Il y a un mois, le Net ne connaissait pas, à vrai dire, Jean-Baptiste Martinoli, l’homme derrière l’ExoPC. Aujourd’hui, la planète sait qu’un « concurrent » au iPad d’Apple est sur le point d’apparaître, une tablette PC pas comme les autres dont le sort planétaire s’articule depuis Rimouski. Direction Informatique est allé rencontrer M. Martinoli et s’est fait expliquer comment tout cela était devenu potentiellement possible.
RIMOUSKI – Le gars a 39 ans, ce qui lui donne 28 ans d’informatique lourde à temps plein. Il est né à Casablanca (Maroc) de parents français – quoiqu’italien du côté trisaïeul – il est devenu chercheur dans le midi de la France, à Sophia Antipolis, mais avec sa petite famille, il vit maintenant au Québec, sur une terre près de Rimouski; cela lui évite de faire la queue chez Guy Kawasaki, le gourou capitaliste du « double-clic tap tap » de la Silicon Valley et lui laisse un peu de temps pour aider Haïti. La qualité de vie et le tissu social du Bas-du-Fleuve lui plaisent autant que dans ce village aux pieds des Alpes où il a longtemps parlé binaire « avé l’accent »; paradoxe physionomique, puisque son visage, voire sa gestuelle, rappellent un peu, parfois, les traits d’un immortel belge, Jacques Brel. Pour un court CV, cliquez ici. Jean-Baptiste Martinoli, dont la modestie m’a semblé plus que bienséante, insiste pour que je note bien son titre de CTO (patron de la technologie) chez ExoPC., alors qu’il pourrait se présenter comme président, voire PDG, idéateur, architecte suprême ou as du marketing 2.01. Mince, nerveux – « narfé » comme ils disent à Rimouski – il est timide et plein de réserves prudentes. Il a beau ne pas accepter mes épithètes de « geek » ou de « nerd », il parle couramment quelques langages informatiques, il craint que son cerveau soit devenu un tissu de 1 et de 0, il a écrit des symphonies en code majeur et il a travaillé pour quelques grands noms technos dont IBM et HP. Avant que n’apparaissent les « widgets » (objets accessoires) Mac OS X ou les « gadgets » Windows Vista, avant même que Konfabulator ne se fasse connaître, se fasse écrapoutir par Apple et devienne contraint de passer chez Yahoo! , il produisait de merveilleux petits accessoires, des objets potentiellement utiles sinon ludiques, qui venaient améliorer l’expérience utilisateur sur un PC. Il s’agit de la technologie MIO dont il détient les brevets (Pour en savoir plus). Généreux de ce temps qu’il n’a plus pour cause d’engouement mondial envers sa machine à venir et pour cause d’entraide en raison de l’apocalypse haïtienne, il me consacre néanmoins trois heures dans ce café du centre-ville de Rimouski. Dans sa langue de passionné, il essaie de me faire comprendre ce qui pour lui est important. Cette insistance fait que je m’attarde à ses prunelles tout en lumière qui lui composent un regard presque chamanique de celui qui sait voir en même temps le passé, le présent et l’avenir. On jurerait qu’il a un plan, un plan méticuleux qui ne date pas d’hier et dont il a parcouru une à une toutes les étapes envisagées à ce jour et qu’il sait à la nanoseconde près quand il enclenchera la suivante et les suivantes. Conviction naturelle
Normalement, ce genre d’homme ou de femme décide de devenir champion poids lourd de l’univers, cantatrice la plus adulée de la planète, romancier le plus traduit au monde ou passionaria la plus médiatisée de l’hémisphère sud. Pas Jean-Baptiste Martinoli. Lui, il veut seulement, une fois pour toutes, rendre parfaitement naturel l’usage d’un ordinateur à des fins personnelles, familiales, domotiques, ludiques, pédagogiques, culturelles et, pourquoi pas, professionnelles. Il en rêve depuis des lustres. Sa carrière exceptionnelle d’autodidacte n’en a été que le prélude. Il est convaincu que les gens qui veulent s’acheter un ordinateur, une machine autonome avec un système d’exploitation (SE), des logiciels et des périphériques, n’en ont rien à cirer de Windows ou du Mac OS X; ils ne souhaitent vraiment pas en devenir adeptes. Ils ne veulent que naviguer, regarder, écouter, parler, apprendre, enseigner, dessiner, lire, faire leurs comptes, voir et se voir, communiquer, correspondre, s’informer et tutti quanti. D’où l’idée d’une couche d’interface aussi riche que conviviale qui cacherait Windows 7 Pro, un SE rapide auquel il serait possible d’accéder en tout temps grâce à un bouton. Qui plus est, les gens ne veulent pas payer des fortunes pour assumer leurs cyberbesoins. D’où l’idée d’un PC complet, une tablette PC vendue aux alentours de 650 $, qui se présenterait sans rien avoir sacrifié comme ont dû le faire les Netbooks vendus à ce prix. Évidemment, sa nature de tablette PC lui imposerait une surface d’écran limitée en mode mobilité. Mais en truffant la machine de tous les connecteurs imaginables, il deviendrait possible de lui raccorder un écran plus important.
