Canonical lance la version 9.10 d’Ubuntu, connu sous le nom de « Karmik Koala ». Est-ce cette année qu’Ubuntu deviendra l’alternative sérieuse?
Aujourd’hui, 29 octobre, la version 9.10 d’Ubuntu, alias « Karmik Koala », est enfin disponible au téléchargement général. Quel événement! Aussi loin que je recule en arrière, force m’est de constater que jamais version de Linux (GNU) n’a-t-elle autant attiré l’attention. Tout le cybergotha en parle, la plupart des technophiles disent vouloir la mettre à l’essai, les soi-disant « huit millions d’utilisateurs » vont le faire d’ici quelques jours, le monde journalistique est en train, dans toutes sortes de langues, de saluer cette « version de Linux enfin accessible à Monsieur et Madame Tout le Monde ». En un mot, on se croirait chez Apple; il est devenu « cool » d’utiliser Ubuntu, un système d’exploitation basé sur Debian que même IBM a pris sous son aile dans les pays en voie de développement. Moi? Il est évident que je vais mettre à jour mes installations GNU/Linux sous Ubuntu 9.04 (« Jaunty Jackalope »). Je vais simplement y taper Alt-F2 et écrire « update-manager –d » dans la petite fenêtre qui apparaîtra. Dès lors, la magie du Net jouera et, dépendamment de l’état de la sollicitation dans les serveurs de Canonical, la fabricante sud-africaine d’Ubuntu, le Koala karmique pourra se mettra en place proprement en moins d’une heure. Serai-je plus heureux? Non, je serai plutôt branché sur les valeurs du jour, comme je le fus, récemment, en passant de Vista Intégrale 64 bits à l’équivalent sous Win 7 et de la version 10.5 du Mac OS X à la 10.6, Snow Leopard. Voyez-vous, dans mon métier de chroniqueur et de testeur de produits informatiques voulant plaire à son lectorat, il me faut désormais entretenir la saveur « dominante » de l’univers Linux en plus de Windows et du Mac OS X. Donc, les temps ont changé! Ce faisant, je fais bien entendu le jeu marketing de la fabricante, cela au grand dam de certaines écuries GNU/Linux dont Fedora et OpenSUSE, deux très beaux produits où la grogne de leurs adeptes est perceptible. On y reproche à Canonical de tout ramasser et de ne rien redonner. On l’accuse de ne pas contribuer à l’amélioration du noyau Linux et de se taper les bretelles avec des fonctions développées par d’autres. C’est le cas par exemple de Compiz, un ensemble d’effets visuels que l’on retrouve un peu partout dans le savorama Linux. Comme il se doit, Mark Shuttleworth, le PDG de Canonical, n’en a rien à cirer. Pour ce milliardaire qui continue d’éponger de sa poche les déficits annuels d’exploitation, l’objectif est « de faire en sorte qu’Ubuntu devienne l’alternative par défaut à Windows. » Rien de moins! Si cette volonté (vers l’équilibre, voire la profitabilité) fait peu de cas d’Apple dont l’écosystème est très riche et varié, elle témoigne du fait que le PDG a la dent bien creuse et que rien ne le fera reculer. S’il agit ainsi, je suppose que l’avance de son produit dans les parts de marché est encourageante. Sinon, en homme sensé, il laisserait tomber ou, à tout le moins, changerait son fusil d’épaule. Alors qu’en est-il du nombre réel de sites Ubuntu que l’on peut comptabiliser? Nul ne le sait à l’exception, possiblement, des dirigeants de Canonical. Et encore! D’où mon qualificatif « soi-disant » qui précède « huit millions d’utilisateurs » dans mon paragraphe d’introduction. À cela, plusieurs raisons que nous expliquele site LinuxInsider. Essentiellement, la nature même de GNU/Linux, c’est-à-dire le fait qu’il soit libre et gratuit le rend impossible à comptabiliser. Prenez mon cas personnel. Je ne suis qu’un « site », mais je dispose de quatre instances d’Ubuntu : une toute seule dans un PC, une sous Virtual Box dans un Mac, une sous VMware dans une machine Win 7 et une sous gestionnaire d’amorce avec Win XP dans un bloc-notes (les trois dernières n’étant utilisées que très très rarement. Pourtant, je n’ai téléchargé qu’une fois l’image ISO d’Ubuntu 9.04. Autrement dit, il faut considérer avec réserves le chiffre inférieur à 1 % qu’accorde ce matin Market Share (Net Application) à Linux, soit à peine un dixième d’un pour cent de mieux que Windows 2000.
