La décision de la Cour suprême du Canada dans la cause opposant Dell Computer à l’Union des consommateurs, rendue en 2007, a fourni des éléments de droit là où l’on n’en trouvait pas beaucoup, compte tenu du caractère nouveau du Web. Mais qu’est-ce que cette décision dit vraiment?
Il est possible que vous ayez entendu, lors d’un cocktail ou d’une discussion de corridor, que la décision Dell Computer Corp., c. Union des consommateurs rendait applicable les conditions d’utilisation d’un site Web.Vous avez peut-être aussi entendu queces conditions étaient rendues applicables même si elles n’étaient pas portées clairement à la connaissance du client, pourvu qu’un lien vers ces conditions soit offert.
Vous avez peut-être depuis cessé de vous poser des questions quant à l’application des conditions d’utilisation se trouvant sur le site web de votre entreprise. Vous n’auriez peut-être pas dû.
Les faits de l’affaire Dell
Un dénommé Dumoulin voulait intenter un recours collectif, soit un recours au nom d’une collectivité de personnes, devant les tribunaux québécois contre Dell pour la forcer à vendre des marchandises à des prix très, très bas qui avaient été inscrits par erreur sur son site Web. M. Dumoulin étant résident du Québec et Dell ayant un établissement au Québec, le droit civil québécois s’est appliqué.
Or, les conditions de vente disponibles sur le site Web de Dell prévoyaient un recours exclusif à l’arbitrage, c’est-à-dire qu’aucun autre recours n’était disponible. Or, on ne peut déposer un recours collectif devant un arbitre : chaque cause, chaque personne, doit être entendue individuellement.
Ces conditions de vente n’étaient pas portées à l’attention de l’acheteur de l’ordinateur au moment de la transaction. Par contre, un lien apparaissant au bas de chaque page qui était visitée par l’acheteur menait vers ces conditions.
La Cour suprême a déterminé que les conditions de vente s’appliquent au client qui a conclu un contrat sur le site, même si elles n’ont pas été portées clairement à sa connaissance, pourvu que le lien décrit ci-haut soit présent. Lorsqu’on parle d’un client qui a conclu un contrat sur le site, il s’agit de quelqu’un qui a conclu une transaction quelconque en cliquant sur « J’accepte », « Je commande » ou sur une mention semblable.
Mais qu’arrive-t-il si le visiteur du site Web n’est pas un client? Qu’arrive-t-il si aucune entente ou aucun contrat n’est intervenu clairement entre le visiteur et l’entreprise qui exploite le site Web? Qu’arrive-t-il si en aucun cas le visiteur n’a cliqué sur quelque chose comme « J’accepte »?
Le Code civil
L’article 1385 du Code civil du Québec prévoit ce qui suit quant à la formation d’un contrat :
Le contrat se forme par le seul échange de consentement entre des personnes capables de contracter, à moins que la loi n’exige, en outre, le respect d’une forme particulière comme condition nécessaire à sa formation, ou que les parties n’assujettissent la formation du contrat à une forme solennelle. (nous soulignons)
L’article 1386 du même Code, pour sa part, dit :
L’échange de consentement se réalise par la manifestation, expresse ou tacite, de la volonté d’une personne d’accepter l’offre de contracter que lui fait une autre personne.
Le professeur Vincent Gautrais et le candidat à la maîtrise en droit François Sénécal, de l’Université de Montréal, m’ont communiqué certaines interprétations quant à l’arrêt Dell et au droit des contrats en ligne. D’abord, pour qu’il y ait contrat en ligne, il faut un échange de consentement. Cet échange de consentement se produit lorsqu’un client d’un site Web clique pour clairement accepter de conclure une transaction.
Par contre, il ne se produit pas d’échange de consentement lorsqu’un simple visiteur d’un site Web navigue sur certaines pages du site, alors que d’autres pages contiennent des conditions d’utilisations. Il ne s’en produit même pas si le même visiteur visite les pages contenant les conditions sans les accepter.
Le Code civil du Québec dit que l’échange de consentement peut à la rigueur se faire par une manifestation tacite de la volonté d’accepter les conditions. Encore faut-il que la « manifestation tacite » soit une « manifestation »!
Pour ma part, je tends vers ce qui suit, bien que ce concept n’ait pas été examiné par les tribunaux: il nous serait permis de croire qu’un visiteur aurait manifesté tacitement sa volonté d’accepter les conditions en ayant été forcé de passer par la page contenant les conditions et en ayant continué sa visite du site alors qu’il avait pu lire en gros caractères « En continuant d’utiliser ce site, vous acceptez… ». Mais on sait que forcer le visiteur à lire des conditions pourrait être fort néfaste sur le plan du marketing !
Ce qui dit (et ne dit pas) Dell
La décision Dell nous dit qu’un individu qui a clairement conclu un contrat sur le Web peut être lié par des conditions se trouvant ailleurs sur le site, même si elles n’ont pas été portées clairement à sa connaissance. Or, cette décision ne dit pas qu’un simple visiteur d’un site Web est nécessairement lié par les conditions d’utilisation qui n’ont pas été portées à sa connaissance et qu’il n’a pas acceptées.
L’avenir nous dira quel sera le degré de « manifestation expresse ou tacite » retenu par les tribunaux, quant aux simples visiteurs de sites. Dans l’intervalle, le propriétaire de site sera prudent en favorisant par l’organisation de son site une acceptation la plus claire possible de ces conditions, tout en tenant compte des impératifs marketing. Les services d’un conseiller juridique pourront être utiles.