L’un des principaux acteurs québécois du logiciel libre est consterné que le gouvernement provincial n’ait pas fait d’appel d’offres pour le renouvellement de licences de bureautique au Comité exécutif.
«C’est un vrai cauchemar, c’est un “remake”. C’est comme si ce tout ce qui avait été fait ne servait à rien. On revit la même chose, mais en pire. »
C’est en ces mots que réagit Cyrille Béraud, qui est le président de la firme de services-conseils dans l’industrie du logiciel libre Savoir-faire Linux et le président de la Fédération québécoise des communautés et industries du libre, à la révélation du renouvellement de licences de logiciels de Microsoft au Comité exécutif du gouvernement du Québec. Ce renouvellement sera réalisé sans qu’il y ait un appel d’offres, mais plutôt au moyen d’un décret ministériel qui permet des contrats de gré à gré avec certains fournisseurs de solutions informatiques.
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Le « remake » dont parle M. Béraud fait référence au dossier du renouvellement de licences sans appel d’offres à la Régie des rentes du Québec, dont il a été l’un des principaux acteurs devant les tribunaux et dans les médias au cours des dernières années, au nom de l’industrie du logiciel libre. À l’été 2010, la Cour supérieure du Québec avait statué que la Régie des rentes avait agi illégalement en n’ayant pas procédé à un appel d’offres pour le renouvellement de licences de logiciels.
Dans les deux situations, un appel d’offres aurait permis à d’autres fournisseurs, notamment ceux qui oeuvrent dans l’industrie du logiciel libre, de présenter des alternatives aux solutions commerciales de l’éditeur Microsoft qui sont utilisées dans l’appareil gouvernemental.
« L’histoire de “l’intérêt public” du [secrétaire général du gouvernement du Québec, Jean] Saint-Gelais pour ne pas passer par appel d’offres, le refus [du ministre responsable de l’Administration gouvernementale, Stéphane] Bédard de donner en commission parlementaire des chiffres sur les montants engagés à travers ce décret, on fait tout en cachette, sans débat public… Alors que la question du logiciel libre c’est une question d’enjeu technologique, mais aussi d’enjeux économique et politique », déplore M. Béraud.
Le dirigeant de Savoir-Faire Linux explique que l’adoption du logiciel libre, au niveau technologique, permet d’opter pour des logiciels innovants et plus performants, où la réutilisation de composantes procure plus d’efficacité et accélère les déploiements. Au niveau économique, les orientations en technologies de l’information du gouvernement ont un impact direct sur l’écosystème lié aux TI au Québec, notamment au niveau du développement régional, alors que « le soutien des monopoles et des entreprises subventionnées empêche les entreprises innovantes de se développer ». Quant à l’enjeu politique, M. Béraud estime que l’adoption du logiciel libre permettrait au gouvernement de privilégier le bien commun plutôt que l’intérêt des multinationales.
Commission d’enquête réclamée
M. Béraud dit être découragé par le récent renouvellement sans appel d’offres de licences au Comité exécutif, mais il affirme qu’il ne baissera pas les bras, en ajoutant que les autres acteurs de l’industrie québécoise du logiciel libre ne lanceront pas la serviette.
« La communauté est très soudée : FACIL [une association vouée à l’appropriation de l’informatique libre], L’APELL [Association Professionnelle des Entreprises en Logiciels Libres], la FQCIL [Fédération Québécoise des Communautés et des Industries du Libre] ne comptent pas lâcher prise », déclare-t-il.
M. Béraud croit qu’il faudra peut-être établir une commission d’enquête, semblable à la commission Charbonneau dans l’industrie de la construction, afin que les pratiques liées à l’attribution de contrats en informatique au gouvernement provincial soient examinées.
« Nous demandons tous une commission d’enquête, déclare M. Béraud. Ce n’est pas [des dépassements de coûts] de plus de 30 % comme dans la construction, mais, 200 %, 300 %, 400 %… Et c’est dans des situations où les projets sont livrés. Certains projets ne fonctionnent carrément pas, alors on les arrête et rien ne sera livré, comme on l’a appris récemment pour un projet au ministère de la Justice. »
M. Béraud fait état de la présence d’un « cartel » et d’un « système mis en place », tout en déplorant que le gouvernement Marois ne veuille pas bouger afin que la situation change.
« Au point où on en est [la commission] est la seule voie que je vois […] De toute façon on ne peut passer sa vie à faire des procès, les jugements ne sont pas respectés », déclare en terminant M. Béraud.
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