Bell Canada est condamnée par la Cour supérieure du Québec à verser près de 1 M$ à Vidéotron pour avoir tardé à mettre fin au piratage de ses signaux de télé par satellite.
Dans un jugement rendu au terme de sept années de procédures judiciaires, le juge Joel A. Silcoff estime que Bell Canada, qui aurait été au fait dès 1999 du piratage de son service de télévision par satellite Bell ExpressVu et des dommages causés par la sécurisation inadéquate du service, d’avoir ignoré la gravité du problème et d’avoir retardé l’application de mesures correctives.
Vidéotron, qui avait intenté une série de poursuites contre Bell en son nom et en celui de sa filiale TVA, alléguait que le piratage des signaux du service Bell ExpressVu (maintenant Bell Télé) causait des dommages aux partenaires de diffusion de Bell – dont fait partie TVA – ainsi qu’aux télédistributeurs concurrents qui pouvaient être privés d’abonnés potentiels.
Selon le jugement, les gestionnaires de Bell ExpressVu auraient été mis au courant dès 1999 ou 2000 du piratage du service, mais c’est à l’été 2002 qu’une solution au problème aurait été définie, soit le remplacement de toutes les cartes à puce des terminaux des consommateurs en règle. Surtout, on reproche à Bell d’avoir débuté seulement en 2004 le projet de remplacement de cartes à puce dont le nom de code était Projet Aladin.
Délais déraisonnables
Dans un jugement de deux cents pages, la Cour estime que les arguments fournis par Bell Canada pour expliquer les délais de remplacement des cartes à puces de ses terminaux étaient « au mieux non convaincants ».
Le juge Silcoff s’est rangé derrière les arguments de Vidéotron voulant qu’il soit « absurde » que plus de trois ans se soient écoulés entre la disponibilité d’une solution pour mettre fin au piratage et la complétion du remplacement des cartes à puce « alors qu’il avait fallu à Bell seulement huit mois pour créer et lancer son service de télévision par satellite en 1997 ».
« Contrairement aux prétentions durant le procès, l’échec de Bell ExpressVu d’agir de façon rapide n’était pas dû à des raisons technologiques, mais plutôt à des considérations purement commerciales et stratégiques », déclare le juge.
Dans un sommaire exécutif produit par Bell Canada en mai 2004, qui est reproduit dans le jugement de la Cour, l’entreprise estimait alors que 450 000 personnes pirataient ses signaux de télévision satellite. Bell évaluait que le remplacement de toutes les cartes à puce pour ses terminaux nécessiterait un investissement de 44 millions de dollars sur deux ans, soit 26 millions de dollars en 2004 et 18 millions de dollars en 2005.
Après l’approbation finale du financement en mai 2004, l’envoi des cartes à puce de remplacement aux clients a débuté en août 2004 et le remplacement des cartes à puce a pris fin en juillet 2005.
Le juge Silcoff a condamné Bell Canada à verser à Vidéotron 339 000 dollars pour la compensation qui couvre à la fois les périodes de piratage et d’après-piratage, en plus d’intérêt encourus depuis septembre 2005. Également, Bell devra devra dévrayer des frais de 385 998 dollars qui ont trait à la participation d’experts dans le cadre du procès, ainsi que d’autres coûts.
La somme totale, qui totalise près d’un million de dollars, est beaucoup moins élevée que les quelque 378 millions de dollars que Vidéotron demandait en guise de compensation. (Lire : Piratage de signaux satellite : Des montants disproportionnés)
Réactions divergentes
Par la voie d’un communiqué, Quebecor Média, la division du conglomérat québécois Quebecor qui chapeaute Vidéotron, a manifesté sa satisfaction face à la victoire de son entité en câblodistribution devant la Cour supérieure du Québec.
« Nous nous réjouissons que la Cour supérieure ait condamné Bell pour avoir utilisé des moyens illégaux qui ont fragilisé ses concurrents et aussi pour avoir manqué à ses obligations de protection, portant ainsi atteinte à l’intégrité du paysage audio-visuel canadien et québécois. Malheureusement, nous constatons encore une fois que, pour Bell, tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins et s’enrichir sans égard aux règles de gouvernance et aux responsabilités sociales auxquelles doit s’assujettir une entreprise de l’envergure de Bell », déclare Pierre-Karl Péladeau, a déclaré Pierre Karl Péladeau, le président et chef de la direction de Québecor.
« Il nous apparaît inconcevable qu’une entreprise qui a bénéficié d’un monopole pendant des décennies ait pu s’engager dans des pratiques aussi condamnables et hautement préjudiciables pour l’ensemble des intervenants de l’industrie de la télévision », ajoute M. Péladeau.
Dans un courriel, une porte-parole de Bell Canada souligne que cette affaire de piratage signal par satellite remonte à une décennie. Elle rappelle que le vol de signal constituait alors un problème généralisé pour tous les fournisseurs de service de télévision par satellite.
« La Cour n’a pas conclu qu’ExpressVu avait agi de façon illégale ou avait fait preuve de mauvaise foi de quelque façon que ce soit. Cela se reflète dans le fait qu’aucun dommage punitif n’ait été accordé. En effet, la Cour a réduit de 99,85 % les dommages réclamés par notre concurrent – à 600 000 $ par rapport aux 387 millions $ (sic) demandés par TVA et Vidéotron », indique la porte-parole Marie-Éve Francoeur.
« La Cour n’a pas trouvé inappropriées les mesures prises par Bell ExpressVu pour lutter contre le piratage – elle a seulement conclue qu’une de nos mesures pour lutter contre le piratage – un programme visant à changer la carte TV de la boîte de configuration – aurait pu être fait plus rapidement », ajoute-t-elle.