Par contre, ce qu’on sent, ce qu’on constate, cela au fur et à mesure que les saveurs de Linux deviennent plus belles, plus conviviales et plus amusantes (merci notamment aux PC qui sont de moins en moins chers et de plus en plus puissants) c’est qu’il y a de plus en plus d’amateurs. Il y a un an, je ne testais pas de logiciels GNU/Linux; je me contentais de ceux qui roulent sous Windows et sous Mac OS X. Plus maintenant (d’ailleurs si vous cliquez sur ce lien, vous verrez quelques prises d’écran vous illustrant à quel point Ubuntu est devenu… attirant pour l’œil des néophytes). Pour l’instant, son « Koala » (la version 9.10) est plus beau, plus vite, plus intuitif que le « Lapin cornu » (Jackalope) du printemps dernier (la version 9.04). On dit que la connexion 3G s’y établit comme un vrai charme, qu’on a repensé l’audio et qu’une cinquantaine d’irritants caractérisant les versions antérieures ont été éliminés. On l’a ouvert sur le « nuage » avec une panoplie de services appelée « Ubuntu One ». On a amélioré son soutien aux petits ordis, les Netbooks et autres Smartbooks grâce au UNR (Ubuntu Netbook Remix) et ainsi de suite. Depuis la version 9.04, je sais pour l’avoir testé qu’il est devenu possible de configurer un PC destiné à la petite bureautique, à la navigation sur le Net, aux plaisirs du courriel ou au taponnage de photos et d’en remettre les clés à une personne n’ayant aucun talent informatique, aucune prédisposition à en développer et aucun intérêt sur cette question. Je l’ai fait, je vous jure! Une fois connu l’emplacement des icônes d’OpenOffice, de Firefox, de Thunderbird ou de Picasa, des personnes qualifiées (par d’autres que moi) de « technos nouilles » peuvent se tirer d’affaire assez simplement. Le premier problème à se signaler ressemblera à une belle-sœur qui arrivera avec un nouveau casse-tête, jeu de patience ou « gugusse kioute » impossible à installer because la bricole est un « .exe » Windows et que personne ne comprend Wine ou Crossover, etc. Dès lors, le téléphone ne dérougira pas! Il faut admettre que l’écosystème sociofamilial est massivement Windows et, à la limite, Mac. Il faut oublier la réalité GNU/Linux. Ce qui signifie que dans le contexte actuel, Ubuntu peut fonctionner sur le PC de Maman pourvu que personne (mis à part son fils qui l’a installé au départ) n’ait à lever le capot pour taper des incantations à la sauce « sudo » et « chmod ». Le second problème qui rendra le PC de Maman un peu stressant pour son fils, est la façon dont Canonical gère les bogues rapportés (Windows et le Mac OS X n’en ont pas le monopole) et les mises à niveau importantes de produits majeurs. Par exemple, la version 3.5 de Firefox est maintenant offerte avec le « Koala karmique ». Pourtant, ce produit est en circulation depuis l’été. C’est que la procédure de Canonical est semestrielle; les nouvelles versions n’apparaissent qu’en avril et octobre, d’où les « .04 » et « 10 » dans les numéros de version. Entre les deux, les utilisateurs ont droit à des rustines de moindre envergure, de petites « mises à jour » qui s’installent plus ou moins automatiquement, ce qui peut effrayer Maman et obliger son fils à la visiter plus souvent que prévu. Mark Shuttleworth sait tout cela. En plus, il sait que Dell, HP et les autres ne pourront préinstaller le Mac OS X dans des PC « beaux, bons, pas chers ». Il sait aussi que les gens ont boudé Vista, que la plupart ont collé à XP et que certains commencent à jeter leur dévolu sur Win 7. Il sait qu’il peut se négocier, mieux que jamais, une présence dans ces grandes écuries où, effectivement, il pourrait agir comme la seule alternative possible à Windows 7. Le PDG sait en outre que de plus en plus de gens se déstressent par rapport au « nuage » et que les craintes se dissipent; d’où « Ubuntu One ». Enfin, il sait que Microsoft en arrache à pleurer avec sa plateforme Windows Mobile, giron qu’Ubuntu convoite depuis deux ans et sur lequel Canonical enverra sa horde de « Koalas karmiques » à l’attaque. En ce sens, 2009-2010 pourrait être une bonne année pour Canonical et Ubuntu. Non pas que l’Empire de Redmond sera mis à sac et anéanti; cela est impossible. Pas plus qu’il ne le sera de dépasser Apple dont la vie est fort agréable par les temps qui courent. L’année pourrait être celle où Ubuntu pourrait commencer, sérieusement, à être considéré comme un système d’exploitation concurrent devant être pris au sérieux. Alors, qui sait, Shuttleworth pourrait commencer à faire de l’argent.
Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.