La locomotive HTML 5.0 ne circule en ce moment que sur certaines voies. « Work in progress » plus que « bréviaire universel », cette syntaxe revue et modernisée rendra, à court et moyen terme, le Web encore plus beau, plus utile et plus essentiel, jure-t-on. Qu’en sera-t-il en entreprise? Attendra-t-on prudemment ou sera-t-on parmi les premiers à y tirer son épingle du jeu?
Tout le monde connaît la « Loi de Nelson », cette brillante théorie expliquant bien des déconfitures entrepreneuriales. Elle démontre en effet qu’en informatique, si on croit ne plus rien devoir mettre à niveau et qu’on peut s’asseoir quelque temps sur ses lauriers, c’est qu’on est complètement déconnecté de la réalité. Dans les faits, on est en train de prendre du retard sur les autres et de cheminer aveuglément vers les abysses de la misère noire. Est-ce que ce principe s’appliquera dans le cas du HTML 5.0 (Hypertext Markup Language), la prochaine grande mouture de la syntaxe du Web? Peut-être! À plus forte raison si on est tenant de l’adage « If it aint broke don’t fix it »! Souvenons-nous des vingt-cinq dernières années où bien des télécopieurs et bien des systèmes complexes ont été envoyés à la casse même s’ils n’étaient pas « broken ». En 1985, c’est Provigo qui, du haut de sa grandeur de l’époque, clamait urbi et orbi qu’elle ne ferait plus affaire avec les fournisseurs ne s’adonnant pas à l’échange électronique des données (EDI). En 1995, c’est Cisco qui avertissait les gens d’affaires qu’à défaut d’être sur le Web, les entreprises péricliteraient et disparaîtraient rapidement. En 2005, c’est Microsoft qui condamnait quasiment aux géhennes corpos les boîtes qui seraient incapables de tirer profit du XML, cette bénédiction langagière optimisant et simplifiant l’échange d’information. Sans parler des experts! Il y a eu ceux qui, dès 1997, menaçaient les organisations non préparées pour contrer le bogue de l’An 2000 d’invasions de sauterelles, de pandémies de peste bubonique et de tsunami à répétition (vous vous souvenez des écrits du docteur Ed Yardeni, économiste de haut rang à la Deutsche Bank?). Ou encore tous ces “logues” qui, depuis cinq ou six ans, scandent à grands coups de blogues que la survivance professionnelle en ligne passe nécessairement par le Web 2.0 ; à défaut, les traîne-la-patte sombreront corps et bien dans les méandres cradingues du HTML 4.0. Car, bien sûr, tout ne sera que HTML 5.0 et rien de moins! Billevesées? Pas vraiment. Malgré un certain ton, il y a beaucoup de vrai dans la perspective. D’où cette question fort sérieuse : « Que signifie cette nouveauté pour les entreprises voulant s’éviter le diagnostic de la loi de Nelson? » La réponse : « Beaucoup, si le Web leur est essentiel ou stratégique. » En effet, ces entreprises voudront continuer de s’attirer des clients par un site généreux et valorisant pour l’usager/adepte; elles voudront offrir des produits dans un contexte Web aussi sobrement flyé que celui que leurs concurrents afficheront bientôt (si ce n’est déjà fait); elles voudront continuer à améliorer la productivité et la créativité de leurs employés par un intranet aux réflexes de plus en plus humain, mobile et collaboratif. En prime, tout cela devra être beau, voire ludique. Les gens du métier – architectes Web, infographistes, webmestres, codeurs php, html, xml, ajax, java, etc. et j’en passe – savent déjà que le HTML 5.0 permet des passe-passe multimédias très impressionnants. Ceux qui utilisent Firefox 3.5 (Safari 4, Chrome 3 ou Opera 10.X ne réussissent pas toujours et Internet Explorer 8 doit être bricolé pour y arriver,) connaissent, par exemple, les dégradés interactifs, la vidéo MP4 ou OGV sans Flash ni Silverlight à pleine grandeur du fureteur, la géolocalisation intégrée (un must, depuis quelque temps…), les animations canevas, les contenus texte modifiables par l’internaute, tout cela avec de nouveaux API en JavaScript, en se servant d’images SVG et en appliquant « full-blast » la philosophie Open Source.
