Alexey Pajitnov, le père de Tetris, croit qu’un bon jeu vidéo est conçu pour le cerveau du joueur et non en fonction de la technologie. Le concepteur russe a souligné à Montréal la vente de 100 millions d’exemplaires de son casse-tête sur les plates-formes mobiles.
Si le jeu Pong est identifié comme étant le premier jeu vidéo à avoir connu un succès commercial, c’est sûrement à Tetris que revient le titre du jeu le plus populaire de l’histoire, toutes plates-formes confondues.
Le studio EA Mobile de Montréal, une division d’Electronic Arts, a invité le « père » de Tetris, Alexey Pajitnov, pour célébrer une étape remarquable : la vente de 100 millions d’exemplaires du jeu pour les appareils mobiles.
Cette marque est d’autant plus impressionnante qu’elle a été atteinte en cinq années. En comparaison, les 70 millions d’exemplaires des versions pour ordinateur et pour console de jeu vidéo ont été vendus en 25 ans!
Jeu de blocs… de l’Est
En 1984, Alexey Pajitnov, alors ingénieur en informatique à l’Académie soviétique des sciences en URSS, a développé en catimini la version originale de Tetris avec l’aide de Dmitry Pavlovsky et Vadim Gerasimov. Son jeu, qui fonctionnait sur un terminal russe Electronika 60, utilisait des formes géométriques composées de quatre carrés qui étaient nommés « tetriminos ».
Tetris, contenu sur une disquette souple, s’est répandu à travers l’URSS, puis dans les pays du Bloc de l’Est. Des versions ont été produites pour l’ordinateur PC d’IBM, puis pour les appareils Amiga, Atari ST et Apple IIe.
À la fin des années 80, la commercialisation de Tetris sur les consoles Nintendo en fait croître considérablement la popularité. L’entente établie par l’éditeur Henk Rogers avec Nintendo, qui mène à l’inclusion du jeu avec chaque console portative Game Boy, a contribué à l’inclusion du jeu dans la culture populaire.
D’âpres contestations entre des éditeurs de jeux ont marqué les premières années de l’histoire de Tetris. N’ayant obtenu aucune rémunération pour sa création sous le régime soviétique, c’est à compter de 1996, par la formation de l’entreprise The Tetris Company avec Henk Rogers, qu’Alexey Pajitnov a pu profiter de sa création. Aujourd’hui, le jeu est offert sur les ordinateurs, sur les téléphones mobiles, sur les téléphones évolués et sur Internet en diverses déclinaisons.
Pour le plaisir
Alexey Pajitnov d’une voix douce et grave, en anglais et avec l’accent russe, a dit être encore surpris de la popularité de ce « projet » qu’il a entamé pour son propre plaisir il y a un quart de siècle.
« Quand j’ai créé le jeu à l’origine, je ne pouvais arrêter d’y jouer! Cela prouvait que c’était un très bon jeu. Mais je ne m’étais pas attendu à ce que jeu soit si intéressant, si accrocheur pour tout le monde. Entre-temps, je n’ai jamais compris pourquoi ce jeu a pu traverser le temps », raconte-t-il en souriant.
« Malgré tous les changements de matériel [durant l’évolution des technologies], notre cerveau n’a pas évolué au point de considérer ce jeu comme étant soudainement “vieux”. Je m’attendais à ce que le jeu devienne populaire pour un certain temps, mais jamais pour 25 ans! »
Le jeu, un concept abstrait
Avec l’évolution du graphisme et de la puissance de l’informatique, l’émergence de l’Internet et la popularité des plates-formes mobiles en un quart de siècle, M. Pajitnov est-il aussi surpris de l’évolution technologique de son jeu?
« C’est le prix à payer pour la popularité, répond-il. Le jeu est minimalisé et devient vraiment un contenu abstrait. Il ne repose pas tellement sur ces nouveautés technologiques, mais au même moment il n’en tire pas de bénéfices : le jeu n’est pas si différent que ce qu’il avait l’habitude d’être! C’est la nature du jeu de prendre quelque chose de la technologie, mais aussi de ne pas en dépendre énormément. »
Interrogé sur la difficulté de développer un nouveau concept de jeu, alors que les genres et les plates-formes se sont multipliés en un quart de siècle, M. Pajitnov croit que la complexité de la tâche dépend du type de jeu.
« Si le jeu dépend beaucoup de la technologie, c’est plus difficile, mais c’est différent s’il s’agit d’un jeu de passe-temps ou un jeu psychologique. Peu importe la vitesse de l’équipement technologique qu’on utilise, le cerveau humain a encore la même vitesse, les mêmes émotions, les mêmes sentiments. Les technologies aident seulement un aspect très particulier de la conception d’un jeu, mais dont la conception principale est destinée au cerveau… »
Pause récré
Enfin, M. Pajitnov rit lorsqu’on lui souligne que son jeu a été l’un des premiers à être joué en cachette sur les ordinateurs en entreprise.
« Dans les premières versions, il y a avait un bouton “pause” qui remplaçait l’écran du jeu par un tableau de chiffrier bidon. Cela a commencé avec Tetris! », admet-il en riant.
Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.