Jean-Baptiste Martinoli (Photo: Nelson Dumais)
Jean-Baptiste Martinoli aime expliquer que tout ce qu’il a fait professionnellement jusqu’ici a été en vue de cette mission; patiemment, il a posé une à une les pièces d’un casse-tête géant. Et quand il a finalement constaté qu’il était devenu possible de l’accomplir, côté techno, côté coût et côté marketing, quand il a compris que les astres étaient enfin enlignés pour que puisse s’incarner son rêve, il a demandé aux Chinois de lui fabriquer quelques prototypes englobant ses années de réflexion et il en a choisi un, celui qui pouvait cadrer le mieux avec la phase 1 d’un projet aux lendemains innombrables. C’était l’automne dernier. Puis, le bidule en main, il a sagement attendu qu’advienne le moment le plus propice pour lui attirer les feux de la rampe. Ce laps de temps lui a permis de tout peaufiner, par exemple de parachever l’essentielle participation de partenaires financiers ayant pignon sur rue dans la métropole bas-laurentienne, incluant l’homme d’affaires Francis Lamontagne qui assume la tâche de président d’ExoPC. Cela lui a permis, en outre, de bien se préparer avec des gens qualifiés pour vaquer à tous les aspects d’un produit manufacturé en Chine que l’on va vendre partout sur la planète, sans virer fou! C’est le schéma d’une organisation éclatée un peu partout au travers les pans des trois « W » de la grande nébuleuse cybernétique.
Et, quelque part, bien en vue sur cet organigramme fait de nuages, chez ExoPC et Mioplanet, deux toutes petites entreprises qui lui appartiennent. La première est propriétaire de la tablette en instance de propulsion, la seconde fabrique les logiciels dont aura besoin la ExoPC Slate pour qu’on n’ait pas besoin de l’interface de Windows 7.
Ainsi, toutes les étapes à venir ont été prévues et tout le monde s’est mis en attente d’un signal. Ce qui se produisit le 27 janvier dernier, grâce à Steve Jobs qui lançait son instantanément célèbre iPad, faisant encore une fois la preuve qu’il était un as de la communication stratégique et du marketing. Résumons la technique Jobs : après avoir dit « non, non et non », on laisse entendre par commère interposée qu’on pourrait ajouter une tablette Mac à sa gamme de produits, on s’assure que la rumeur se propage, on ajoute de l’huile sur le feu en laissant percer certains aspects, on ne corrige pas les propos qui nous sont prêtés, par exemple qu’on serait sur le point de lancer le plus beau joyau de sa couronne, on ne dément ni ne corrige les analyses précédant le lancement, même les plus loufoques, on contrôle les invitations à l’événement (où on s’assure d’impressionner la galerie en y assoyant des vedettes) de sorte que ceux qui seront admis auront statut de privilégiés et se sentiront un tantinet soi peu redevables, enfin, on présente le produit en disant qu’il sera disponible dans cinq mois. Cinq minutes plus tard, la planète entière connaissait le iPad et tous les médias s’étaient sentis obligés d’en parler. Dès lors, il était devenu normal de vouloir toucher au fameux produit, voire de saliver en y pensant. Bref, Steve Jobs se frottait les mains! Mais loin du scintillement californien, Jean-Baptiste Martinoli, lui, il souriait : il venait de recevoir le signal tant attendu. Il savait que les médias étaient prêts pour un antidote leur permettant de ne pas trop passer pour « vendus à la Pomme ». Alors, calmement, il est entré dans l’eau et s’est mis à surfer sur la vague géante occasionnée par Apple. Depuis son Bas-du-Fleuve, il s’est mis en communication avec quelques médias dont Engadget, le webzine à son avis le plus crédible, celui le plus susceptible de voir ses contenus repris ailleurs, pour traiter de l’ExoPC Slate. Il a parlé avec les reporters au téléphone, il leur a fourni des photos et des clips, il les a laissés faire leurs vérifications et il a eu le bonheur de les voir publier une analyse favorable. Son produit venait instantanément de passer du « vaporware » farfelu, pour parler en journaliste cynique, à du possible, du souhaitable, du désiré. C’est ainsi que la rumeur d’un « iPad killer » est née, en tout cas d’une alternative pas plus chère, mais qui va pas mal plus loin tout en étant une tablette PC digne de ce nom.
