Microsoft mettra en marché dans quelques mois la prochaine mouture de la suite de bureautique. Réflexion, au terme d’un entretien avec un porte-parole de l’éditeur, sur l’adoption, la concurrence et la commercialisation de ce populaire produit.
Depuis une semaine, on peut se télécharger une version bêta de Microsoft Office 2010, un produit phare que l’Empire de Redmond lancera sûrement en grandes pompes dans six mois d’ici et qu’elle vendra, croit-on, sensiblement au même prix que la version 2007. Office est un des logiciels les plus utilisés sur la planète. Microsoft parle d’un demi-milliard d’utilisateurs, un chiffre surréaliste qui représente 7,5 % de la population mondiale (estimée à 6,7 milliards de personnes), ce qui signifie qu’il inclut probablement le total (estimé) des exemplaires piratés. Office est disponible en au moins 35 langues et le nombre de ses combinaisons de moutures (versions – 2000, 2002, 2003, 2007 – et panoplies – Pro, Famille, Étudiants, Enterprise, etc. -) utilisées en ce bel automne 2009 est illusoire à déterminer. Comme Microsoft refuse de publier ses chiffres de vente, on doit se rabattre sur des études externes pour évaluer la part de marché que s’est taillé le célébrissime coffret de bureautique. Par exemple, en juin dernier, Forrester Research démontrait, dans un rapport vendu 500 $US, que 80 % des entreprises utilisaient Microsoft Office et que, huit fois sur 10, il s’agissait des versions les plus récentes, soit Office 2003 et 2007. En corollaire, la firme bostonnaise établissait à 8 % la part de marché détenue par la concurrence, essentiellement Star Office, OpenOffice.org et Lotus Symphony. Si je me fie à ce que m’a raconté hier un porte-parole marketing de Microsoft Canada, M. Jason Brommet, ces chiffres sembleraient réalistes, malgré les avances documentées d’OpenOffice.org (OOo) en Europe, notamment dans l’appareil gouvernemental. Partout au monde, il y aurait effectivement une présence massive (en quantité comparable) de versions 2003 et 2007 de Microsoft Office, ainsi qu’une présence résiduelle (en voie de résorption) des versions 2002 (XP) et 2000. Dans un an à un an et demi d’ici, on décalera probablement ces versions d’une coche, regroupant les versions 2002 et 2003, ainsi que 2007 et 2010. Et le 80 % demeurera! Au minimum! Il y aura évidemment des exceptions. Prenez cette notaire devant qui j’ai comparu il y a quinze jours. Au coeur de son bureau au décor opulent, sobre, crédible et sérieux, il y avait un PC très récent qui utilisait Windows… 2000 où j’ai remarqué l’interface d’Office 2000. Mais encore là, si je comprends les propos de M. Brommet, cette professionnelle est marginale.
« Ce qui arrive, m’explique-t-il, c’est que les gens s’achètent un PC pour la maison où ils découvrent une version d’Office 2007. Ils s’y habituent alors qu’au bureau, c’est la 2003 qui est utilisée. »
S’il en découle une certaine pression pour amener l’entreprise à se mettre à niveau, il en résulte surtout une diminution des cas de résistance au changement et des coûts de formation en ce qui a trait à la version 2007.
Je subodore que c’est la même logique qui est appliquée dans ce phénomène des téléchargements gratuits depuis quelque temps. Bon nombre de produits Microsoft, incluant Windows 7 et Office 2010, sont désormais offerts gratuitement à quiconque veut se les procurer dans leur état « bêta propre propre ». On peut ainsi les tester, en parler, lire à leur sujet, bref, s’y habituer et devenir aguerri. Ainsi, quand arrive la version définitive, on la veut! C’est connu, le comble de l’habilité marketing est de pouvoir transformer ses clients utilisateurs en prosélytes. Si ce talent a été profitable et salutaire dans le cas d’Apple, pourquoi ne le serait-il pas dans celui de Microsoft? « I’m a PC and Microsoft Office makes me a better person ».
Attention! Je ne suis pas en train de suinter du fiel ou de pisser du vinaigre. Loin de moi cette idée. Pour l’avoir essayé à quelques reprises depuis l’été, je sais qu’Office 2010 est un beau produit, un coffret qui porte l’expérience de 2007 encore plus loin. Je ne parle pas ici du fameux ruban de menus et d’onglets contextuels qui a été ajouté à tous les logiciels d’Office 2010, mais de nouveautés inédites. C’est le cas par exemple du Social Connector dont bénéficie Outlook 2010. Le phénomène du réseautage social est maintenant reconnu et utilisé non seulement par Outlook, mais aussi par SharePoint 2010. Le SDK ayant été distribué, les développeurs sont à l’œuvre et certains, p. ex. LinkedIn, sont déjà prêts, de soutenir Jason Brommet. C’est aussi le cas du bouton « Fichier », un menu (en haut, à l’extrême gauche) où tout ce qui peut être utile sur le plan logistique s’y retrouve: partage, impression, permissions, informations, gestion des documents, accès aux gabarits, mise en page, etc. Et que dire de la belle intégration avec Office Live qui pousse encore plus loin l’expérience de collaboration, de la mobilité et du Web? Bien beau. Mais comment vendre toutes ces merveilles à des entreprises qui viennent à peine d’investir « muchos dólares » en raison de leur passage d’Office 2002 ou 2003 à 2007? Quand Microsoft est apparue en 2006 avec les versions préliminaires d’Office 2007, elle leur parlait de gains de productivité majeurs, d’économie substantielle et d’une meilleure intégration de leurs données corpo. Pourquoi ces clients devraient-ils, maintenant, passer à 2010?
« Notamment en raison des économies qu’ils pourront réaliser dans les coûts de déplacement, d’impression et de largeur de bande », me répond M. Brommet. Reste que les boîtes qui viennent d’adopter 2007, nuance l’homme de Microsoft Canada, ne passeront probablement pas immédiatement à 2010. « Ce seront surtout celles qui sont présentement sous 2003 (ou moins) qui le feront ». Bien beau. Il faudrait quand même savoir ce qui explique un tel engouement envers un produit. 80 % du marché mondial, c’est quelque chose! Est-ce là le seul fait de la force marketing et de la puissance financière de Microsoft, assistée par la vivacité de ses créneaux de distribution et de vente? Sans nier l’impact de ces moteurs, je pense qu’il faut regarder plus loin. Il faut reconnaître que ces produits offrent une qualité tout à fait acceptable. Word, Excel, PowerPoint et Outlook ne sont pas devenus des standards dans leur catégorie – idem pour SharePoint – par simple « boulechite » marketing ou par des gestes tonitruants de Steve Ballmer, le coloré PDG de Microsoft. À l’époque, les Lotus SmartSuite et autres WorfPerfect Office ont forcé Microsoft Office à offrir un certain niveau de qualité. Si aujourd’hui la concurrence est moindre, certaines alternatives Mac ou open source ont le grand coffret impérial à l’oeil et ne lui feront pas de cadeau. Bref, on se retrouve avec un produit de qualité, poussé par une « hénaurme » machine ayant à son actif quelques chapitres de l’histoire mondiale du marketing, cela dans un contexte où la concurrence est, pratiquement, inoffensive. Voilà qui explique, à mon avis, qu’Office 2010 va se vendre comme des petits pains chauds. Cela a-t-il de quoi surprendre ?
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.