Des responsables des technologies au sein d’organisations, des dirigeants d’entreprises de l’industrie des TIC et des observateurs répondent à trois questions liées à la thématique de notre dossier.
Jean-François Rousseau Président, Libéo Québec | Rida Benjelloun Président-directeur général Doculibre-Constellio Québec | Donald Gilbert Président-directeur général InfoGlobe Québec |
1. Quel est le principal atout du logiciel libre ?
Jean-François Rousseau : Le client est en contrôle de ses infrastructures informatiques. Le logiciel libre est une garantie qu’on est capable d’aller chercher la concurrence et de faire réagir plusieurs fournisseurs ensemble. Le logiciel appartient au client, qui ne dépend de personne : il peut faire ses affaires lui-même ou demander de l’aide de fournisseurs, mais il bâtit à son rythme. Alors que souvent on faisait des logiciels qu’on implantait et qu’on jetait après cinq ans, en logiciel libre on fait évoluer la solution et on bâtit un patrimoine numérique à l’intérieur de l’organisation. Cette approche incrémentale est possible parce qu’on est en possession et en plein contrôle de la solution.
Rida Benjelloun : Du point de vue d’une organisation, un élément majeur est le respect des normes et standards par les logiciels libres, afin qu’on puisse développer et collaborer en commun. Cela permet une certaine interopérabilité au niveau des applications, mais aussi d’assurer une certaine pérennité. Dans le cas d’une architecture d’entreprise composée de plusieurs logiciels, il devient très facile de changer une composante sans avoir à tout défaire.
Donald Gilbert :La disponibilité du code source garantit la pérennité des logiciels que les clients utilisent. On n’est plus tributaire des priorités d’un éditeur : on a toujours le choix de conserver une application dans son état actuel ou de la faire évoluer à partir du code source. La disponibilité du code source garantit que le logiciel évoluera en fonction des besoins de l’entreprise, mais les données rattachées aux applications demeureront exploitables dans le temps.
2. Quel mythe persiste à propos du logiel libre ?
Jean-François Rousseau : Le mythe de la gratuité : « parce que c’est gratuit, c’est moins bon ». C’est étonnant d’entendre encore des clients dire : « C’est comme une solution gratuite, donc ça ne vaut pas cher ». Or, quand on compare sérieusement des solutions lors d’une soumission, on voit dans le logiciel libre des solutions mieux adaptées et plus proches de la réalité des clients, et qui souvent dépassent la plupart des logiciels propriétaires en matière de stabilité et de fonctionnalité.
Mais comme les [organisations] ne paient pas des licences pour le logiciel libre, elles pensent qu’il n’y a pas la même qualité de logiciel, alors que l’enjeu se trouve dans une façon différente d’en faire la mise en marché.
Rida Benjelloun : Un mythe à propos de la fiabilité du logiciel libre revient encore. Des organisations disent : « Un logiciel libre est développé par un individu dans son sous-sol, avec très peu de moyens ». Or, au sein de la Apache Software Foundation, la plus grosse organisation de développement de logiciel libre au monde, j’ai travaillé sur un projet financé par Yahoo qui a été testé sur la plus troisième plus grosse machine au monde…
Les logiciels ne sont plus l’oeuvre d’un seul individu, mais d’organisations très bien structurées, dont le financement peut dépasser de loin celui de certaines entreprises privées. Le logiciel libre devient de plus en plus gros et complexe qu’il est impossible qu’il soit l’oeuvre d’un seul individu. Souvent une personne aura une idée, mais une communauté viendra rapidement l’appuyer.
Donald Gilbert : Le mythe de la gratuité. Les solutions propriétaires, tout comme les logiciels libres, peuvent nécessiter des experts pour l’implantation, la configuration et la personnalisation, en fonction des besoins et des exigences du client. Ce mythe fait miroiter des économies même pour les services professionnels qui gravitent autour du logiciel libre.
En faisant la promotion de la gratuité comme étant le premier atout, plutôt que parler des fonctions et d’autres avantages, les entreprises du libre ont peut-être diminué la valeur de leurs solutions et de leur expertise.
3. Quels changements entraîne l’adoption du logiciel libre au niveau de la gestion des TI ?
Jean-François Rousseau : La relève qui entre en entreprise n’a pas ni d’idées préconçues ni d’habitudes d’achat. Les jeunes qui sortent des universités n’ont pas encore pris les mauvais plis d’acheter un produit, au lieu d’acheter un service et de procéder à une intégration d’infrastructure. Cela pousse les « anciens » à changer et à revoir leurs stratégies d’achat, ce qui est très difficile à faire. Il faut se bâtir une infrastructure qui va nous rendre service et réussir à aider l’organisation à s’épanouir. Les « nouveaux » découvrent la flexibilité et les économies de coût qu’offre le logiciel libre, parce qu’on peut adapter le logiciel à ses processus au lieu d’adapter ses processus en fonction du logiciel.
Rida Benjelloun : Le logiciel libre permet d’avoir une vision à plus long terme au niveau des choix de solutions. Un ministère ou une entreprise qui implante une solution libre fait un choix technologique qui n’est pas relié à un appel d’offres, en intégrant un logiciel libre à l’organisation, mais par la suite elle peut choisir par appel d’offres un fournisseur qui la supportera.
Également, opter pour le logiciel libre permet de construire une solution qu’on n’aura pas à tout défaire lorsqu’un appel d’offres sera terminé. Un autre changement réside dans le contrôle de l’environnement : alors qu’on n’avait aucun contrôle sur les difficultés d’un logiciel privatif et qu’il fallait attendre après une grosse firme pour que ça débloque, avec le logiciel libre dont ont détient le code source on peut être supporté par une firme spécialisée ou disposer d’une équipe technique sur place qui peut diagnostiquer le problème et apporter un correctif.
Donald Gilbert : Les gestionnaires doivent former leurs gens aux technologies libres qui sont utilisées, ou s’assurer d’être accompagnés par des experts compétents afin de s’approprier ces nouvelles solutions. Quelque part, il y a un écart entre les connaissances sur les logiciels propriétaires et celles sur les logiciels libres. Un autre changement concerne l’aversion au risque des gestionnaires TI, ou leur capacité à sortir d’une zone de confort qui est historiquement basée sur des solutions propriétaires omniprésentes dans le marché. Les gestionnaires doivent évaluer les critères de sélection des logiciels.
D’un point de vue pragmatique, le déploiement d’un nouveau logiciel, qu’il soit propriétaire ou libre, représente un changement pour les utilisateurs, d’où l’importance de la formation des personnes touchées et l’impact sur la gestion du changement. On dirait que ces impacts sont plus importants dans le cadre du libre que du propriétaire, mais il faut le faire dans les deux cas. C’est un paradigme qu’il faut briser.