La cour reconnaît que la Régie des rentes a agi dans l’illégalité en renouvelant des logiciels sans appel d’offres, mais elle n’annule pas les contrats. Un avocat crois que la décision aura un impact sur les prochains processus d’analyse gouvernementaux.
La firme Savoir-Faire Linux de Montréal, qui est spécialisée en développement et formation pour les logiciels libres, a obtenu un jugement favorable des tribunaux dans le litige qui l’opposait à la Régie des rentes du gouvernement du Québec, à propos d’une migration de plateforme et d’un octroi de licences sans appel d’offres.
Dans un jugement de 41 pages, le juge Denis Jacques de la Cour supérieure du Québec déclare que la Régie des rentes « a agi illégalement » en procédant en 2006 à une migration du système d’exploitation Vista de Microsoft sur les postes de travail du ministère « en l’absence d’une recherche sérieuse et documentée fondée sur les spécifications requises et en l’absence d’un avis public ».
Également, le juge déclare que la Régie de rentes, par l’entremise d’une division du Centre des services partagés du Québec, ne pouvait octroyer en 2008 sans appel d’offres un contrat à l’intégrateur Compugen aux fins d’achat et de remplacement du système d’exploitation et des logiciels de bureautique sur les postes de travail.
Le reproche de Savoir-Faire Linux à la Régie des rentes de ne pas avoir procédé à une recherche « sérieuse et documentée », avant de choisir des logiciels propriétaires de Microsoft, a été reconnu par le juge de la Cour supérieure du Québec.
Toutefois, si le juge Jacques déclare que la Régie des rentes aurait dû procéder à un appel d’offres public en vertu du Règlement sur les contrats d’approvisionnement, de construction et de services de ministères et des organismes publics, le magistrat rejette la demande d’annulation du contrat attribué à Compugen. En clair, le juge affirme que la Régie des rentes n’a pas respecté les règles légales, mais il n’ordonne pas le retrait des logiciels informatiques qui ont été installés sur les postes de travail du gouvernement.
La seule compensation accordée par le tribunal que Savoir-Faire Linux obtiendra des parties défenderesses est le remboursement de frais judiciaires et de cour, soit « les dépens ». Cette compensation exclut les honoraires des avocats qui ont défendu la firme.
La cause opposait Savoir-Faire Linux à la Régie des rentes, mais également à une division du Centre des services partagés, à l’entité Microsoft Licensing General Partnership, qui émet les licences de logiciels de Microsoft à grand volume, et à l’intégrateur Compugen, qui a géré le nouvellement des licences au gouvernement.
Appréciation
Le jugement du tribunal a été publié en ligne dans le blogue de Cyrille Béraud, le dirigeant de Savoir-Faire Linux. M. Béraud, qui a remercié dans un billet les avocats qui l’ont défendu et les personnes qui l’ont soutenu dans ses démarches au cours des dernières années, a dédié le jugement « à la jeunesse », en soutenant que le monde leur appartenait.
« [Le monde] n’appartient pas aux multinationales. Il n’appartient pas aux fonctionnaires. Il n’appartient pas à ces États qui ont oublié qu’ils étaient d’abord au service de tous. Je dis aussi que c’est avec des valeurs que l’on crée de la richesse. Et que de la richesse sans valeurs, c’est du pillage », a déclaré M. Béraud.
Sur la Toile, un canal du réseau de microbloguage Twitter dédié à la cause judiciaire, qui est géré par Julien Plissonneau Duquène, un consultant chez Savoir-Faire Linux fait état du traitement de la nouvelle par les médias, tout comme des commentaires exprimés par le consultant au cours du processus judiciaire.
Impacts sur les procédures futures
Me Michel A. Solis, avocat spécialisé dans les technologies de l’information, a exprimé son contentement envers le jugement rendu par le juge Jacques, non pas en raison d’une appréciation envers Savoir-Faire Linux ou d’un préjugé envers Microsoft, mais en raison des impacts futurs de la décision du juge sur les processus de renouvellement des logiciels. À son avis, l’administration publique québécoise devra procéder à un processus plus rigoureux de examen des alternatives lorsque des logiciels devront être remplacés.
« Je trouve dommage qu’on tienne pour acquis que la seule chose qui puisse remplacer un système d’exploitation soit la version suivante de ce système d’exploitation », a indiqué Me Solis. « L’erreur blâmée à la Régie des rentes n’est pas de ne pas avoir choisi le logiciel libre, mais de ne pas avoir considéré le logiciel libre. »
L’avocat estime que le gouvernement devra procéder à un « examen approfondi » du coût réel qui est impliqué lors du remplacement des logiciels, autant pour le logiciel libre ou les solutions alternatives que pour les mises à niveau de solutions existantes.
« Le coût réel ne se limite pas à l’installation. Il inclut la formation, la version des données, la perte ou l’investissement en temps d’apprentissage, aux coûts impliqués pour la correction d’un bogue… »
Soulignons que la partie défenderesse pourrait porter le jugement du juge Jacques en appel au cours des prochains jours.
Jean-François Ferland est rédacteur en chef adjoint au magazine Direction informatique.