La tablette ExoPC
En même temps, il a corroboré ce qui traînait sur tous les fils et sur Twitter, et il a donné plus de détails aux reporters qui l’on rejoint, , dont le soussigné. Tant et si bien que deux semaines après le iPad, le ExoPC a, à son tour, fait le tour de la planète. Gratuitement, sur le bras de la presse mondiale. Ce matin, la boîte de courriel d’ExoPC était pleine à craquer. Des gens de partout veulent tester le produit pour en parler, d’autres lui proposent de devenir distributeurs, revendeurs, partenaires. On dirait un début d’engouement. Ce sera encore pire quand Microsoft le présentera en début mars au CeBIT d’Hanovre en Allemagne. Si Jean-Baptiste Martinoli ne croule pas devant le tsunami d’intérêt généré (il n’a ni l’ego ni la machine de Steve Jobs), il commencera la distribution de ses premiers appareils dans un mois d’ici, quelque 90 jours avant le iPad. Seuls les journalistes qui ont des chances d’être repris par d’autres médias (p. ex. Engadget) recevront un ExoPC démo. Au même moment, la vente en ligne débutera. La vraie production sera enclenchée et les livraisons commenceront. Ainsi se conclura la partie 1 du plan. Si vous m’avez bien suivi jusqu’ici, vous avez compris que les dépenses de mise en marché ont jusqu’ici été nulles. Le gars a fait connaître et désirer son produit partout sur la planète sans fouiller dans sa bourse. Et il s’apprête à le lancer de la même façon. Autrement dit, il pousse la méthode Jobs encore plus loin. Apple a effectivement payé une fortune pour assumer les dépenses de tous les invités au lancement et pour publiciser son nouveau produit sur de nombreux supports. Pas M. Martinoli. D’où mon mot de « marketing 2.01 ». Le plus beau avec ce marketing, c’est qu’il ne s’inscrit pas dans la foulée habituelle où on crée un besoin de toutes pièces autour d’un produit et que l’on rend socialement obligatoire à posséder. Ici, on rame à contre-courant pour vendre une solution à un besoin maintes fois exprimé, cela à prix abordable. Telle est du moins la thèse que l’on m’explique en ce café branché où mon iPhone n’arrive pas à se connecter au réseau WiFi. Est-ce notre entrepreneur rimouskois sera pris au sérieux? Le fait de « miner le terrain » du iPad forcera-t-il Apple et les autres fabricants de tablettes PC ou de netbooks à baisser leurs prix? Et, si son rêve se concrétise, Rimouski redeviendra-t-elle ce bassin innovateur qu’elle était dans les bonnes années de Québec Téléphone? On s’en rendra compte bien assez vite. À 650 $, l’ExoPC comprend une marge bénéficiaire raisonnable. Si rien d’imprévu ne survient, si les moyens financiers sont de la partie, le produit devrait apparaître et, probablement, se vendre. Il se doute bien, le monsieur Martinoli, qu’à court terme, son entreprise de type « garage » devra se nantir de vrais pieds carrés honorables dans un complexe d’affaires « crédible » quelque part dans Rimouski, que d’autres locaux devront être aménagés ailleurs, probablement même à l’étranger, qu’il faudra nommer des VP et des directeurs, des cadres pouvant s’accommoder de la ruralité ambiante et aimer aller se réunir chez le CTO sur une terre zonée agricole. Il sait parfaitement bien que pour que cela se fasse, il lui faudra quelques brouettés d’espèces sonnantes et trébuchantes. Y arrivera-t-il? Manquera-t-il de carburant? Se cognera-t-il douloureusement le nez sur un mur de ciment au logo d’Apple ou à celui de HP? « Que sera sera », dit-on chez les Chinois. Mais comme j’adore aller me promener à Rimouski, il est plus que probable que je vous revienne, d’ici un an, pour vous raconter la suite de ce beau « conte du Bas-du-Fleuve ». Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.