Ces gens (la plupart intéressés par Google Wave, une des plus belles applications de type HTML 5.0) savent que tout cela est en train d’être mis au point au W3C – le consortium du WWW – et en suivent étroitement l’évolution. Pour eux, le HTML 5.0 dépasse le simple langage informatique en évolution de type « work in progress ». C’est un mouvement international dont l’aboutissement sera une refonte majeure du Web. Pour en avoir une idée, on peut faire apparaître le code caché quand on teste une application HTML 5.0. Par exemple, dans Firefox, il faut aller au menu « Affichage » et choisir « Code source de la page ». Ce faisant, on voit s’étaler bien des nouveautés dans le codage. De nouvelles balises sont apparues, d’autres sont entachées d’obsolescence. Les habitués du bon vieux HTML éprouveront d’abord de la difficulté à s’y retrouver, puis, lorsqu’ils en auront fait le tour, en apprécieront la plus grande simplicité, dit-on ! Vous voulez un exemple ? Rendez-vous sur le site de Emacs, (un langage évolué de programmation Mac); tout a été fait en 5.0. Lisez le code source, vous serez en mesure de vous faire une idée (pour en savoir plus sur ce site). Il faut quand même être réaliste. On n’est qu’en décembre 2009. Même si on se documente sur le 5.0 et qu’on l’intègre dans sa pratique au meilleur de sa connaissance, il faut se dire que les utilisateurs de Firefox 3.5 sont loin de constituer la majorité sur le Net. Celle-ci est plutôt tributaire d’IE8, le fureteur le moins doué quant à l’épivardage 5.0. Ce qui signifie que les gens, dans une écrasante proportion, ne peuvent actuellement tirer profit des prouesses des développeurs avant-gardistes. Cette nouvelle version du HTML étant rétrocompatible, ils ne se rendent même pas compte d’y avoir été soumis. Ô frustration ! Pour tout dire, ces artistes Web n’en peuvent plus de voir leur imagination enfermée dans des exigences surannées, celles-là mêmes qu’avaient utilisées les « Dot-Coms » pré-Web 2.0 pour faire fortune ou… crever en rangs serrés. Alors, ils râlent! Ils insistent sur le fait qu’il y a eu quatre versions du HTML en trois ans et demi et aucune pendant les dix années suivantes. Effectivement, il y avait eu le « draft » HTML original de Tim Berners-Lee à l’été 1993, puis la version 2.0 en novembre 1995 et la 3.0, un peu plus d’un an plus tard, exactement onze mois avant le lancement de la 4.0. Ce n’est que depuis 2007 qu’on entend parler d’une éventuelle version 5.0. Il faut se rappeler que le Web initial était essentiellement basé sur du texte que des « internautes » consultaient malgré ses apparences peu conviviales. Or, pour peu qu’on ait entendu parler du HTML 5.0, il faut réaliser que le WWW de demain sera essentiellement multimédia, de moins en moins Flash ou Silverlight, et que les gens y interagiront dans un contexte de beauté graphique favorisant l’ergonomie. Et, comme il se doit, il faut voir qu’entre ces deux ères, il y a cette phase évolutive plutôt bric-à-brac dans laquelle nous sommes et qui n’en finit plus. Le W3C n’a pas force de loi. Personne ne peut obliger les fabricants de fureteurs à se conformer aux exigences en cours de peaufinage du HTML 5.0. Ils ne le feront que si le jeu leur semble en valoir la chandelle. Idem pour les entreprises. Certaines, surtout celles qui ne s’escriment pas quotidiennement dans la plus insoutenable des concurrences, n’y verront que très tardivement leur intérêt. Par exemple, il subsiste, encore aujourd’hui, des organisations dont les sites Web ne fonctionnent qu’avec Internet Explorer (si vous voulez un exemple, cliquez ici.) La pression est forte, les enthousiastes nombreux et le synchronisme excellent. Bref, ça se fera. D’ici quand? Un an? Deux? Trois? Sûrement pas plus. C’est donc le temps d’y songer, de se préparer, de s’assurer d’être de la partie. À défaut, la Loi de Nelson frappera de plein fouet – Paf! C’est écrit dans le ciel! Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.