Les employeurs sont aujourd’hui continuellement confrontés à concilier gestion d’entreprise et respect des droits et libertés de leurs employés. Or, les employeurs doivent être vigilants, car ils ne peuvent pas faire fi de la Charte des droits et libertés de la personne qui protège toute personne contre toute intrusion injustifiée à la vie privée et permet la libre disposition des biens.
Lorsqu’un employeur désire procéder à l’examen du contenu de l’ordinateur d’un de ses employés, par exemple dans un contexte de fraude, ce dernier doit s’assurer qu’il est nécessaire et justifié de le faire, c’est-à-dire, lorsqu’il existe des motifs raisonnables qui sous-tendent sa décision.
Certaines situations, telle l’appropriation d’information sensible et confidentielle par un employé à l’insu de son employeur, sont souvent le point de départ de sérieux problèmes lorsque négligées. À cet effet, la plupart du temps, ces complications requièrent des conseils particuliers et il devient alors essentiel de consulter un avocat.
Les tribunaux ont maintes fois reconnus aux employeurs le droit de vérifier le contenu et l’utilisation que fait un salarié d’un ordinateur mis à sa disposition pour le travail[1]. À cet égard, la mise en place d’une politique restrictive d’utilisation du système informatique, de l’Internet et du courrier électronique peut s’avérer essentielle lorsque vient le temps, pour ce dernier, de justifier un tel accès au contenu de l’ordinateur[2]. Une récente décision de la Cour suprême nous enseigne toutefois que ce critère ne doit pas être le seul pris en considération quand vient le temps d’analyser l’expectative raisonnable d’une personne en matière de respect de sa vie privée[3].
La propriété des biens est également une considération pertinente[4]. En effet, les tribunaux reconnaissent que l’expectative de vie privée par rapport à un ordinateur appartenant à un employeur doit être moindre que celle pour un ordinateur personnel[5]. D’ailleurs, dans une décision portant sur les ordinateurs personnels, la Cour suprême précise qu’« [i]l est difficile d’imaginer une perquisition, une fouille et une saisie plus envahissantes, d’une plus grande ampleur ou plus attentatoires à la vie privée que celles d’un ordinateur personnel »[6].
Cela ne veut pas dire pour autant que l’ordinateur d’un employé est inviolable et c’est pourquoi, par exemple, les tribunaux ont autorisé la fouille de l’ordinateur d’un ex-employé pour des motifs de bris contractuel d’une clause de non-sollicitation ou encore de bris de l’obligation de loyauté et de vol d’informations confidentielles[7].
Dans un même ordre d’idée, les tribunaux examineront également d’un angle différent l’utilisation d’un ordinateur appartenant à l’employeur, mais pour lequel l’usage à des fins personnelles est expressément autorisé ou qu’une telle utilisation est raisonnablement prévue. C’est ainsi que dans R v. Cole[8], le tribunal a conclu à une plus grande expectative de vie privée dans une telle situation et que bien que non susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, une telle fouille peut être considérée abusive au sens de la Charte canadienne des droits et libertés dans certains cas[9].
Bien que la Cour suprême réitère le droit de l’employeur de fouiller un ordinateur constituant sa propriété, elle précise toutefois que les autorités policières ont besoin d’un mandat de perquisition pour effectuer une telle saisie d’information. Ce qui est primordial de retenir de l’arrêt Cole, c’est que lorsque vient le temps de déterminer l’attente raisonnable en matière de vie privée, il faut examiner « l’ensemble des circonstances » dans le contexte particulier à chaque affaire[10]. Cela inclut, notamment, de tenir compte des réalités opérationnelles propres à chaque milieu de travail[11].
Il ressort donc des points soulevés précédemment qu’aucun critère ne sera suffisant, en soi, pour déterminer avec certitude le niveau d’expectative de vie privée qu’un employé doit avoir dans tout lieu de travail. Il faut plutôt s’en remettre au contexte propre à chaque environnement et aux mesures en place. Les employeurs auraient donc intérêt à établir et à communiquer à leurs employés des politiques très claires sur l’utilisation des ordinateurs à des fins personnelles dans un cadre professionnel, politiques qu’ils devaient renouveler et faire signer aux employés tous les ans.
Me Marie Garel et Me Mathieu Piché-Messier sont avocats au cabinet Borden Ladner Gervais (BLG).
Les auteurs remercient Mme Audrey Millette, étudiante chez BLG pour son apport au texte.
[1] Syndicat des travailleuses et travailleurs de Sucre Lantic — CSN et Sucre Lantic ltée (Michel de Carufel), DTE 2010T-186, AZ-50603827 (Azimut) au para 182 [Sucre Lantic].
[2] Sucre Lantic, supra note 1; Vidéotron ltée et Rioux, DTE 2010T-745, AZ-50678757 (Azimut).
[3] R v Cole, 2012 CSC 53 para 53, [2012] 3 RCS 34 [Cole].
[4] R v Buhay, 2003 CSC 30 aux para 18-24, [2003] 1 RCS 631.
[5] R. v Little, [2009] OJ No. 3278 (Ont SCJ) au para 139.
[6] R v Morelli, 2010 CSC 8 au para 2, [2010] 1 RCS 253.
[7] Vector Transportation Services Inc. v Traffic Tech Inc, [2008] OJ No. 1020 (Ont SCJ).
[8] Cole, supra note 3 aux para 39-58.
[9] Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.
[10] Cole, supra note 3 aux para 39-40.
[11] Cole, supra note 3 aux para 52-54.