Un fournisseur de service Internet peut-il gérer la circulation sur son réseau en établissant des priorités entre les divers types de contenus qui y sont véhiculés ?
L’automne dernier, le Conseil de laradiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a présenté un énoncé de politique touchant la possibilité pour des fournisseurs de services Internet (FSI) de gérer la circulation des informations qui sont trans-mises surleurs réseaux.
Le CRTC avait entrepris de se pencher sur les pratiques de gestion des FSI à la suite de plaintes de FSI de plus petite taille qui utilisent l’infrastructure de Bell Canada. Ces « petits » FSI alléguaient que Bell ralentissait parfois la circulation des données de leurs clients. Le CRTC rejeta la plainte contre Bell, mais entreprit des audiences dans le but d’examiner les pratiques des grands FSI tels Bell, Rogers et Shaw à ce sujet.
Dans un énoncé de politique, le CRTC édicta que les FSI pourront continuer à établir des politiques de gestion de la circulation de données sur leurs réseaux, mais ils devront le faire de façon beaucoup plus transparente. Le CRTC impose dorénavant à chaque FSI de publier sur son site Web des informations concernant les mesures prises pour la gestion de la circulation des données, ainsi que, notamment, l’impact que ces mesures peuvent avoir sur leurs clients, pourquoi ces mesures sont prises, quels types de données feront l’objet des mesures de gestion et comment les vitesses de transmission seront affectées.
Parmi les autres faits saillants :
• Les FSI doivent donner 30 jours d’avis aux clients « au détail » et 60 jours d’avis aux clients « en gros » de tout changement dans leurs politiques de gestion de la circulation des données de ces clients;
• Les FSI qui possèdent leur propre réseau peuvent gérer la circulation des données des FSI qui sont des revendeurs de leur bande passante, mais en aucun temps de façon plus restrictive que la gestion de la circulation de leur propre clientèle au détail.
• Tous les FSI doivent s’abstenir de divulguer, ou d’utiliser pour toute autre fin, tout renseignement personnel qui pourrait avoir été recueilli pour les fins de leur gestion de la circulation des données sur leur réseau.
La relativité de la vitesse (d’après Einstein?)
Nous nous sommes tous ébahis devant un courriel qui nous arrivait alors qu’un interlocuteur au bout du fil nous affirmait venir tout juste de nous l’envoyer. Nous avons tous ragé devant la lenteur apparente du réseau lorsque le courriel arrivait deux heures après avoir été annoncé.
Nous avons tous appris que la vitesse de transmission d’un courriel est quelque chose d’aléatoire. Il n’y a pas si longtemps, à mon bureau, un courriel provenant de Londres a pris à peine quelques secondes à me parvenir, alors que plus tard dans le même avant-midi, un courriel provenant de Rimouski a pris quelques heures à arriver.
Dans chacune de nos vies, il y a diverses circonstances où nous avons à attendre pendant une période indéterminée. La plupart du temps nous prenons notre mal en patience, sans trop de problème, en autant que l’on soit convaincu que d’autres attendent tout comme nous. On peut certes penser, en guise d’exemple, aux vaccinations contre la grippe A(H1N1) : la plupart des gens étaient prêts à patienter en autant qu’ils ne perdent pas leur journée et qu’ils ne voient pas un chanteur célèbre passer devant eux.
Au niveau de l’Internet, cette réaction d’égalitarisme est probablement amplifiée par le symbole d’accès à tous et d’absence de hiérarchie que représente l’Internet depuis le tout début de sa popularité.
Or, un des arguments de plusieurs FSI lors des audiences du CRTC était que la croissance exponentielle de la circulation de données touchant le transfert poste-à-poste (peer-to-peer) d’importants fichiers audio et vidéo causait particulièrement de la congestion sur leurs réseaux. Selon eux, cette congestion réduisait la qualité du service Internet pour tous les utilisateurs. Il importait donc d’élaborer des mesures de gestion de ces transferts, entre autres.
En examinant cet exemple, il est tentant de conclure que, alors que bon nombre de ces transferts sont illégaux, il est bien normal qu’ils cèdent le pas aux utilisations plus légitimes de l’Internet. Mais il ne faut pas juger trop vite ! À ma connaissance, les municipalités ne déneigent pas moins fort en hiver les rues où sont situés certains commerces « douteux ». Le jour où vous voudrez vous rendre à un commerce parfaitement légitime se trouvant sur une de ces rues, vous pourriez être bien heureux du déneigement. Ainsi, le jour où vous voudrez recevoir un fichier vidéo légalement, vous pourriez être bien heureux de le recevoir assez rapidement.
Les réactions peuvent varier beaucoup d’une personne à l’autre. Certains ne veulent pas être derrière, d’autres sont prêts à payer plus pour être devant. La publication des mesures de gestion de la circulation devrait permettre à chacun d’effectuer son choix.
Michel A. Solis est avocat, arbitre et médiateur. Il oeuvre dans le secteur des TI depuis plus de 20 ans.