
Stéphane Gauvin, Ph.D., professeur titulaire au département de marketing de l’Université Laval à Québec, s’intéresse beaucoup à l’utilisation d’Internet à des fins d’intelligence d’affaires et de recherche marketing et, de façon plus générale, à l’impact de ces technologies sur les pratiques d’affaires.
Comme il l’explique dans des notes qu’il publie… sur sa page Facebook, Stéphane Gauvin estime qu’Internet joue un rôle vital dans le commerce entre entreprises du fait que la concurrence force les organisations à réduire leurs coûts et à trouver de meilleures façons de faire.
Le réseau a également un impact qu’il qualifie de « colossal » sur la pratique de la recherche marketing. « L’humble moteur de recherche nous met sur la piste et permet d’identifier les ressources qui seront contactées rapidement par la poste électronique. Plus récemment, avec l’apparition de contenus générés par les utilisateurs, le Web est devenu une représentation utile du monde physique. De nouveaux services mesurent la visibilité de concepts à l’intérieur de la sphère numérique et montrent que la simple mesure du nombre de mentions d’un concept peut être un prédicateur raisonnable de ce qui surviendra dans le monde réel », dit-il.
Aux entreprises qui seraient tentées de se lancer dans le rattrapage post-récession, Stéphane Gauvin conseille de ne pas poursuivre de chimères, comme se lancer dans l’implantation de systèmes de gestion de la clientèle très ambitieux sans qu’une réflexion préalable n’ait été faite. « Le secteur des TIC offre encore les meilleures perspectives de développement à ceux qui savent profiter des opportunités, dit-il. Pour certaines entreprises, il faudra surveiller de très près l’évolution du marché de l’Internet mobile qui connaît une véritable explosion aux États-Unis », dit-il.
À son avis, le Canada est en retard à ce niveau, mais la contagion devrait malgré tout frapper le pays dans un avenir rapproché.
Steeve Laprise